Qu'on m'en pardonne, ce post ne répond pas à demande de Joey (je ne sais d'ailleurs pas qui est cette dame) mais à une affirmation de Sisyphe.
Désolé d'avoir des réserves... Voici Casta Diva par Maria Callas. Musicalement, l'interprétation est effectivement très difficile à surpasser, c'est indéniable. Et ce n'est pas peu dire parce que tout le rôle de Norma, et particulièrement cette prière, est reconnu comme un sommet du Bel Canto et un des plus exigeants de tous les rôles pour soprano. Rares d'ailleurs sont les soprani qui l'ont vraiment réussi et Callas en est une.Sisyphe wrote: Sur Casta diva on ne dépasse pas la Callas. Pas possible.
Mais l'opéra n'est pas qu'interprétation de chant, il est aussi théâtre. Et ici mes réserves sont les mêmes que celle de Toscanini ni n'aimait pas trop la Callas justement pour cette raison. Dans la vidéo proposée ci-dessus Maria Callas est ...Maria Callas. Et c'est la seule, vraiment la seule, faute que je lui reproche : elle devrait être Norma, pas Callas. Elle interprète cette superbe musique à la perfection, mais elle n'interprète pas Norma. C'est Callas chantant ; ce n'est pas Norma priant. Quand un acteur prend un rôle, l'acteur doit disparaître pour qu'apparaisse le personnage. On n'observe rien de tel dans cette vidéo : on y voit une Callas incapable de retenir un sourire de satisfaction et de fierté. Fierté méritée, je n'en doute pas, surtout quand on connaît ses origines. Mais cette fierté NE PEUT PAS convenir à Norma qui, à ce moment, vit dans la honte. Je ne veux en rien diminuer non seulement l'extraordinaire talent de Callas mais aussi son édifiant courage. Celui-ci lui a valu d'être un des trois "Vilains petits canards" de Cyrulnik pour appuyer son concept de résilience psychologique. Cependant, son succès se lit trop dans cette vidéo, non seulement dans son sourire satisfait d'elle-même mais aussi dans ses riches oripeaux et se bijoux étincelants ; la grande Prima Donna cache la Grande Prêtresse. C omme tu disais de la Mimi : “on ne guérit pas d'avoir été pauvre un jour”
L'aria Casta Diva est une prière de la Grande Prêtresse Norma à la Chaste Déesse (la Lune). C'est une prière à la fois humble, sereine et intense par cette prêtresse déchirée d'avoir rompu ses voeux par amour pour Pollione. C'est un rôle EXCESSIVEMENT (j'insiste!) difficile, autant sur le plan théâtral que vocal. Durant la première moitié de l'Aria, Norma est désespérée. Elle implore la Chaste Déesse de tourner vers "nous" (elle ne prie pas que pour elle, mais pour tous les humains qui, comme elle, sont faibles) un visage miséricordieux. C'est une demande de pardon. Cette supplication faite, Norma, soulagée, vit une sorte d'extase, un contact spirituel avec la divinité (entre les deux moitiés de l'aria, durant les vocalises). Puis le ton redevient grave, dramatique même. Norma revient à la supplication. Elle demande à la Déesse de retenir la folie naissante de ses opposants. Elle reconnaît son péché mais implore la déesse de répandre la paix sur terre, en opposition au drame qui se prépare pour elle et Pollione.
La seule interprétation que j'aie trouvée sur Youtube qui rend justice à ce drame est celle de Hasmik Papian. Durant la première moitié de l'aria, pas un sourire, une tristesse très bien retenue comme il sied à la Grande Prêtresse, fille du chef des druides. La posture bien droite, les bras un peu en avant et les mains tournée vers le peuple (presque comme une statue de la vierge Marie) sied bien au rôle de prêtresse. La tristesse paraît dans ce visage, tenant compte de la gymnastique musculaire forcée par cet air qui va du grave au très aigu, du faible à l'intense. À partir de 2:16, son sourire est celui de la période extatique venant du soulagement apporté par sa prière. Observe bien ce sourire quand le visage n'est pas déformé par les difficiles vocalises : il est simple et sans retenue, expression d'une joie intérieure. Une extase, quoi. Visiblement, à ce moment, Papian est Norma ; elle vit ce que vit Norma. Immédiatement après l'extase, le visage redevient triste (à 2:39). Aucun sourire : quand la bouche est étirée c'est visiblement à cause des exigences du chant. Par contre, souvent ce sont les yeux et les sourcils (en accent circonflexe) qui expriment cette tristesse (c'est évident à 3:47). À partir de 5:26, malgré les acclamations frénétiques, elle demeure sobre, triste, réservée, humble pécheresse et noble prêtresse à la fois. Elle baisse les yeux et son geste d'étendre les mains est bien celui d'une qui doit donner au peuple la grâce qu'elle a reçue de la déesse malgré son péché. En aucun moment on ne voit Papian : on ne voit que Norma.
Et ça, pardonne-moi de te contredire, ça dépasse Callas!