La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

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Sisyphe
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La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

Post by Sisyphe »

:-? Un article de Libération qui fera écho à divers échanges que nous avons pu avoir ici même ces dernières années :

https://www.liberation.fr/france/2018/1 ... on_1688442
Ils sont invisibles et omniprésents du début de la procédure au procès : les interprètes et traducteurs sont un rouage incontournable de la machine judiciaire. Mais ils ne sont pas assez nombreux et peu formés et le système D est parfois le seul recours.
Certains passage font réfléchir le simple justiciable que je suis :
En théorie, les services de police, de gendarmerie et de justice contactent d’abord les experts judiciaires inscrits auprès de la cour d’appel. Ils sont les seuls à avoir une obligation de formation et d’expérience. S’ils ne sont pas disponibles, il existe aussi les interprètes sur la liste du tribunal de grande instance - normalement habilités à des missions circonscrites au cadre du code du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais il n’est pas rare que des non-professionnels se retrouvent au tribunal ou au commissariat au seul motif qu’ils sont disponibles.
En septembre 2017, l’avocat Pascal Zecchini a obtenu une nullité de procédure pour un Algérien mineur jugé pour un vol à l’arraché. Le soir de sa garde à vue au commissariat de Toulon, aucun expert n’est disponible. Les officiers de police judiciaire demandent l’aide de la femme de ménage arabophone, qu’ils connaissent bien. La procureure a reconnu que son «objectivité» pouvait être déniée «au vu de ses fonctions assurées au commissariat de police», rapportait Var-Matin.
D'une façon générale, je me demande comment un interprète réussi à rester toujours "neutre et immédiat". Quand il faut traduire "même les insultes" ainsi que le dit l'article. D'autant que rien n'est plus difficile à traduire que des insultes* et que (je parle d'expérience), avec certains "publics", elles peuvent être très créatives - tout en se disant qu'on s'adresse à un commissaire ou à un président de cours.

Un petit exemple : je regardais récemment une émission consacré à l'éditorialiste et provocateur américain "libéral" (i.e. de gauche) Bill Maher ; il commentait le meme "féministe" suivant : "a woman should be... whatever the fuck she wants"... Le sous-titre disait "une femme doit être... ce qu'elle veut être et elle vous emmerde ; l'un dans l'autre, c'est assez loin... Mais c'est vrai que je ne vois pas comment rendre la chose.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
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svernoux
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Re: La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

Post by svernoux »

Oui, cet article a été très relayé chez les traducteurs...
Certaines choses qu'on y lit sont effarantes, et heureusement il y a aussi parmi les experts de vrais pros qui font bien leur travail, mais il y a aussi bien pire que ce que dit l'article. Par exemple, tu cites le passage sur l'obligation de formation et d’expérience, c'est vrai et c'est mieux que rien que cette règle existe, mais enfin, si on regarde concrètement les listes des experts... Tu regardes par exemple les experts en cardiologie, ben c'est des cardiologues, diplômés évidemment. Les experts en cancérologie, des cancérologues. Tu ne t'attends pas à ce que les experts en médecine soient des pharmaciens, des vétérinaires, des infirmiers, voire des aide-soignants ou des secrétaires médicaux ? Logique. Ben si tu regardes la liste des traducteurs et interprètes... Je le redis, on y trouve des gens très bien, y compris des collègues et amis super compétents. Mais on y trouve aussi des gens dont la seule qualification est par exemple (et je cite) : bac D, licence en psychologie, licence de pilote en ligne, diplôme en hôtellerie et restauration, maîtrise d'architecture, BEP prothésiste dentaire, diplôme d'aide-soignante (tiens !). Ou même rien du tout. Bon, c'est juste un petit florilège pour rigoler, mais je ne sais pas si ça fait rigoler tant que ça.
Le problème, comme d'habitude, c'est que les conditions de travail des experts sont exécrables. Donc, si tu veux attirer des professionnels, c'est très compliqué. Sur des langues rares, ça peut intéresser certains pour remplir leur carnet de commandes. Mais sur des langues courantes, on sait que devenir expert, c'est plutôt un engagement citoyen, par conviction, que véritablement quelque chose d'intéressant professionnellement.
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Andergassen
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Re: La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

Post by Andergassen »

Pour résumer, il faut traduire les traducteurs incompétents en justice. :prof:
Par de bons mots foudroyons la sottise, craignons le sang ; ne versons que le vin.
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Latinus
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Re: La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

Post by Latinus »

"whatever the fuck/hell", c'est pour moi du "peu importe" version emphase amerloquétazuienne voulant indiquer qu'il n'y a pas d'exception.

Une femme devrait être... on s'en fout/branle/tamponne, ce qu'elle veut !
Les courses hippiques, lorsqu'elles s'y frottent.
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Re: La justice lost in translation (les traducteurs en justice...)

Post by ElieDeLeuze »

Latinus wrote: 02 Nov 2018 22:45 "whatever the fuck/hell", c'est pour moi du "peu importe" version emphase amerloquétazuienne voulant indiquer qu'il n'y a pas d'exception.

Une femme devrait être... on s'en fout/branle/tamponne, ce qu'elle veut !
Dans mon enfance, on disait assez volontier un "putain de" inséré un peu partout. Donc : Elle fait ce qu'elle a putain d'envie.
Ca faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de le redire... :lol:

Tout ceci pour dire que dans certains domaines, l'expertise vaut que dalle alors que dans d'autres, elle est sacralisée. C'est le reflet des valeurs qui président aux professions de prestige. Je deviens sur mes vieux jours plus bourdieusien qu'il me plairait d'être. Personnellement, je suis POUR les annulations de procédure en masse à chaque fois qu'il n'y a pas l'expert traducteur et à l'heure ! La rémunération est liée au statut social, rien d'autre. Je suis aussi nitzschéen sur le tard, car une société aux valeurs statutaires aussi perverses mérite largement de sombrer dans le chaos.

Bon, je suis un peu excessif mais vous voyez l'idée.
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