Latinus wrote:"Les jeunes de cités" ; c'est ça la blague ?
Je connais des "jeunes de cité" qui parlent mieux que moi et qui ont une gymnastique de l'écrit que je n'aurai jamais.
Par contre, j'ai des collègues ingénieurs bac+5/6 qui écrivent comme mes pieds... et ils sont loin d'être issus de cités (mais cela, on n'en parle pas, ça fait tache).
Quand aux expressions métaphoriques, perso je le trouve plutôt bien trouvées (boîte de six
).
Malheureusement non, Latinus, ce n'est pas une blague. Si "jeune de cité" te dérange, on peut faire du politiquement correct et dire "personne ayant connu un échec scolaire dans le cadre d'un tissu socio-urbain défavorisé", ça ne retire rien à la chose.
Qu'il soit donc bien compris dans ce débat qui commence (et que comme d'hab je vais pas avoir le temps de suivre) qu'il n'est absolument pas posé que "jeune des cités = maghrébin" ou quelque autre équation malvenue que ce soit. Et que bien sûr ils y a des "jeunes à ascendance non-francophone issus de milieux socio-urbains démunis" qui réussissent très bien leurs études (
ah, le "miraculé scolaire" cher à Bourdieu).
Parce que le "jeune des cités" (ou quelque autre nom qu'on veuille lui donenr) à 400 mots,
hélas, hélas, hélas, il existe. J'ai vécu 18 ans dans une banlieue, ma mère y enseigne depuis qu'elle est prof, c'est à dire depuis 1971. Depuis que je suis en âge de comprendre les choses, je l'entends à chaque paquet de copie se lamenter du trop peu de mots que ses élèves possèdent pour décrire les choses - et ça n'a rien d'une exagération de prof du type "il a oublié un s", ces copies j'en ai parfois corrigés des petits bouts... et très souvent (chaque que fois que je rentre chez elle) réglé des cas de conscience, dont 80 % relèvent du même problème : l'élève a appris sa leçon, indubitablement, mais il est
totalement incapable de formuler la moindre phrase (mais vraiment la moindre phrase, du type sujet-verbe-complément) ; la réponse est
incompréhensible, en dessous même de son niveau de français parlé.
Il ne s'agit pas d'avoir une jolie plume, de faire de longue phrase, d'avoir comme tu dis une "gymnastique de l'écrit". Je parle (et Daraxt avant moi) tout simplement de
phrases en français. Je te jure que trois copies sur quatre (celles de ma mère, celles de mes copains déjà profs dans des ZEP) c'est "en 1933 alors il y a Hitler qui il a pris le coup d'Etat mais légalité de l'Allemagne et il a dit une loi que les juifs il ne sont plus en Allemagne".
Je te jure que je n'exagère absolument pas !, j'ai même élagué les fautes d'orthographe. Si tu veux des exemples frais, dis-le moi, je téléphone à maman.
C'est un problème de fond qui ne me fait vraiment, vraiment pas rire. C'est le fond même de l'exclusion scolaire - et j'ai pas besoin d'un article du Monde pour le savoir. Oui, nos "jeunes des cités", c'est à dire nos
pauvres (pas démunis, pas jeune : pauvre, il est là le politiquement correct) ont 400 mots de vocabulaire en moyenne. Pas assez pour s'adresser à un prof, souvent pas assez pour s'adresser à un patron ou à une administration qui vous demande "la quotité travaillée mensuelle au-delà du montant forfaitaire", pas assez pour sortir de sa banlieue.
Alors la fameuse poésie des banlieue, le "parlez comme dans
l'Esquive en 12 leçons, non !
. Je l'ai parlée cette langue, du moins je l'ai comprise (vous avez deux minutes pour me dire ce qu'est un "rrlah"), sauf que moi, comme tes ingénieurs, je parlais
aussi une langue normée, médiane, générale, sucée au sein maternel et professoral. Tes bac +12 ne sont peut-être pas des marquises de Sévignés, mais ils sont capables de remplir une feuille de CAF ou d'URSSAF, ils sont capables de soutenir un entretien d'embauche, ils sont capables d'expliquer un projet à l'oral ou à l'écrit, même si leurs phrases manquent d'élégance. Le problème est à un tout autre niveau...