Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

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Achille
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Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Achille »

Bonjour,

J'ai du mal à analyser 2 verbes :
Ὕλη δὲ σπέος ἀμφί πεφύκει τηλεθόωσα·
Ce participe est bizarrement construit. Que fait cet omicron devant l'omega ? J'attendrais τηλεθῶσα comme le modèle τιμῶσα .
Ἀλλ' ἄγε δόρατα μακρὰ ταμὼν εὐρεῖαν σχεδίαν ἄρτυνον, Διὸς πιθήσας ἐφετμαῖς.
ἄρτυνον pourrait être un impératif aoriste. Mais dans ce cas comment s'explique l'absence de sigma dans la terminaison ?

Je vous remercie de vos lumières.
Achille
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Re: Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Achille »

J'ai trouvé la réponse à ma première question (τηλεθόωσα) : Ragon-Dain p. 244 § 24

J'imagine que le second verbe appartient aussi à la langue homérique. Toutefois Ragon-Dain n'en parle pas.
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Sisyphe
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Re: Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Sisyphe »

Pour le premier, vous avez trouvé la réponse avant que j'intervienne. D'une façon générale, les contractions sont très capricieuses dans la langue homérique. Il faut se dire une fois pour toute que c'est une langue qui n'a jamais été parlée : certaines formes n'ont pas plus d'existence que le "Jérimadeth", prétendue ville biblique chez Victor Hugo qui avait besoin d'un joli son ("tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth").

Le second me pose un immense problème : ce n'est pas du grec ! :D Je ne vois absolument pas d'où vous tirez la forme, car s'il s'agit de l'Odyssée chant V, vers 162, moi j'ai ἀλλ΄ ἄγε δούρατα* μακρὰ ταμὼν ἁρμόζεο χαλκῳ / εύρεῖαν σχεδίην. Ἀτὰρ ἴκρια πῆξαι ἐπ' αὐτῆς / ὑψοῦ. Et je ne trouve aucune variante de manuscrit. Ni aucune mention de cette forme dans la Grammaire homérique de Chantraine.

Au passage, δόυρατα pour δόρατα, un cas typique d'allongement compensatoire "ionien" (*δόρFατα > δόυρατα). On a le même phénomène en anglais, avec answer, dont le [w] a disparu malgré l'orthographe en allongeant le premier [a] : ['a:nsǝr], car ου ne représente pas un [ u ] contrairement à notre lecture mais un [ɔ:] long.

Cf. http://iliadeodyssee.texte.free.fr/aate ... canc05.htm (un vieux site qui date des débuts d'internet, mais avec toutes les traductions francophones tombées dans le domaine public, un régal).
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Achille
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Re: Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Achille »

Bonjour,

Pour le second verbe ( ἄρτυνον ), peut-être que la règle 31 p. 244 de Ragon-Dain s'applique : aoriste composé du radical et de la désinence sans voyelle de liaison. Ça collerait ici ! Dans ce cas il s'agirait bien d'un impératif aoriste et la phrase aurait du sens.

Le verbe ἀρτύνω, selon le lexique du manuel, signifierait "ajuster, composer".

Mon texte n'est certainement pas le texte original, car je l'ai pris dans le livre III de Maunoury. Il a dû l'arranger pour que toutes les particularités homériques ne tombent pas toutes en même temps sur la pauvre tête de ses écoliers.

La méthode est bien âgée (XIX° siècle) mais le principe me plaît : première place donnée au vocabulaire, supputation sur le sens des mots nouveaux à partir des racines déjà vues, c'est pas mal. Le manuel de l'abbé Maunoury ne pourrait plus être proposé dans les classes aujourd'hui du fait que de temps à autre il glisse un texte religieux ou une pensée religieuse qui violerait la sacro-sainte laïcité de notre temps. Un helléniste d'aujourd'hui pourrait reprendre les principes de Maunoury pour proposer une progression dans l'apprentissage de la langue grecque qui, me semble-t-il, porterait des fruits.

Merci à vous pour votre aide.
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Sisyphe
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Re: Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Sisyphe »

Achille wrote: 17 Jun 2019 11:04 Bonjour,

Pour le second verbe ( ἄρτυνον ), peut-être que la règle 31 p. 244 de Ragon-Dain s'applique : aoriste composé du radical et de la désinence sans voyelle de liaison. Ça collerait ici ! Dans ce cas il s'agirait bien d'un impératif aoriste et la phrase aurait du sens.
Vous voulez dire : sans augment ?
Le verbe ἀρτύνω, selon le lexique du manuel, signifierait "ajuster, composer".
En effet, cela passe ; ce serait donc un imparfait homérique à la première ou dernière personne.

Mon texte n'est certainement pas le texte original, car je l'ai pris dans le livre III de Maunoury. Il a dû l'arranger pour que toutes les particularités homériques ne tombent pas toutes en même temps sur la pauvre tête de ses écoliers.
"Déshomériser" Homère, je peux comprendre ; mais recomposer un texte entier...

La méthode est bien âgée (XIX° siècle) mais le principe me plaît : première place donnée au vocabulaire, supputation sur le sens des mots nouveaux à partir des racines déjà vues, c'est pas mal. Le manuel de l'abbé Maunoury ne pourrait plus être proposé dans les classes aujourd'hui du fait que de temps à autre il glisse un texte religieux ou une pensée religieuse qui violerait la sacro-sainte laïcité de notre temps. Un helléniste d'aujourd'hui pourrait reprendre les principes de Maunoury pour proposer une progression dans l'apprentissage de la langue grecque qui, me semble-t-il, porterait des fruits.
Les vieux coucous sont parfois très fonctionnels en effet. Je n'ai moi-même jamais pu me défaire d'un assimil de néerlandais où l'on apprend à dire "ik heeb een telegram voor hem", même si les PTT ont cessé les services du télégraphe depuis des temps presque homériques.

Pour information, il n'est pas interdit du tout de faire des textes de source chrétienne en classe ; il faut juste les traiter avec sécularisme. Disons qu'une version sur la Sainte Trinité ou l'immanence de la Grâce efficace n'a pas vraiment d'objectif pédagogique. Mais des textes apologétiques témoignant de la situation du christianisme au IIIe siècle ("pour" ou "contre"), ou bien des petits morceaux narratifs de l'évangile facile à traduire, il y en a dans les manuels.

Ce qui à mon avis périme Manoury, ce serait plutôt le rythme de progression ! Les élèves "médians" n'ont pas l'endurance qui est la vôtre. Même dans de bonnes conditions, on ne dépasserait jamais les verbes en -mi... Sans compter que le texte "bidouillé" n'est pas très à la mode, mais ça, c'est un autre débat.
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Achille
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Re: Grec ancien : 2 verbes qui m'interrogent

Post by Achille »

Voici le début du paragraphe :
Εὐθὺς οὖν ἔκιε θεὰ παρὰ τὴν ῥηγμῖνα πολυφλοίσϐου θαλάσσης, ἀγχοῦ τε Ὀδυσσέως ἱσταμένη εἶπε·
« Οἰζυπὲ, μηκέτι σοι ἐνθάδε αἰὼν φθινέτω.
Ἀλλ' ἄγε δόρατα μακρὰ ταμὼν εὐρεῖαν σχεδίαν ἄρτυνον, Διὸς πιθήσας ἐφετμαῖς...
Ce que j'ai traduit littéralement :
Aussitôt donc, la déesse alla vers le rivage de la mer très bruyante, et se tenant près d'Ulysse dit :
« Infortuné, que le temps ne se consume plus ici pour toi.
Mais allons ! ajuste un large radeau coupant des bois longs, ayant obéi aux ordres de Zeus.
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Vous voulez dire : sans augment ? ce serait donc un imparfait homérique à la première ou dernière personne.
Non, l'imparfait ne collerait pas car les sujets "je" et "ils" ne conviendraient pas. Je ne vois qu'un impératif aoriste qui n'aurait pas de sigma dans sa terminaison. C'est pourquoi je pensais qu'on appliquait là, la règle 31 p. 244 de Ragon-Dain.

des textes apologétiques témoignant de la situation du christianisme au IIIe siècle ("pour" ou "contre"), ou bien des petits morceaux narratifs de l'évangile

Ces textes à intérêt historique doivent passer effectivement. Mais l'abbé Maunoury propose carrément des prières demandant le soutien de Dieu et de ses saints dans le labeur quotidien de ses séminaristes.

Même dans de bonnes conditions, on ne dépasserait jamais les verbes en -mi...
Le manuel "Petite Anthologie" ne vise pas l'application des règles de grammaire. Maunoury ne tient pas compte de la progression grammaticale. Il fait du global. Car son objectif, c'est de faire connaissance avec le plus grand nombre de racines grecques afin de parvenir à la compréhension d'un texte grec, sans passer le plus clair de son temps dans l'épaisseur d'un dictionnaire. À sa suite, je suis convaincu que consacrer ses efforts à la mémorisation et à la construction du vocabulaire, plus qu'à la grammaire, est plus efficace dans l'apprentissage d'une langue. L'analyse grammaticale vient ensuite pour affiner la traduction. Cette pédagogie me plaît.
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