mon mémoire de master...

Venez tous :o) ... blabla, coup de gueule, délire... Faut que ça bouge!!
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ace
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mon mémoire de master...

Post by ace »

Bonjour !


Je voudrais juste vous poser une question, peut-être êtes-vous passés par là aussi ?

Voilà, mon directeur de mémoire m'a récemment dit qu'il fallait que j'adopte une "démarche anthropologique" dans mon mémoire qui traite d'un missionnaire chrétien du XIXe qui est allé en Amérique ! Or, je n'ai pas compris "démarche anthropologique", quelqu'un peut m'expliquer que dois-je faire, du moins comment adopter une telle démarche ?
Je vous la pose d'abord pour ne pas paraître stupide devant mon prof lol.

merci :jap:
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Sisyphe
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Re: mon mémoire de master...

Post by Sisyphe »

1. D'abord, tu es stupide aux yeux de ton directeur. Tu n'auras à ses yeux aucune valeur intellectuelle avant le doctorat. Tout ce que tu écriras dans ton mémoire soit sera faux (inexact, erroné, imprécis, flou, contestable, etc.), soit déjà dit par quelqu'un d'autre (prioritairement : lui - commence d'abord par lire tous ses articles, même en-dehors de ton sujet, tu finiras bien par réussir à trouver un truc à caser), soit trop éloigné du sujet.

2. Ensuite, qu'il le veuille ou non, ton directeur est là pour t'expliquer les contextes qui t'échappent et t'aider à résoudre les problèmes que tu rencontres ; il ne peut légalement et moralement pas se dérober à ce devoir. Si tu ne comprends pas un concept historique ou historiographique, c'est à lui que tu dois demander. D'une certaine manière, il t'en voudra plus de ne pas l'avoir fait que d'ignorer la notion de "démarche anthropologique".

3. Si je comprends bien, tu es en histoire. Au niveau du mastère, je pense qu'il est correct qu'un étudiant d'histoire s'intéresse de toute façon aux problèmes épistémologiques de sa matière et aux théories historiographiques : de mon temps, en khâgne, je lisais : ERHARD, Jean & PALMADE Guy. L'Histoire. Paris : Armand Collin, 1964 ; mais il y doit y avoir beaucoup plus mieux. Sinon, un auteur comme Antoine Prost a beaucoup écrit sur la "méta-théorie" de l'Histoire - 'faut au moins faire semblant de l'avoir lu. Trouve le rayon "historiographie" et "épistémologie de l'Histoire" dans ta BU préférée, et sors tout le paquet. Tu n'es pas obligé(e) de tout lire, mais au moins, aie tout parcouru.

4. Fais la même chose pour l'anthropologie. Ayant été confronté au même problème (qu'est-ce que l'anthropologie ; bon, moi, ça n'allait pas très loin), j'ai trouvé qu'un bouquin comme LAPLANTINE, Françoise. L'Anthropologie. Paris : Petite Bibliothèque Payot, était pas mal et rapide (9€, 235 pages). Mais là encore : anthroplogiquement parlant, dis-toi que tu es pour l'instant un chasseur-cueilleur, et la BU est ton terrain de prédation.

Evidemment, le point 4 suppose que tu es donc soumis au nomadisme, à l'insécurité alimentaire et à la domination socio-clanique de ton directeur qui lui est un planteur-semeur, et qui en outre a la domination symbolique sur toi, puisqu'il est un chamane. Mais pour revenir au point 1, tu n'as aucune chance de te néolithiser avant le doctorat, donc : souffre.

Plus sérieusement : fais ces recherches-là, vois ce que tu peux glaner. Et si tu reviens, pataud, dans une semaine auprès de ton directeur en disant "j'ai lu tout Laplantine, Prost et les autres et je ne saisis toujours pas la nature de la démarche anthropologique", au moins, tu sembleras sérieux.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
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tom
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Re: mon mémoire de master...

Post by tom »

L'anthropologie historique? Bon, je m'y colle. Sisyphe serait pourtant au moins aussi compétent que moi pour répondre à cette question, mais puisqu'il se contente de persiflages vis-à-vis du monde universitaire (ça lui arrive, ces jours-ci ;) ), allons-y.

D'abord, je vais être un peu décevant: l'anthropologie historique, ça ne veut pas forcément dire grand-chose. En effet:
- c'est un concept qui a énormément évolué. Quand on relit l'article d'André Burguière, « L'anthropologie historique », in Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, CELP, 1978, ça fait sourire: pour résumer, l'auteur définissait l'anthropologie comme l'histoire de la vie quotidienne, des humbles, des matériaux non-nobles, etc. Autant de sujets parfaitement respectables, mais qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce qui est couvert aujourd'hui par la même notion.
- encore aujourd'hui (ou bien: aujourd'hui plus que jamais?), c'est un concept extrêmement fragmenté. Il y a l'anthropologie de la famille, l'anthropologie religieuse, l'anthropologie juridique, l'anthropo économique, l'anthropo des savoirs, l'anthropo médicale, etc. C'est d'ailleurs assez amusant de constater que l'anthropologie, qui souhaitait devenir une science transdisciplinaire de l'humain, est en train de devenir une constellation de disciplines qui ne sont plus forcément très liées entre elles.

Cela dit, il reste quelques constantes, et les voici.
- l'anthropo se veut plus générale que les disciplines précédentes. Pas d'histoire économique sans histoire des mentalités, pas d'histoire européenne sans une petite comparaison avec des dossiers ethnologiques, etc.
- dans ce projet de décloisonnement, un des grands ennemis est l'histoire institutionnelle. Dans cette optique l’essentiel des rouages sociaux résident dans le non-dit, les coutumes, la négociation informelle entre les acteurs, les croyances etc. Je pense que c'est notamment ça que ton directeur avait en tête pour une histoire des missions: ne pas se contenter de (re)faire l'histoire du clergé ou du dogme, mais de prendre en compte toutes les facettes de ton corpus. S'il s'agit d'une mission auprès de non-chrétiens (indiens chamanistes, etc.), prendre au sérieux ce que disent les sources à propos de ces religions, du système mental et social qu'elles bâtissent, du choc que produit l'irruption du christianisme, etc. Dans tous les cas, appliquer également ce regard très général au missionnaire lui-même: à quel système mental appartient-il en voulant convertir le monde, obéit-il à des croyances hiérarchiques, rituelles, non-dites, etc.?

Pour te donner une petite idée, voici un petit comparatif entre ce que l'historiographie anthropo et l'historiographie plus classique pouvaient respectivement produire sur un certain nombre de sujets (c'est caricatural, mais ça donne une idée). En bleu, la version classique, en rouge la version anthropo:
- Au sujet de la famille: La famille est une institution essentiellement nucléaire gouvernée par la biologie et par le droit/ La famille est une institution sociale, à laquelle on peut appartenir même si on n'en est pas un membre biologique (les domestiques, les "protégés" des patriciens romains, etc.), un vecteur de croyances, un distributeur d'informations et de pouvoirs et un des principaux rouages économiques de la société.
- Au sujet de l'économie: l'économie est une question d'offre et de demande, éventuellement régulée par les acteurs tels que l'Etat/ l'économie repose sur des accords, des longs palabres, des réseaux personnels, un consensus social, etc.
- Au sujet du droit: le droit est une science en progrès constant vers la perfection, régie par des textes qui visent à gouverner l'essentiel des données humaines/ le droit est un perpétuel compromis dépendant des besoins d'une société donnée, mais celle-ci se régule aussi bien des par des pratiques informelles (sens de l'honneur, négociations à l'amiable, etc.) que par le recours à une norme écrite et authentifiée par un législateur.
- Au sujet de la politique: celle-ci est le gouvernement d'une société par un Etat nanti de lois et du droit à la répression. Il s'agit surtout de politique internationale, de production rationnelle de lois pour l'intérêt commun et, dans le pire des cas, de surmonter des crises constitutionnelles/ la politique est avant-tout une discussion et une négociation permanente cherchant des bricolages pour toute situation nouvelle; les décisions dépendent avant tout de la sociologie des hommes politiques, des croyances en cours et de l'inertie des institutions.

Pour des références plus précises, tu peux retenir (sans exhaustivité) les grands ancêtres que sont Marcel Mauss, Claude Levi-Strauss (adopté par les anthropo alors que lui-même se définissait plutôt comme philosophe, structuraliste ou ethnologue), Jack Goody, Carlo Ginzburg, George Dumézil, Marcel Détienne, Gerd Althoff... Pour le cas particulier du Moyen Âge, il y a un article de J.-Cl. Schmitt qui offre une bonne synthèse récente. Plus proche de ton sujet (si j'ai bien compris la nature de celui-ci), tu pourrais jeter un coup d’œil sur l'article de Michel Fournier, "Des récits de voyage à l’anthropologie historique : enjeux du dialogue avec l’anthropologie dans les études dix-septiémistes au Canada", Dix-septième siècle n° 252, 2011/3, p. 455-467.

Amuse-toi bien: c'est un sujet assez stimulant. ;)
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