infinitif substantivé du grec ancien

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mira sol
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infinitif substantivé du grec ancien

Post by mira sol »

Bonjour

Quelqu'un pourrait-il m'éclairer sur l'origine de l'infinitif substantivé en grec ?
L'infinitif lui-même étant une forme tardive, peut-on imaginer qu'il soit d'abord apparu sous cette forme substantivée ? Je ne parle pas de la valeur prospective des infinitifs homériques mais d'exemples type : Ἐνίοις τὸ σιγᾶν κρεῖττόν ἐστι τοῦ λαλεῖν.
Je vous remercie.
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Sisyphe
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Re: infinitif substantivé du grec ancien

Post by Sisyphe »

:) Ô la belle question du vendredi soir !

Il y a deux questions dans votre question :

1) L'infinitif substantivé au sens étroit, c'est-à-dire "l'infinitif articulé" (votre exemple) n'est pas antérieur à l'époque classique, puisque l'article lui-même est à peine en germe dans la langue homérique (je vous renvoie à Humbert, Syntaxe grecque, §56 et 57), et que c'est précisément pour l'infinitif qu'il ne se manifeste encore jamais (on a seulement des formes qui l'annonce, avec des renvois en τοῦτο, cf. Yves Duhoux, Le Verbe grec ancien, §218).

La difficulté est que l'infinitif est par lui-même une forme nominale du verbe, ou plus subtilement, comme le dit Duhoux, que l'infinitif a une "composante nominale" qui s'illustre par :
A) Sa capacité à se positionner à presque tous les cas syntaxiques : non seulement les cas actants (nominatif et accusatif, comme en latin : turpe est mentiri "mentir est honteux" = turpe est mendacium , ambulare desiderat = gloriam desiderat) mais aussi les cas circontants : datif (ἀριστεύει μάχεσθαι/ μάχῃ "il excelle à combattre") et génitif, à ate classique.
B) Sa capacité à remplir toutes les fonctions quand on l'appose.

C'est pourquoi, même en grec classique, il y a toujours conflit entre les infinitifs articulés et non articulés ; on présente souvent aux étudiants des formes poétiques en disant que c'est un "infinitif substantivé sans article", alors que chronologiquement, c'est le contraire.

En revanche, là où votre théorie est fausse, c'est que l'infinitif articulé prend place en fait dans un développement du grec qui a consisté à pouvoir mettre un article devant N'IMPORTE QUOI : un nom, un verbe, une proposition, un adverbe.

2) D'un point de vue diachronique (mais franchement indo-européen), certains infinitif pourraient avoir été des suffixes nominaux à l'origine : les infinitifs homériques en -μεν pourraient se rapprocher des noms d'agent en -μῆν (e.g. ποίμην "le berger"). On a longtemps dit (au XIXe...) que le suffixe -αι était une forme de datif figé (ce qu'on trouve en sanscrit, ou ce qui est comparable aux gérondifs au datif en latin, rares et archaïques : scribendo adfuerunt "ils assistèrent à la rédaction / au fait de rédiger")... Sauf que Benveniste a dit que ce n'était pas le cas, j'avoue que je ne sais plus très bien selon quels arguments.

Mais d'autres suffixes n'ont jamais appartenu au domaine nominal (et notamment le *-n qui c'est le plus généralisé). L'infinitif est une forme causa sui dans les langues indo-européennes, c'en est même une relative caractéristiques. Je vous renvoie à Pierre Chantraine, Morphologie historique du grec, §324sqq.

L'idée que chaque forme devrait avoir été avant "une autre forme" (toutes les prépositions seraient d'anciens noms...) me paraît assez inopérante : elle relève de l'image de la plante qui pousse à partir d'une tige simple et se complexifie selon un schéma prévisible... Les langues sont plutôt des lichens : ça pousse dans tous les sens, tout le temps, et sans logique

D'ailleurs, l'ironie est que l'infinitif a totalement disparu du grec moderne, alors qu'il est pléthorique en grec ancien. :)
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
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