Grec ancien : Ton tou

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Freduss
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Grec ancien : Ton tou

Post by Freduss »

Toujours dans l'évangile selon Marc (6:15) :

"Kai iakObon ton tou zebedaiou" = Et Jacob le de Zébédée
En français (mais peut-être déjà en Latin) on ajoute le mot "fils", la filiation étant jugée évidente dans le contexte ethnique et culturel de la rédaction.
Mais je me deande si cette expression de la filiation rendue par "ton tou" malgré l'omission du mot "fils" est une caractéristique bien répertoriée dans les textes en grec ancien, et si elle est une particularité du grec populaire utilisé chez Marc ?

Par ailleurs dans le même temps chez Luc 6:16 on lit ceci :
"ioudan iakwbou" traduit en Français par "Jude frère de Jacques" : est-ce également la traduction qui s'impose ? Est elle commune ?

Pour ces deux cas peut-on envisager également des alternatives tout à fait recevables techniquement ?

Merci
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Sisyphe
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Re: Grec ancien : Ton tou

Post by Sisyphe »

En fait, il faut distinguer deux niveaux :

- Un niveau linguistique : l'onomastique en grec ancien.
- Un niveau sociohistorique ou civilisationnel : identité et parentalité dans la Palestine du premier siècle.

Je ne prétends pas connaître grand-chose au second, donc je me limiterai au premier.

Il n'existe en Grèce ancienne (contrairement aux Romains) aucune forme de génonyme, ce que nous appellerions un "nom de famille", c'est-à-dire un nom qui se transmet. L'identité s'exprime donc généralement au moyen d'un idionyme (nom propre) suivi d'un patronyme (nom du père), suivi parfois d'un toponyme. A Athènes, ce sera "Démosthène, de Démosthène, du dème de Péania".

Ce patronyme s'exprime soit au moyen d'un suffixe particulier (comme en russe : Boris Nicolaïévitch), soit au moyen du génitif, selon la formule "Α ὁ τοῦ Β". Et, oui, dans ce cas, l'omission du mot ὑίος est plus que normale : elle est de règle. En fait, on n'a pas besoin du mot "fils", il n'a jamais existé, le génitif à lui seul exprime la possession donc la filiation...

... L'exact équivalent a existé dans nos provinces. Le meilleur exemple est illustré (et expliqué, si mes souvenirs sont bons) dans le roman éponyme de Marcel Pagnol : "Jean de Florette". M. Pagnol explique très bien le sens de cette formule, et il n'y a jamais eu de mot "fils" au milieu.

La mention d'un adelphonyme (nom du frère) n'existe pas dans la culture grecque à ma connaissance, mais là encore, le génitif me paraît en être l'expression la plus naturelle... En grec moderne, c'est la femme qui prend le nom (génonyme) de son mari au génitif ! Maria Stephanopoulou, c'est "la Marie du Stéphanopoulos"...

Si mes souvenirs bibliques sont bons (ce qui dans mon cas veut dire : merci internet), Jude Thaddée est le frère aîné de Jacques. Il s'agit donc moins d'une substitution au père que, tout simplement, le besoin ponctuel de différencier plusieurs Yehouda... Dans ma région natale, on dira "c'est la Jeanne du François", ce qui peut aussi bien vouloir dire que Jeanne est la femme ou la fille du François en question, voire sa vieille soeur qui vit chez lui, ou que les deux "se fréquentent", comme disaient ma grand-mère.

Sur ce point, j'oserais avancer (en dépit de ma méconnaissance de l'histoire paléopalestinienne) que la culture araméophone est dans la même situation que la culture latine : le stock des prénoms est particulièrement limité (il y a deux Jacques, au moins trois Jude/Judas, et trois ou quatre Simons dans l'entourage de Jésus... Et je crois avoir lu qu'il y a une vingtaine de Yeshoua différents dans la Bible, dont Jessé et Jésus ne sont que les best-sellers)... Dans ce cas, il n'existe que deux possibilités : le surnom, comme à Rome (Publius Virgilius Maro, Caius Julius Caesar), mais qu'on trouve aussi dans la Bible : Simon le-Chauve-comme-un-Caillou (Simon Kaiphas, Tu es Petrus etc.), Jude Thaddée, et certainement Jésus le Nazôréen (mais on en discute...), ou alors le nom d'un parent ou l'expression d'une position dans la famile : Le Jude de Jacques, Jacques Le-plus-jeune-des-trois (Jacques le Mineur).
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
Freduss
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Re: Grec ancien : Ton tou

Post by Freduss »

Effectivement, dans le NT les identités sont problématiques et pas seulement comme vous le signalez en raison de la multiplication des noms identiques....

- Pour notre "Jude de Jacques", l'idée de la proximité, de la "fréquentation", me plait bien.
D'ailleurs, si le personnage Jude portait un prénom féminin, on pourrait même définir leur relation en utilisant l'expression de votre grand-mère...?
On est en droit d'avancer l'hypothèse d'un "maquillage" d'identité à partir des strates originelles de rédaction des évangiles, mais voilà : dans les écritures telles qu'elles nous sont parvenues, Jude étant un homme j'imagine qu'il n'est "catholiquement" pas envisageable qu'on ait pu y rapporter ouvertement une liaison culturellement non recevable.
Aussi en restera t-on au lien familial....

Et cependant voilà ce qu'on lit chez Marc (3:17) :
"kai ioannen ton adelphon tou iakwbou" : le mot "frère" y est ici bien présent ?

- Pour notre "fils de" : par vos explications, je comprend que la filiation ne soit pas exprimée par le mot "fils".
Pour une filiation biologique j'imagine, car pour ce qui est du symbolique, Jacques et Jean de Zébédée ont également officiellement été honorés du "titre" de "uioi bronths", fils du tonnerre...Mais peut-être est-ce un résidu de l'expression araméenne ?
Jésus dont les adversaires ont parfois raillé les origines ne s'est-il pas d'ailleurs (en guise de réponse ?) lui-même nommé "Fils du père", Bar Abba en Araméen.

Un "titre" d'ailleurs qui conforte par la même occasion une certaine ambigüité sur sa signification....mais cela est un autre sujet.
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