Le tremblement de terre de Lisbonne par Voltaire

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didine
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Le tremblement de terre de Lisbonne par Voltaire

Post by didine »

Coucou tout le monde,

La semaine dernière, j'ai interprété en cours un discours prononcé à l'occasion du 250e anniversaire du tremblement de terre qui a touché Lisbonne le 1e novembre 1755. Selon ma prof, Voltaire parle de ce tremblement de terre dans un de ses ouvrages. Quelqu'un en sait davantage?

Merci d'avance! :drink:
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Sisyphe
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Re: Le tremblement de terre de Lisbonne par Voltaire

Post by Sisyphe »

didine wrote:Coucou tout le monde,

La semaine dernière, j'ai interprété en cours un discours prononcé à l'occasion du 250e anniversaire du tremblement de terre qui a touché Lisbonne le 1e novembre 1755. Selon ma prof, Voltaire parle de ce tremblement de terre dans un de ses ouvrages. Quelqu'un en sait davantage?

Merci d'avance! :drink:
:D Bin oui ! Candide voyons ! Un passage formidable... Attends que je te le retrouve...

Voltaire en a parlé ailleurs, notamment dans sa correspondance et dans ces écrits mineurs. C'est un évènement qui a bouleversé l'Europe, y compris intellectuellement : d'un côté (c'est le sens que Voltaire lui donne), ça a donné un énorme argument pour remettre en cause la bienveillance de Dieu (et Dieu avec) ; de l'autre, les intellectuels se sont mis à réfléchir sur les phénomènes naturels, et on a commencé à émettre des hypothèses sur les séismes, erronés mais déjà plus rationnels que ce qui pouvait être dit jusqu'ici.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
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kokoyaya
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Post by kokoyaya »

Ben c'est dans Candide, non ?

Oups, grillé. J'en profite donc pour ajouter un peu de doc : http://fr.wikipedia.org/wiki/Candide :)
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didine
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Re: Le tremblement de terre de Lisbonne par Voltaire

Post by didine »

Sisyphe wrote: :D Bin oui ! Candide voyons ! Un passage formidable... Attends que je te le retrouve...
Le numéro du chapitre en question suffira. ;)

Merci pour les autres précisions, je ne savais rien de tout ça!
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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

Voici donc, tiré du texte intégral ici http://www.chez.com/bacfrancais/candide-integrale.htm
Quand ils furent revenus un peu à eux, ils marchèrent vers Lisbonne ; il leur restait quelque argent, avec lequel ils espéraient se sauver de la faim après avoir échappé à la tempête.



À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs pas ; la mer s'élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l'ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s'écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines, Le matelot disait en sifflant et en jurant : « Il y aura quelque chose à gagner ici. -- Quelle peut être la raison suffisante de ce phénomène ? disait Pangloss. -- Voici le dernier jour du monde ! » s'écriait Candide. Le matelot court incontinent au milieu des débris, affronte la mort pour trouver de l'argent, en trouve, s'en empare, s'enivre, et, ayant cuvé son vin, achète les faveurs de la première fille de bonne volonté qu'il rencontre sur les ruines des maisons détruites et au milieu des mourants et des morts. Pangloss le tirait cependant par la manche. « Mon ami, lui disait-il, cela n'est pas bien, vous manquez à la raison universelle, vous prenez mal votre temps. -- Tête et sang ! répondit l'autre, je suis matelot et né à Batavia ; j'ai marché quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon ; tu as bien trouvé ton homme avec ta raison universelle ! »



Quelques éclats de pierre avaient blessé Candide ; il était étendu dans la rue et couvert de débris. Il disait à Pangloss : « Hélas ! procure-moi un peu de vin et d'huile ; je me meurs. -- Ce tremblement de terre n'est pas une chose nouvelle, répondit Pangloss ; la ville de Lima éprouva les mêmes secousses en Amérique l'année passée ; même causes, même effets : il y a certainement une traînée de soufre sous terre depuis Lima jusqu'à Lisbonne. -- Rien n'est plus probable, dit Candide ; mais, pour Dieu, un peu d'huile et de vin. -- Comment, probable ? répliqua le philosophe ; je soutiens que la chose est démontrée. » Candide perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d'eau d'une fontaine voisine.



Le lendemain, ayant trouvé quelques provisions de bouche en se glissant à travers des décombres, ils réparèrent un peu leurs forces. Ensuite, ils travaillèrent comme les autres à soulager les habitants échappés à la mort. Quelques citoyens secourus par eux leur donnèrent un aussi bon dîner qu'on le pouvait dans un tel désastre. Il est vrai que le repas était triste ; les convives arrosaient leur pain de leurs larmes ; mais Pangloss les consola en les assurant que les choses ne pouvaient être autrement : « Car, dit-il, tout ceci est ce qu'il y a de mieux. Car, s'il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont. Car tout est bien. »



Un petit homme noir, familier de l'Inquisition, lequel était à côté de lui, prit poliment la parole et dit : « Apparemment que monsieur ne croit pas au péché originel ; car, si tout est au mieux, il n'y a donc eu ni chute ni punition.



-- Je demande très humblement pardon à Votre Excellence, répondit Pangloss encore plus poliment, car la chute de l'homme et la malédiction entraient nécessairement dans le meilleur des mondes possibles. -- Monsieur ne croit donc pas à la liberté ? dit le familier. -- Votre Excellence m'excusera, dit Pangloss ; la liberté peut subsister avec la nécessité absolue ; car il était nécessaire que nous fussions libres ; car enfin la volonté déterminée... » Pangloss était au milieu de sa phrase, quand le familier fit un signe de tête à son estafier qui lui servait à boire du vin de Porto, ou d'Oporto.




CHAPITRE SIXIÈME

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COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ

POUR EMPÊCHER LES TREMBLEMENTS

DE TERRE, ET COMMENT

CANDIDE FUT FESSÉ




Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.



On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.



Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n'étais que fessé, je l'ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre ! »



Il s'en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni, lorsqu'une vieille l'aborda et lui dit :



« Mon fils, prenez courage, suivez-moi. »
:) J'aime beaucoup "prêché, fessé, absous et béni".
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didine
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Post by didine »

Merci Sisyphe! :god:
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