Puisque j'avais un tout petit peu de temps ce soir (n'ayant pas de cours demain), je vous propose un nouveau petit jeu, à la suite des déjà nombreux autres "mais qui donc... ?" de ce forum.
Il s'agit donc cette fois-ci d'identifier un texte ; c'est à dire son auteur, et de quelle oeuvre, si possible, il est tiré.
Voici les règles que je propose :
1. Le texte sera présenté en français, mais il peut s'agit d'une oeuvre étrangère traduite. Y compris un passage traduit par vos propres soins.
2. Tous les genres sont acceptés : roman, essai, théâtre, en prose ou en vers.
3. Le texte fera au moins 10 lignes (pour une police type "times new roman" point 12), ou si vous préférez : 800 caractères espaces non compris. Il n'y a pas de limite supérieure. Les poèmes à forme fixe seront (sonnet, rondeau, etc.) seront présentés en entier.
4. Le texte doit être présenté sans coupure. Mais, pour ne pas rendre le jeu trop facile, il est possible de "caviarder" les noms propres (J.V. ou J*** V*** au lieu de Jean Valjean, par exemple). S'il s'agit de vers, on indiquera par # le nombre de syllabes supprimées : Oui prince je languis, je brûle pour ## (= Thésée).
Bien sûr, comme pour les autres jeux, les faut poser des questions, argumenter, analyser... Enfin bref, montrer votre culture
*
Je commence donc :
… Mais si nous pensions si peu à un phénomène qui absorbe au moins un tiers de toute vie, c’est qu’une certaine modestie est nécessaire pour apprécier ses bontés. Endormis, C… et le juste A… se valent ; je dépose mes vains et importants privilèges ; je ne me distingue plus du noir janiteur qui dort en travers de mon seuil. Qu’est notre insomnie, sinon l’obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, des suites de raisonnements, des syllogismes et des définitions bien à elles, son refus d’abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes ? L’homme qui ne dort pas, et je n’ai depuis quelque temps que trop d’occasions de le constater sur moi-même, se refuse plus ou moins consciemment à faire confiance au flot des choses. Frère de la Mort… I*** se trompait, et sa phrase n’est qu’une amplification de rhéteur. Je commence à connaître la mort ; elle a d’autres secrets, plus étrangers encore à notre présente condition d’hommes. Et pourtant, si enchevêtrés, si profonds sont ces mystères d’absence et de partiel oubli, que nous sentons bien confluer quelque part la source blanche et la source sombre. Je n’ai jamais regardé volontiers dormir ceux que j’aimais ; ils se reposaient de moi, je le sais ; ils m’échappaient aussi. Et chaque homme a honte de son visage entaché de sommeil. Que de fois, levé de très bonne heure pour étudier ou pour lire, j’ai moi-même rétabli ces oreillers fripés, ces couvertures en désordre, évidences presque obscènes de nos rencontres avec le néant, preuves que chaque nuit nous ne sommes déjà plus.
Il s'agit d'un extrait des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar.
Espérant être à demi pardonné, j'avoue avoir triché, mais 'à l'insu de mon plein gré" : en cherchant le sens de janiteur dans Google je suis tombé directement sur Marguerite.... Voilà ce qui arrive quand on veut faire son malin en plaçant un mot à occurrence unique dans la littérature française
J'avais pensé au début de La Recheche du temps perdu (Je trouve celle-ci assez proustienne : "Qu’est notre insomnie, sinon l’obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, des suites de raisonnements, des syllogismes et des définitions bien à elles, son refus d’abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes ?" ). Mais le reste a un rythme un peu "haché" pour du Proust. Et comme je savais que le mot janitaire n'apparaissait que chez Yourcenar....
Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d'un cinquième étage et qui vous disent : je vous offre des roses. [Victor Hugo]
Nemo wrote:Il s'agit d'un extrait des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar.
Espérant être à demi pardonné, j'avoue avoir triché, mais 'à l'insu de mon plein gré" : en cherchant le sens de janiteur dans Google je suis tombé directement sur Marguerite.... Voilà ce qui arrive quand on veut faire son malin en plaçant un mot à occurrence unique dans la littérature française
J'avais pensé au début de La Recheche du temps perdu (Je trouve celle-ci assez proustienne : "Qu’est notre insomnie, sinon l’obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, des suites de raisonnements, des syllogismes et des définitions bien à elles, son refus d’abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes ?" ). Mais le reste a un rythme un peu "haché" pour du Proust. Et comme je savais que le mot janitaire n'apparaissait que chez Yourcenar....
Eh bin, il aura pas duré longtemps...
Effectivement, c'est tiré des Mémoires d'Hadrien.
J'avoue avoir hésité à présenter ce texte-là, précisément à cause du mot "janiteur", qui orientait vers l'Antiquité, alors que le style n'était manifestement pas antique.
J'ignore si le mot "janiteur" est un hapax de M. Yourcenar, en tout cas c'est un latinisme. Précisons donc qu'un janitor est un homme qui garde une porte.
Je pensais bien de toute façon qu'il serait trouvé assez vite, puisque j'avais mentionné il y a quelques temps dans un autre post que je venais de relire cette oeuvre magnifique.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire, donc, de parler une fois de plus de cette oeuvre magnifique, qui relève presque de la poésie. De là l'attribution à Châteaubriand ou à Prsout qui n'était pas illlogique. Je m'attendais également à ce que quelqu'un me parle de Malraux.
psst : Maïwenn, un indice quand même aurait dû te détourner de Châteaubriand : "je n’ai jamais regardé volontiers dormir ceux que j’aimais ; ils se reposaient de moi, je le sais ; ils m’échappaient aussi." et plus loin "Que de fois, levé de très bonne heure pour étudier ou pour lire". Hadrien parle de ses amants, je doute que Châteaubriand soit en mesure d'en faire autant... .
Oh ben Sisyphe je sais pas, on peut tout imaginer avec un Chateaubriand impuissant (si, si, j'ai appris ça ds mes cours de littérature l'année dernière, en même temps que les hémoroïdes de Mme de Sévigné Je vous l'accorde, le prof était assez particulier )
Penn ar Bed
The end of the land
Le commencement d'un monde
Je sais que j'ai remporté la première manche (avec bien peu de bravoure ) mais ce vouvoiement ou ce vous(s)oiement me paraît excessif entre pairs du même forum
Voici donc l'extrait que je soumets à votre sagacité :
Il y a, dans certaines régions où le sol est usé, des cours d'eau modestes. Ils suivent un chemin sans histoire, mais soudain leur trace se perd. L'eau dont la course était si claire semble soudain s'être désintéressée. Elle a perdu sa piste et paraît tâtonner. Elle devient marécage, s'égare dans des fissures dissimulées, se disperse sous les mousses spongieuses et bientôt n'a plus de lit. Le promeneur intrigué patauge dans un sol poreux et ambigu, qui n'est plus ni un champ ni la course ouverte de l'eau. Puis il retrouve le sec, l'herbe pauvre de la lande. L'eau s'est dérobée.
C.R. semble être devenu ainsi à la fin de sa vie le sujet évasif d'une sorte de détournement, d'une dérive en cours.
B.B. est probablement la seule personne à avoir pressenti ce qui a pu se passer. Mais pour suivre plus avant qu'il ne fit les détours de C. vers son terme, il aurait fallu à B. une oreille plus fine. Quand sur le causse un chemin d'eau paraît se perdre, seuls quelques bergers savent où il s'est faufilé. Si l'étranger les interroge, ils hochent la tête, éludent la question. Ils préfèrent garder pour eux la confidence de l'eau qui a plongé dans l'ombre. Son cours poursuit dans le profond une route nocturne, son chemin d'aveugle. L'eau ressurgira au jour, très loin, ayant changé de nom, mais née de la même source. En paissant leurs moutons les gardiens de troupeaux collent l'oreille à la terre. L'eau fuyante leur parle, dans ses repaires de nuit. Mais qui aurait pu parler à B.B.? Quand il eut perdu la trace de C.R., il n'entendit plus rien.
Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d'un cinquième étage et qui vous disent : je vous offre des roses. [Victor Hugo]
Maïwenn wrote:Oh ben Sisyphe je sais pas, on peut tout imaginer avec un Chateaubriand impuissant (si, si, j'ai appris ça ds mes cours de littérature l'année dernière, en même temps que les hémoroïdes de Mme de Sévigné Je vous l'accorde, le prof était assez particulier )
Moi, j'avais un prof qui résumait les choses de la manière suivante : "Châteaubriand n'a eu que deux buts dans la vie : devenir premier ministre, et coucher avec Juliette Récamier. Le première, il n'a pas réussi, et le second, autant que l'on sache, non plus. C'est ce qui en a fait un grand écrivain".
Pourquoi cette fixation sur des marins alors que le texte parle de rivières
Maïwenn wrote:Je trouve que ça parle trop de moutons pour être l'oeuvre d'un Breton, me trompé-je ?
Non en effet ce n'est pas un Breton Maïwenn mais les écrivains nés dans une région (ils le sont tous !) ne sont pas forcément des écrivains régionalistes
Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d'un cinquième étage et qui vous disent : je vous offre des roses. [Victor Hugo]