La reste de ma réponse est encore en cours (je sais, c'est long... Mais après tout la gestation de la femelle éléphant dure 24 mois vous pouvez bien attendre un peu. Comment ça ça n'a rien à voir ?).
Mais puisque j'ai un pied (et j'espère bientôt plus) dans l'enseignement, je puis réagir un peu "à chaud" (disons à tiède) aux derniers propos de Bernard.
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Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'écrit M. Marin (et que reprend Bernard) sur l'aspect "stratégique" des choix de langue dans notre enseignement. Je l'ai déjà dit ici plusieurs fois, et tous les faits, toutes les études, toutes les statistiques de l'Educ' Nat' me donnent raison : pour l'essentiel des cas, le choix d'une LV1 ou d'une LV2 par des parents (même si le choix est en apparence avalisé avec bonne volonté par l'enfant) se fait pour des raisons strictement statégiques.
Dans le détail, il faut un peu différencier les stratégies à court terme, comme celles qui concernent le latin : on prend latin pour être dans une "bonne" classe (c'est très regrettable, et en même temps, je suis un peu hypocrite parce que c'est la seule chose qui maintienne le latin dans les lycées). Et puis il y a les stratégies à long terme, et c'est l'anglais qui en sort total gagnant...
... Il y a quelques années encore, c'est à dire jusqu'à notre génération à Svernoux et moi, l'allemand bénéficiait d'un vision positive dans le cadre d'une stratégie "à court terme". Prendre allemand LV1 = être dans une "bonne" classe. Pour différentes raisons, cet avantage a cessé de jouer, et les demandes d'allemand sont en chute libre, comme par suite les postes aux concours.
Cette loi économique joue aujourd'hui à fond "pour" l'anglais et l'espagnol, et contre l'allemand et les langues régionales. Les quelques poucents d'enfants qui échappent à cette logique stratégique ne peuvent pas grand-chose. En gros ce sont des fils de prof dans mon genre - qui de toute façon sont assurés de leur réussite vis-à-vis d'un système qu'ils connaissent (ou que l'on connaît pour eux), ou de "militants", au sens très large : y compris le pillier d'assoc' régionale, ou tout simplement des membres de Freelang

, en tout cas des gens qui font l'effort - anormal dans notre société, il ne faut pas jeter la pierre aux autres - de sortir de d'une vision économique des choses.
C'est une réalité, triste d'ailleurs (mais qui a toujours existé : si dans le "bon vieux temps" tout le monde faisait du grec, c''était pas - malgré les déclarations - pour l'amour des humanités, parce que c'était un signe de distinction sociale, et que le lycée, à lui seul, suffisait à indiquer un état social supérieur, hérité ou conquis). Mais c'est d'elle qu'il faut partir, avec réalisme. Les parents veulent assurer à leurs enfants le meilleure "bagage" dans le
struggle for life qu'a toujours été mais qu'est de plus en plus notre société. D'une certaine manière, c'est leur rôle, ne les blâmons pas.
D'une certaine manière, c'est un des meilleurs arguments "contre" l'
espéranto (disons une des meilleures raisons de croire qu'il n'a aucune chance comme projet global). Tant que la bourse de New York ou même simplement les publications universitaires ne seront pas en
espéranto mais en anglais, l'attrait de l'
espéranto sera aussi limité que celui du breton (mais après tout, il y a un CAPES de breton).
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À l'inverse, il ne faut pas exagérer le rôle des différences sociales, en disant "de toute façon, les pauvres ratent à l'école" - parce que l'extrême de cet argument, c'est "alors ne nous occupons pas d'eux".
D'ailleurs je ferais remarquer qu'à ma connaissance, svernoux est loin d'être une privilégiée sociale. Je n'aime pas trop l'idée non plus de "privilegiée de la mémoire".
Ce que je sais par mes lectures
mais surtout par mon expérience personnelle, c'est que les "miracles" sociaux via l'école sont bien plus nombreux qu'on ne le croit, et surtout bien plus complexes. Lorsqu'on veut faire du "Bourdieu facile", on dit "Bourdieu est un miraculé social parce qu'il vient d'un monde paysan et qu'il a fait l'ENS" - mais on oublie (et il oubliait) de dire que les parents de P. Bourdieu
n'était plus paysans mais petits employés de la Poste. Economiquement, ça ne change rien, mais socialement, cela signifie que leur génération était
déjà engagé dans un processus d'ascension social. Je me souviens d'une étude montrant que les enfants d'ouvriers syndiqués réussissaient mieux que les autres, parce que justement le syndicalisme suppose de rejeter les fatalismes sociaux inconscients ("on est pauvre et exploité mais c'est comme ça on y peut rien").
Bref : c'est un peu exagéré de dire qu'il faut être uniquement privilégié de la mémoire (surdoué, quoi - mais si svernoux est très intelligente ! Je n'en doute pas

) ou fils de riche pour réussir à apprendre l'anglais.
Ayant grandi aux côtés de fils et filles d'immigrés, je puis même dire que les langues vivantes sont au contraire le premier "élément de réussite" des jeunes maghrébines (il n'existe aucun statistique officielle, mais il suffit de compter les noms arabes dans les listes des CAPES d'anglais, allemand, espagnole par rapport à ceux de français - ou ils sont encore importants - ou pire par rapport à ceux de maths). Certes, cette réussite se manifeste plutôt du secteur public (enseignement ou autre), mais ce n'est pas forcément pour de raisons de niveau acquis - l'agreg d'anglais ne doit être vraiment plus facile qu'un concours d'école de trad, c'est juste différent) ; c'est pour des raisons d'abord techniques (le facs publiques mènent d'abord et avant tout à l'enseignement) mais surtout de peur sociale (en gros : de peur du racisme ; la vertu des concours c'est qu'on ne peut pas vous dire que vous n'avez pas le profile du poste = vous n'êtes pas blanche).
Bien sûr, le milieu socio-économique originel joue dans l'appréhension des langues. Les gosses de riches qui se paient des summer schools aux USA j'en ai connu ! Mais pour l'instant (

souhaitons que ça dure, ça n'en prend pas le chemin, avis perso), notre système permet encore à quiconque veut étudier les langues de le faire dans des conditions les moins mauvaises possibles. Un gosse de riche, même avec douze mois à[barré]travailler[/barré] faire la teuf aux US, s'il est con, ne réussira pas un concours d'entrée d'école de trad ni les partiels d'un cursus LEA. Ce qui joue n'est pas tant le niveau économique des parents que la claire vision des possibilités offertes pas notre système d'étude. Domaine pour lequel les fils de profs dans mon genre sont largement privilégiés. Le contre-exemple, ce sont tout(e)s les beur(ette)s sortant pas mauvais en langue de leurs lycées avec un bac ES et qui s'inscrivent en LLCE (langue-enseignement) dans une petite fac en s'imaginant sortir traductteurs/trices international(e)s.
Dans ce domaine, l'
espéranto joue peu.
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Quant à la méthode Cseh, je n'ai pas encore très bien compris en quoi elle consiste... Mais un certain atavisme educ-nat me rend très très prudent, pour ne pas dire sceptique devant les pédagogies alternatives et les tenant du pédagogisme façon IUFM. Même s'il est évident que la facilité de l'
espéranto en fait la LV1 rêvée.

Oui parce que j'aimerais dire une chose aussi : la suprématie de l'anglais comme LV1 fait beaucoup de dégât. Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas une langue facile, au contraire. Les enfants peu habitués à entendre des langues étrangères - donc les pauvres - buttent sur la prononciation d'une manière rédhibitoire et sont incapables de "segmenter" à l'oral, quand on passe une cassette... Pour ceux atteint d'une dyslexie légère (ce que j'appelle perso une dyslexie sociale), et qui donc sont déjà ruinés en français (06/20) s'enfoncent encore plus - expérience d'aide au devoir via une copine - en ramenant chez eux des 1/20. A ce rythme, un enfant même s'il a des talents ailleurs prend l'école en haine et est complètement foutu en six mois.
Quand à l'argument de l'accessibilité (un tiers de mots latins), il ne joue pas au début : les mots courants, de base, sont justement ceux qui ont tendance à être germaniques (the house, the dog, the cat, the bed, the desk, green, yellow et presque toutes les couleurs, in, out, uppon et presques toutes les prépositions, left, right, now, tomorow, yesterday et tous les marqueurs temporels, etc. etc.). Il faut avoir atteint un certain niveau pour pouvoir dire, comme le Dodo d'
Alice au Pays des merveilles "for the immediate adoption of more energetic remedies" - et s'entendre répondre par la petite souris "speak english !".
