Quelle histoire enseigner à l'école?

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foryoureyesonly
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Quelle histoire enseigner à l'école?

Post by foryoureyesonly »

cet article publié le 24-10-2003 sur le site www.la-croix.com

Fait religieux, guerre d'Algérie, victimes du goulag, génocides juif et arménien: l'enseignement de l'histoire suscite parfois des polémiques et des controverses au lycée ou au collège.

Chaque année, Annie Luget demande à enseigner à des classes de troisième. Ce n'est pas son choix, mais sa vocation. Professeur d'histoire-géographie depuis 1986 en Seine-Saint-Denis et, cette année, à Paris, elle se passionne pour l'histoire contemporaine au programme de la dernière année de collège. L'enseignante sait pourtant que la situation est devenue plus difficile depuis quelques années. Récemment, un parent d'élève l'a accusée d'antisémitisme auprès de sa direction. Quelques heures plus tôt, elle venait d'expliquer à ses élèves que les Palestiniens avaient été expulsés de leurs maisons en 1949 par l'armée israélienne.

Chaque année, il lui faut aussi affronter des réflexions négationnistes d'élèves quand elle aborde la question de la Shoah. Mais Annie Luget n'en est que plus attachée à sa mission. « Ne jamais déroger à la réalité historique. Tout n'est pas relatif. On ne peut pas réécrire l'histoire comme on le veut. Le jour où je n'oserai plus parler de la guerre d'Algérie par crainte des réactions, alors je me demanderai si je dois encore enseigner.»

Depuis une époque assez récente, qu'Annie Luget fait coïncider avec le déclenchement de la seconde Intifada, l'enseignement de l'histoire subit de plein fouet la montée des réflexes communautaristes en France. Il devient parfois délicat d'aborder le fait religieux et, surtout, les sujets d'actualité qui fâchent. C'est précisément pour désamorcer ces crispations que les programmes scolaires avaient marqué un tournant il y a une vingtaine d'années en introduisant l'étude du monde contemporain.

L'histoire contemporaine a fait son retour dans les programmes dans les années 80

«Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Jeanne d'Arc, Bayard, tous nos héros du passé...», affirmait Ernest Lavisse à la fin du XIXe siècle. C'était il y a un siècle, mais pas une éternité. Car le célèbre manuel de l'historien fut réédité en France jusqu'à la fin des années 1950. Quant à l'esprit Lavisse, qui donne à l'histoire de France l'éclat d'une légende dorée, perlée de dates et de hauts faits, il imprégna plus longtemps encore certaines salles de classes. Jusque dans les années 1970, les programmes scolaires s'arrêtent à la Seconde guerre mondiale. Mais cette façon de faire l'histoire, qui place le passé à distance pour en faire un objet de connaissance objective, va petit à petit être remis en cause.

En 1978, la création de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP) consacre le renouveau de l'histoire contemporaine. Dans l'éducation nationale, les nouveaux programmes élaborés par Dominique Borne et Serge Berstein vont à leur tour marquer l'arrivée en force de l'histoire contemporaine au milieu des années 1980. Depuis, les nouvelles versions des programmes ont toujours confirmé ce parti pris.

«Enseigner le temps présent permet d'entrer dans la complexité de l'histoire, d'écarter l'idée d'une fatalité du cours des événements», explique ainsi François Dosse, chercheur à l'IHTP et maître de conférence à l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Versailles. «Avant, l'histoire n'était qu'une succession de dates et de faits, continue-t-il. Aujourd'hui, la prise en compte de l'actualité permet de privilégier l'interprétation sur le côté univoque du fait.» Enseignant en collège en Gironde, Olivier Moranvilliers témoigne dans le même sens : «L'histoire n'est pas une réalité, l'histoire est un récit, explique-t-il. Mon travail est d'amener les élèves à une intelligence de l'histoire à un instant T. Le regard que l'on porte sur un événement est toujours celui d'une époque.»

En 1982, on pouvait s'interroger sur les grèves dans les chantiers navals de Gdansk. Traduisaient-elles les difficultés économiques d'un pays ou annonçaient-elles le début de la fin pour la Pologne communiste ? On pouvait hésiter mais personne, à l'époque, n'aurait imaginé l'effondrement du mur de Berlin sept ans plus tard. De même, on peut se demander aujourd'hui ce que signifient les attentats du 11 septembre à Manhattan. À partir de quand un fait d'actualité devient un sujet d'histoire, interprétable, que l'on peut mettre en perspective ? «Immédiatement, répond François Dosse. Il n'existe pas de rupture dans le fil des événements. Le temps d'imprimer les manuels scolaires, et l'actualité prend sa place?»

Nombre de profs considèrent l'actualité comme une utile mise en perspective

Dans ces conditions, quelle distance prendre vis-à-vis d'une histoire en train de s'écrire et avec quelle objectivité en parler ? Enseignant en lycée à Fontainebleau, Éric Legay prône une certaine prudence. Il insiste sur le délai, si ténu soit-il, qui sépare le présent du passé. «En terminale, le programme s'arrête en 1991. Les instructions officielles conseillent d'utiliser l'actualité immédiate comme des «documents d'accroche». Cela permet d'entrer dans un cours, d'aborder un chapitre d'une autre façon. Mais ce n'est pas un sujet d'étude en soi. Il ne faut pas confondre le travail du journaliste, qui est de rendre compte du présent, avec celui de l'historien, qui est d'expliquer dans quelle évolution se situe un événement. C'est le temps qui donne du sens à l'événement. »

Annie Luget, elle, a moins de retenue que son collègue. La guerre en Irak, les attentats du 11 septembre, l'élargissement de l'Union européenne : tous les grands événements de la planète trouvent un écho dans ses cours. «On dit que l'histoire doit prendre ses distances par rapport aux mémoires personnelles. Moi, je pense qu'on n'en est plus là. Les jeunes que je vois ne reçoivent rien de leurs grands-parents. Ils sont coupés d'un récit familial. Ils confondent tout. Les réactions extrêmes que je perçois sont toujours l'expression d'une très grande ignorance.»

Cela dit, aborder le monde contemporain, risquer des allers-retours entre le temps présent et le passé fait appel à une méthodologie professionnelle. Aujourd'hui, tous les programmes insistent sur un très gros travail à faire sur les sources. On les cite, on les identifie. Une photo, un témoignage, un document ancien ou un extrait du journal de 20 heures, les élèves apprennent à les décortiquer. De plus, les enseignants sont invités à croiser le plus possible les disciplines d'histoire, de géographie et d'instruction civique. «Par rapport à une époque où l'on insistait davantage sur des clés de lecture politiques de l'histoire, on travaille plus aujourd'hui en donnant des faisceaux d'explication», explique Olivier Moranvilliers. Ainsi lorsqu'il aborde le chapitre de grandes puissances depuis 1945, l'enseignant présente-t-il leurs données économiques, géopolitiques, démographiques ou culturelles.

L'histoire est de plus en plus rapprochée de la géographie et de l'éducation civique.

On peut toutefois se demander si, alors même que l'adhésion aux valeurs républicaines paraît fragilisée, cet effort accompli pour donner une intelligence de l'histoire globale du monde n'introduit pas trop de subjectivité. Éric Legay s'inquiète d'un certain manque de culture historique chez les jeunes. «Au lycée, on remet les choses en place en terminale quand on s'aperçoit qu'il y a des trous. Mais au collège, certains élèves sortent de troisième avec un déficit de repères chronologiques et de dates clés.» Patricia, enseignante dans une ZEP de banlieue parisienne, ne partage pas ces scrupules. «De toute façon, estime-t-elle, quand on parle de la Renaissance ou de la IIIe République, cela leur passe complètement au-dessus de la tête. Il faut avouer que l'histoire de France a du mal à passer. Partir de ce que les jeunes voient à la télévision, croiser l'histoire avec la géographie et l'instruction civique, c'est répondre clairement à notre projet de former de futurs citoyens. »

La jeune enseignante illustre ainsi clairement l'évolution d'une discipline qui s'est nettement démarquée d'une approche tout académique. Comme l'expliquait récemment le doyen de l'Inspection générale d'histoire, Michel Haignerelle : « Nous sommes passés d'une discipline de connaissance culturelle à une discipline d'enjeux. Notre mission est bien d'aider l'élève à comprendre le monde dans lequel il vit. »



Bernard GORCE
L'héroïsme au quotidien n'est pas dans une attitude défensive mais dans le positionnement tranquille.
- Jacques Salomé
MaisseArsouye
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science et vie

Post by MaisseArsouye »

Bien que n'étant pas français, j'ai lu avec attention un dossier de science et vie traitant de ce sujet. C'était le numéro d'août, je pense. Je peux vérifier pour ceux que ca intéresse.

Mais la situation n'est pas brillante chez nous non plus...
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