Achille wrote: ↑30 Oct 2022 20:47
Bonjour,
Les mots "Non / No / Nein / Niet" semblent puiser leur origine dans le mot latin "NON".
Alors,
plus exactement, tous ces mots sont apparentés par leur première moitié à la forme fondamentale de la négation en indo-européen, qui est
*nē.
Chacun a ensuite une histoire plus ou moins complexe ; le
non latin, par exemple (et tous ses descendants romans), est la réduction de
ne oinom "ne pas un..."
Mais d'où viennent les mots "Oui / Si / Yes / Jawohl / Da" ?
Pourquoi de telles différences entre ces mots alors que les mots précédents se ressemblent comme des frères ?
En fait, il faut répondre à la deuxième question pour répondre à la première... Et pour ce faire, il faut faire un peu de linguistique générale.
En linguistique générale, on distingue "l'état marqué" et "l'état non marqué". Le second est le truc qui est considéré comme le point de départ et pour lequel la langue n'a
pas de marquage matériel particulier. Exemple très simple : en français, le singulier est "l'état non marqué" : quand on considère un nom/adjectif, le "mot de départ", c'est toujours le singulier aussi bien sur le plan morphologique (je
rajoute quelque chose pour noter le pluriel
un chatø ->
des chats), que sur le plan sémantique (le dictionnaire enregistre
chat au singulier, et ensuite indique un éventuel pluriel irrégulier)...
... Ce n'est pas forcément le cas dans toutes les langues, il existe des langues africaines qui marquent de façon équivalente un singulier et un pluriel, et parfois des états intermédiaires. En gros, comme si je ne pouvais pas dire autre chose que "chat-un-seul" et "chats-plusieurs".
Dans les langues indo-européennes, et sans doute dans la plupart des langues du monde (c'est ce qu'on appelle un "universal de tendance"), on dira donc que l'état positif est
l'état non marqué. Pour indiquer le positif, je ne mets rien, et pour indiquer l'état négatif, j'ajoute une particule le plus souvent héritée de ce *nē, parce qu'il n'y a pas de raison que ce mot, monosyllabique et renvoyant au signifié le plus simple qui soit, évolue beaucoup (comme le verbe être : he is, er is, il est, est', etc. (mais il y a des exceptions sur la forme : οὐκ en grec ancien, δεν en grec moderne).
Si c'est un "universal de tendance", c'est que cela correspond au fond à une relative nécessité du point de vue "pragmatico-référentiel", c'est-à-dire par rapport à la façon par laquelle la langue "se débrouille" avec le réel, et permet une action sur lui. Fondamentalement, dans la vie, je constate d'abord CE QU'IL Y A : "attention : un mammouth !" dit l'homme des cavernes, " oh 'gade le ouaouah" dit l'enfant de trois ans.
Si j'exprime ce qu'il n'y a pas, c'est pour constater un manque par rapport à un état positif que j'espérais ou craignais ("on peut s'installer dans cette caverne, il n'y a pas d'ours" dit avec satisfaction l'homme de Cro-Magnon, "a pu le ouaouah ?" constate avec tristesse la bambin qui s'attendait à le trouver), ou pour mettre fin à un enchaînement causal ressenti ou présenté comme inéluctable ("non, Monsieur Weinstein, je ne veux pas coucher avec vous", dit la jeune actrice).
De ce fait, le "oui" et le "non" ne sont pas tout à fait sur le même niveau. La négation "pragmatique" ("non / no / nein") dérive de la négation phrastique ordinaire ("ne...pas" / not / nicht") : on continue de voir le rapport avec la première moitié) ; en latin, d'ailleurs, comme encore en italien, il n'y a pas de différence entre les deux, sinon d'accentuation (non / no). Alors que l'affirmation pragmatique ("oui")... bin ne dérive de rien du tout.
Donc, pour le "oui", les langues se débrouillent... D'ailleurs pas forcément avec un seul mot : "I do", "en effet", "c'est celaaaa !..." ; en latin ou en grec ancien, la formule la plus courante consiste à répéter le verbe de la phrase, et on apprend aux élèves "qu'il n'y a pas de mot "oui" en latin"...
Cela dit, ils utilisaient
ita ou
sic qui veulent dire "ainsi, de cette façon".... Du second descendent
si en français, italien, espagnol, etc.
Le "oui" français (< "oïl" en... langue d'oïl !) vient sans doute de
hoc ille, ce qui traduirait littéralement par "ceci <est> cela !", mais correspond en fait exactement au fameux "c'est celaaaa" de Thierry Lermitte !
Ja et
yes (< *ja+so) ont la même origine, et d'ailleurs,
ja s'utilise encore comme particule de phrase soulignant une évidence en allemand (
es ist ja bekannt, dass..., "il est bien connu que, personne ne peut ignorer que..."). Il me semble que c'était le cas aussi pour
da en russe, au moins dans un russe un peu archaïque (Svernoux ?) :
Particle
да • (da)
let (+ conjugated verb), may (+ conjugated verb)
да бу́дет так ― da búdet tak ― so be it
И сказа́л Бог: да бу́дет свет. ― I skazál Box: da búdet svet. ― And God said: let there be light.
Да здра́вствует респу́блика! ― Da zdrávstvujet respúblika! ― Long live the republic!
(
https://en.wiktionary.org/wiki/%D0%B4%D ... mology_1_3)
Donc je résume :
- La négation, on a besoin de la dire, donc on a un mot hérité pour ça.
- L'affirmation, on n'a pas besoin de la dire, donc quand vraiment on veut la dire, on se débrouille avec ce que l'on a.