Avant-hier, j'ai discuté avec une amie qui avait lu cinq livres de Coelho. Comme pour Svernoux, elle me dit que son intérêt a diminué quand elle a eu l'impression que la série semblait se rapporter de plus en plus à une secte. Elle parlait d'invitations à joindre un groupe. Je n'en sais pas plus...
Mais c'est à suivre.
Mise à part cette question de secte, il y a bien des raisons pour lesquelles je trouve L'Alchimiste inquiétant (en commençant par les aspects les moins graves).
1.
Le travail d'écriture : sur le plan littéraire, le livre me paraît vide de littérature. Je n'ai eu aucun plaisir à lire ces phrases peut-être mal traduites, mais qui en tout cas semblent tout juste parvenir à assumer une fonction utilitaire de base (manque de clarté parfois, mélange de niveaux de langue, enchaînements parfois difficiles), et qui ne forment pas un style caractéristique.
2.
L'histoire : je n'ai rien contre les romans philosophiques, pourvu qu'ils aient une histoire. Je trouve ce qui est raconté dans L'Alchimiste d'un ennui incroyable. J'ai réussi à lire le roman au complet par solidarité avec un autre lecteur (on s'était mis au défi). Les événements de l'histoire ne sont pas prévisibles, mais tous les commentaires sur ces événements le sont. On les voit venir de loin. Le texte manque énormément de subtilité quand le narrateur tente de nous ouvrir les yeux sur le sens de la vie.
3.
Le propos : pour mon plus grand malheur, le sens de la vie (tel que présenté dans ce livre) va à l'encontre de mes valeurs! Ça commence donc très mal.
4.
Le discours : surtout, cette philosophie fait l'objet d'un discours manichéen qui m'horrifie, un discours où on a le choix entre être dans la vérité ou être dans l'erreur. Ça laisse très peu de place à la créativité (voir ci-dessous pour plus de détails).
Je pense que l'écriture de Coelho est malhonnête. Le propos philosphique du roman présente un seul point de vue possible (la vérité). Je m'attends à autre chose de la littérature, qui est pour moi un monde de possibilités infinies. Je m'attends à pouvoir utiliser mon imagination en lisant. Mais du début à la fin de ce roman, on insiste pour dire qu'il n'y a qu'un seul chemin, qu'il ne peut en être autrement de tout ce qui arrive au personnage principal.
Également, ce qui me fait bouillir, c'est que les arguments de la thèse de ce livre sont entièrement et uniquement soutenus par un emballage d'images dont la fonction consiste à impressionner et à séduire.
Par exemple : l'image du jeune homme poursuivant une quête spirituelle, celle du vieux sage qui sait lire dans les pensées, des lettres majuscules utilisées en abondance (les Guerriers de la Lumière, l'Âme du Monde, etc.), le dialogue avec le divin, l'enseignement précieux des animaux et de la nature, des gestes et des propos auréolés de mystère. En réunissant quelques-uns de ces éléments, on peut alors démontrer tout ce qu'on veut et faire croire n'importe quoi. C'est là un procédé très convaincant, peu importe le propos qu'on fait soutenir aux images en question.
Le discours de ce roman prend souvent une forme arrogante, propre au discours de ceux qui
savent. Par exemple : « Et il avait compris qu'il y a certaines choses qu'on ne doit pas demander - pour ne pas échapper à son propre destin. » Même le personnage principal est arrogant, par exemple, lorsqu'il dit à un autre personnage : « Je cherche ma Légende Personnelle. Quelque chose que tu ne pourras jamais comprendre. »
Étudions maintenant la première phrase du quatrième de couverture de
L'Alchimiste (dans sa traduction française aux éditions du Livre de poche), qui en dit long, elle aussi :
Pour des millions de lecteurs dans le monde, ce livre a été une révélation : la clef d'une quête spirituelle que chacun de nous peut entreprendre, l'invitation à suivre son rêve pour y trouver sa vérité.
1.
Pour des millions de lecteurs dans le monde : si la popularité du livre est une raison qui devrait m'amener à le lire, je trouve que c'est bien faible, et même un peu louche - comme si le contenu du livre n'était pas suffisant pour que celui-ci soit digne d'intérêt;
2.
Ce livre a été une révélation : pourquoi est-ce que j'aurais envie d'avoir une révélation? (ça dépend, mais beaucoup n'ont pas envie d'un livre leur annonçant qu'ils auront une révélation);
3.
La clef d'une quête spirituelle que chacun peut entreprendre : observer les signes pour y trouver sa légende personnelle (sa vérité, son destin, etc.), cela me paraît vide de sens et même dangereux. Une telle quête peut mener à n'importe quoi et être parsemée de frustrations et de déceptions;
4.
L'invitation à suivre son rêve : c'est charmant comme idée, au départ, mais j'ai vraiment l'impression que le rêve du personnage n'est pas le sien. Il semble appartenir à autre chose. Le personnage lui-même ne semble pas s'appartenir;
5.
Pour y trouver sa vérité : voilà une fin très vague. Qu'est-ce que ça veut dire, trouver sa vérité? Savoir qui on est? Non parce que le personnage n'aborde pas ce sujet, et il est d'ailleurs complètement désincarné. Ou bien est-ce plutôt le fait de trouver son destin? Ou sa mission? Encore une fois, je ne veux pas de destin, non merci. Et mes nombreuses missions
, je préfère les choisir moi-même.
À mon sens, si je me mets à vivre un peu comme ce que suggère
L'Alchimiste en essayant d'interpréter des signes, dans une quête de sens et de vérité, je risque de frapper un mur plusieurs fois dans ma vie. Je risque d'imaginer un tas de choses qui ne se réaliseront pas, être incomprise des autres dans mon discours, accorder moins de valeur à mon jugement rationnel. Je pourrais peut-être aller jusqu'à me croire douée de facultés perceptives exceptionnelles, puis sombrer dans la déception dès qu'une erreur devient flagrante. Rendue à ce point, je pourrais même me dire que c'était écrit dans le ciel, et que j'ai tout simplement mal lu les signes (par ma très grande faute)
, ou peut-être encore que je méritais au fond tout ce qui m'est arrivé de mauvais, que ces déceptions faisaient partie de ma légende personnelle. Je pourrais aussi croire que ce qui m'est arrivé de bon, je dois le payer d'une façon ou d'une autre (c'est du moins ce qui est dit dans L'Alchimiste, page 39 de mon édition).
Ainsi, je risque de faire des choix (de voyage, de carrière, amoureux, etc.) en étant guidée par autre chose que mes propres désirs, ou encore uniquement par des envies ponctuelles et sans égard au reste, croyant qu'elles me porteront quoi qu'il arrive vers ma légende personnelle et que tout l'univers va conspirer pour que j'atteigne mon but (également écrit tel quel à la page 81).
Tout ceci est selon moi passablement dangereux comme croyance.
La légende personnelle du personnage de ce livre est une légende qui existe avant lui : elle le précède. Le personnage n'a donc pas vraiment reçu le cadeau de la liberté à sa naissance (et à ce compte-là, à quoi bon continuer, si tout est écrit d'avance?).
De plus, cette légende personnelle ne peut pas lui être révélée, sauf dans des signes que le personnage devra interpréter tout au long de sa quête. Cela dit, rien ne pourra lui indiquer s'il a bien interprété ces signes ou non, mis à part d'autres signes peut-être, qui eux-mêmes ne pourront pas être confirmés, et ainsi de suite. Brrr! Pour ma part, ça me donne froid dans le dos. Ce n'est pas une vie, c'est de la perdition totale!
Pour terminer
, j'ai retrouvé un passage frappant dans ce livre : le personnage tombe amoureux d'une fille après l'avoir vue une seule fois, sans la connaître. Pas de problème, habituellement, j'accepte volontiers une telle fantaisie dans les contes. Mais ici, il s'agit bien d'un roman philosophique qui doit nous faire des révélations sur la vie! D'ailleurs, il ne tombe pas amoureux de la fille, mais c'est peut-être pire : il SAIT subitement qu'elle est la femme de sa vie.
Dès le lendemain de leur première rencontre, il va la trouver et lui dit qu'il l'aime et qu'il veut se marier avec elle. Bon. La fille semble être d'accord, en plus. Voilà qui est excellent pour la cohérence de l'argumentaire. Parce qu'en effet, l'auteur ne peut pas amener la fille à se demander « Mais qui c'est, celui-là? ». Pourquoi? Parce que TOUT dans l'histoire doit être au service de la thèse de l'auteur. Les désirs ou la vie d'un personnage secondaire ne pourraient donc pas avoir autant d'importance que la légende personnelle du personnage principal.
Donc, euh, si tout le monde a bien compris, je n'aime pas
L'Alchimiste de Paulo Coelho.
Ce n'est rien de personnel, Paulo, je t'assure.
(Et j'espère que les lecteurs de Coelho m'aimeront encore, même si mon opinion est aussi tranchée, étant tout de même consciente que c'est surtout une question de goût et de point de vue.)
J'aimerais bien trouver un roman qui aborde le thème du personnage pourchassant les signes avec candeur mais sans grand succès.
Pour l'instant, je me rappelle du film allemand
Julie en Juillet de Fatih Akin (
Im Juli, sorti en 2000), que j'ai bien aimé, avec d'excellents acteurs et pas mal d'action. Mais il existe sûrement d'autres films ou des romans qui traitent du même thème.