Bon, on va essayer d'avoir une opinion là-dessus...
C'est déjà difficile, car l'article est inaccessible. On est condamné à faire confiance au résumé et à ce qu'en a compris le journaleux du lien donné par Koko...
Ensuite, un peu de méthodologie rechercheuse : certes,
Science est une grande revue, tout ce qu'il y a de plus
peers-reviewed comme disent les Anglo-saxons. Mais ça ne veut pas dire que tout ce qui est dedans est juste. Ni même que ses
reviewers soient eux-mêmes convaincus que l'article est valable. Mais simplement qu'ils ont validé le processus de recherche... J'irai pas jusqu'à dire qu'il y a des relecteurs qui laissent passer des articles rien que pour le plaisir de les démolir ensuite, mais en fait zut je l'ai dit. Souvenez-vous aussi que LA grande rivale de
Science, à savoir
Nature, avait publié l'article sur la "mémoire de l'eau" de Jacques Benveniste, qui a fini en farce. Bref : une thèse n'est pas un fait.
Sur le fond, Olivier a déjà tout dit. Mais je vais insister un peu :
1) D'abord, il faudrait savoir si l'on parle de phonème au sens phonologique, au sens phonétique ou pire encore de
traits phoniques (les clics sont un trait phonique ! Comme les sourdes ou les aspirées par exemple). Mais prend-il en compte les phénomènes suprasegmentaux, comme les tons du chinois par exemple ? Ca modifie profondément la donne. Le système vocalique du chinois est maigrichon sans les tons, mais avec...
2) Ce que je crois comprendre, c'est que plus on s'éloignerait du foyer primitif et moins les êtres humains utiliseraient la variété des sons physiquement émissible par leurs organes phonatoires. Acceptons un instant l'idée d'un "foyer initial" : en gros, c'est comme si je laisse tomber une grosse tache de peinture sur un support humide, le coeur de la tache reste coloré tandis que les tons s'éclaircissent vers les bords.
Sauf que toute zone est le produit d'invasions et de réinvasions linguistiques successives (qui soit dit en passant ne recoupent pas forcément des invasions humaines au sens propre mais c'est un autre débat !). À peine sorti de l'aire khoïsane, on tombe sur l'océan des langues bantoues ! Je sais pas trop où en est la question trèèèèès compliquée et trèèèèès politique du "phénomène bantou", mais d'une façon ou d'une autre, les langues bantoues sont historiquement secondaires. Sans compter que très vite j'arrive aux langues exogènes : l'anglais, l'afrikaans, l'arabe. Bref, c'est une vrai palette.
Alors, je veux bien qu'on me dise que les phénomènes phonétiques sont souvent aréaux et non pas génétiques : on trouve les mêmes sons dans toute l'Inde (notamment les "cérébrales") alors que les groupes sont différents (indo-aryens au Nord, dravidiens au Sud), le système phonétique du roumain doit beaucoup aux langues slaves, etc. OK, mais alors il y a un problème méthodologique de fond : si on dit que le phénomène est aréal, c'est-à-dire non-génétique, comment peut-on prendre en compte ensuite la génétique des langues pour (nouveau saut intellectuel) en déduire une génétique humaine ?
Tel que l'article est présenté (je vais essayer de dégoter l'original), on est encore, et une fois de plus, et toujours dans une de ces théories à la Swadesh-Ruhlen, dont l'intérêt scientifique est inversement proportionnel à l'éclat médiatique (tiens, j'ai oublié de dire du mal du dernier article sur l'indo-européen de Pour la Science dont on parlait l'autre jour). Ca repose toujours sur les mêmes absurdités :
- Un point de départ unique, qui fait oublier tout le reste. Ici la phonétique (au détriment de la morphologie par exemple) ; mais à ce titre, je pourrais tout aussi bien dire que l'espagnol et le japonais ont pratiquement le même inventaire vocalique, et donc sont apparentés
. Ailleurs, ce sera un mot de vocabulaire, qu'on va retrouver dans toutes les langues, à condition d'accepter tous les changements possibles et imaginables ("ceci est la hache authentique d'A. Lincoln, à l'exception du manche, de la lame et des vis").
- L'idée globale d'une chronologie linguistique univoque : ici, la perte graduelle de la complexité des phonèmes. Chez d'autre, la "glottochronologie" (l'évolution des langues se ferait à vitesse constante, donc on peut dater les langues comme avec le carbone 14). Sauf que dans tous les cas où l'on dispose de données sur plusieurs millénaire (trois pour le grec et les langues indo-aryennes quand même !
), ça marche pas du tout, ni dans le détail (indo-européen -> latin = perte de deux cas sur huit, 25% de perte sur plusieurs millénaires, latin -> ancien italien, perte de cinq cas sur six, 83% sur quelques siècles !), ni même d'une façon générale (une "vitesse moyenne"). Intuitivement, je dirais la même chose pour l'hypothèse ici présentée : RIEN ne montre dans le domaine roman par exemple une quelconque gradation ! L'espagnol a un système et vocalique et consonantique assez réduit, le portugais a un système consonantique complexe et un système vocalique inouï ! C'est pourtant le même sous-sous-sous-sous-sous-groupe !
- L'assimilation entre histoire des langues et histoires des peuples, auxquelles on mêle des visions généticiennes, d'ailleurs souvent simplistes : comme l'a rappelé Svernoux, l'out-of-Africa n'est plus l'hypothèse unique. Je ne m'aventurerai pas sur le domaine génétique, car je n'y connais rien
; mais je veux bien que l'on justifie une hypothèse par une certitude : on SAIT que le peuple A s'est trouvé un moment sur le territoire Z actuellement occupé par une langue B, donc on AVANCE l'idée que la langue B aurait un substrat A par exemple, cf. les hypothèse d'un des Falc'huns sur le substrat gaulois dans le breton (
Maï ?), OK. Mais là, on justifie une hypothèse par une hypothèse !
Je vous renvoie définitivement au bouquin de Sylvain Auroux,
La Question de l'origine des langues, aux PUF. C'est court. Mais pas encore assez pour les journalistes.