svernoux wrote: ↑30 Jan 2020 17:18
Baaaah, je sais pas du point de vue de Sisyphe... Mais du point de vue des Russes, le L français est "mou", alors qu'eux en ont un autre qui est dur.
Honnêtement, moi j'avais jamais entendu parler de "dur" en français, mais c'est Sis l'expert
Aaalors. Il faut comprendre trois choses :
1) Il ne faut pas confondre la phonétique, qui étudie les sons le plus précisément possible, la façon dont il se font dans le canal bucco-pharyngal, et la phonologie, qui étudie les sons tels qu'ils sont perçus dans une langue. On note en théorie la phonétique entre crochets et la phonologie entre barres obliques. En français par exemple, je ne prononce pas réellement de la même façon le premier et le dernier /r/ du mot
prêtre, mais la plupart des gens n'en ont pas conscience. Et même, que je prononce le /r/ de façon uvulaire comme la plupart des Français [ʁ], ou roulé [r] comme les vieux de Bourgogne, ou [χ] comme mes gamins de banlieue, je le perçois toujours comme un seul son /r/, je ne peux pas opposer deux mots différents (donc en théorie, les dictionnaires devraient utiliser des barres pour indiquer la prononciation, car elle est phonologique).
2) L'opposition "dur ~ mou" est toujours tendancielle dans une langue donnée. Un phonème est éventuellement "plus dur" qu'un autre qui est "plus mou". Mais aucun son n'est par lui-même dur ou mou. Ce n'est pas comme l'opposition sourde/sonore qui est objective : si ma pomme d'Adam vibre, c'est sonore, sinon c'est sourd, dans quelque langue que je sois.
3) C'est une terminologie un peu maladroite, raison pour laquelle il vaut mieux dire "tendu / non tendu".
D'un point de vue phonologique, les Russes opposent <лъ> dure et <ль> mou (en transcription savante :
l'' et
l' - sauf que je crois savoir qu'on ne met plus beaucoup le signe dur depuis Lénine). Sauf que le /l/ "dur" est d'un point de vue phonologique un [ɫ], celui que les Anglais appellent un "dark L" (celui de
well) ; alors que le /l/ "mou" est un [l] plus classique à son départ mais palatalisé dans la suite de la prononciation : [lj]. Autrement dit, les Russes n'ont jamais le [l] français "tout court", sans palatalisation subséquente.
Autrement dit d'une autre façon
, j'ai :
<лъ> = [ɫ] = spirante voisée latérale alvéolaire vélarisée = je mets le bout de la langue dans le creux des dents et je fait passer l'air sur les côtés en faisant vibrer ma pomme d'Adam mais en rétractant un peu le tout.
<L> français = [l] = spirante voisée latérale alvéolaire non vélarisée non palatalisée = je mets le bout de la langue dans le creux des dents et je ne la bouge plus et je fais passer l'air sur les côtés en faisant vibrer ma pomme d'Adam.
<ль> = [lj] = spirante voisée latérale alvéolaire palatalisée je mets le bout de la langue dans le creux des dents et je fait passer l'air sur les côtés en faisant vibrer ma pomme d'Adam mais en avançant ensuite le tout en direction de la voûte palatale comme pour dire [j].
Donc, oui, en français, la langue est un peu moins sollicitée pour faire le /l/ ordinaire, donc oui, on peut le considérer comme plus mou que le "L dur" de Russes mais plus dur que leur "L mou".