En tout cas, ce premier exemple me semble contredire ta première affirmation, selon laquelle les catastrophes du biliguisme seraient dues au dénigrement d'une des langues. Dans le cas de ton amie, il n'y pas de signe de dénigrement, si ? Je suppose donc que tu la classes dans la catégorie des victimes du libéralisme parental : mais à mon avis, ce n'est pas si rare que ça.
Oui, je faisais entrer son cas dans le deuxième groupe. Disons qu'ici, il n'y a pas dénigrement actif, conscient, ou systématique ; d'après ce que j'ai compris, le français restait utilisé dans le cadre familial (mais concurrencé par l'anglais, en fait). Mais d'une certaine manière, il y a quand même "inassumation" (pas très joli
; en théorie je devrais écrire "inassomption" comme consumer/consomption ou présumer/présomption, mais c'est encore pire - revenons à nos moutons), il y avait inassumage, donc, de la culture d'origine. Autant que je sache, les parents étaient commerciaux et non diplomates, utilisaient l'anglais plus souvent que le français, et ne regardaient pas avec beaucoup d'intérêt leur patrie d'origine (la Belgique). L'idée dominante était que leurs enfants devaient être "comme les autres"...
... Ann avait évoqué cette sorte de différence que peut ressentir un enfant billingue. Le neveu d'une ex-copine de mon cousin (la fameuse histoire du fils de la tante de l'oncle du beau-frère de etc.
) avait une mère française et un père italien, et qui plus est des tantes françaises et des oncles italiens. Du coup, dans ses premiers temps, il parlait systématiquement français aux femmes et italien aux hommes. Il a mis un peu de temps et pas mal de situations farfelues pour comprendre que non, il n'était pas né dans une de ces peuplades amérindiennes où la langue varie avec le sexe !
Cela étant, mon opinion personnelle est que les enfants vivent beaucoup mieux les différences que ne le croient les adultes. D'un certain point de vue, j'ai été très "différent" à la maternelle (le seul "blanc" !), et je n'ai pas souvenir que cela m'ait pesé plus que ça.
Enfin, en tout cas mon j'en connais plein des comme ça, et c'est justement ça qui me fait peur. Pour moi, ta copine n'est pas du tout bilingue, elle fait juste partie de la horde de personnes qui se prétendent bilingues juste parce qu'il ont un père ou une mère de telle origine.
Elle est bilingue au sens où, dans une situation d'énonciation (soyons technique) identique et "d'élévation intellectuelle" basse, elle a réellement à sa disposition deux codes. S'il s'agit de discuter d'un programme télé ou d'essayer une robe, elle ne traduit pas, elle pense directement dans une langue ou dans l'autre. A priori, je pense que dans le cas sus-mentionné du coup de marteau, il y a une probabilité égale qu'elle dise "putain de marteau" que "fucking hammer". Mais son français est celui d'une lycéenne peu cultivée qui regarde Star Ac', tandis que son anglais est celui d'une étudiante normalement douée qui lit
Le Monde.
Je crois que les parents doivent effectivement encadrer tout ça correctement et non pas leur apprendre n'importe quoi, à la va-comme-je-te-pousse. C'est pourquoi (comme Ronan), je me renseigne à l'avance pour pouvoir faire au mieux. Et je suis d'accord avec la vision que tu exprimes à la fin, à savoir :
1-pousser un peu les enfants pour qu'ils apprennent correctement mais
2-ne pas faire du bilinguisme un objectif à tout prix, que cela reste assez naturel.
Mais c'est vrai que dans la pratique, je ne sais pas trop comment ça se passe pour arriver à joindre les deux idéaux !
Je crains qu'entre l'idéal des parents et la réalité des enfants, il y ait toujours un gouffre... M'enfin on peut au moins faire en sorte qu'il ressemble à un petit torrent alpin plutôt qu'au Grand Cañon.