Bonjour,
J'écoutais l'autre jour une chanson sur une radio du service public dont les rimes étaient toutes en -ure : fracture, coupure, brûlure, déchirure, etc...
Je me suis demandé alors quelle était l'étymologie de ce suffixe.
Origine du suffixe -ure
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Re: Origine du suffixe -ure
C'est latin en tout cas:
scribo -> scriptura
natus -> natura
litterae -> litteratura
Un rapport avec le participe futur -turus ? (scriptura est = elle va être écrite)
-- Olivier
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natus -> natura
litterae -> litteratura
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- Sisyphe
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Re: Origine du suffixe -ure
Alors ça c'est pour moi...
Sur un plan diachronique, -ura est de formation latine, n'ayant pas d'équivalent formel indo-européen, et appartient à la nébuleuse des formations abstraites en -t- (-tio, -tus, -tas, -tudo...), etc. C'est l'agrégation de deux suffixes hérités, -tu- (ventus, exercitus, sensus, fremitus, etc.) et -ro- sous la forme alphathématique -rH2-.
Si l'on en croit Benveniste (Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, pp. 101-104, avec les précautions d'usage, donc), les abstraits en -tura marquent une valeur "subjective", à savoir "la mise en pratique d'une capacité et d'une profession qui y correspond". C'est pourquoi on le trouve essentiellement, à ses débuts du moins, sur une base verbale intransitive : natura (nascor, naître), statura (sto), usura (utor, utiliser), venatura (venio, venir), partura (pario, enfanter), ou alors dans un sens passif : salsura "saumure" (le fait d'être salé), textura "texture, manière d'être tissé", etc. Puis plus tard pour l'expression d'une profession, faisant couple avec -tor : pictor/pictura (peintre/peinture), praetor/praetura (préteur, préture), fictor/fictura ("modeleur" (regroupe potier, sculpteur, etc.) et son métier), etc.
Benveniste regroupe effectivement les deux formations homophone en -tur- que sont ces dérivés et le participe futur à travers cette idée de "prédestination", de "ce qui est destiné à", la scriptura est "ce qui va/doit advenir à travers la mise en pratique du fait de scribere"... Comme toujours chez Benveniste, c'est brillant sur le papier, mais un peu tordu à bien y réfléchir. Les deux formations sont homophones, c'est un fait, mais de là à ce qu'elles aient une unité de sens originelle, c'est un point de doctrine qu'il faut savoir discuter.
Dans l'histoire de la langue latine, de toute façon, -tura est un suffixe d'abstrait parmi d'autres, point ; -tura ayant tendance :
a) à se concrétiser plus facilement que les mots en -tio (un bon exemple est le couple scriptio/scriptura... Les deux peuvent dire "écriture, ligne matérielle d'écriture" (cf. scriptio continua), aussi bien que "rédaction, composition, style" d'un auteur ; mais le premier est nettement préféré dans ce sens, tandis que "scriptura" désigne notamment les textes de loi, où la lettre est importante - comme nous disons encore "dans les textes" - ou même le "dessin", sans plus de rapport à l'écriture proprement dit)e.
b) à être beaucoup plus populaire que -tio et que -tus (ce dernier n'étant plus productif après Cicéron, sauf artifice).
Les deux expliquent qu'on le retrouve surtout dans les domaines techniques... Et qu'il soit vivant au point de "mordre" un peu sur le domaine de -or à date tardive (fervura = fervor, ardura / ardor, nitura / nitor, frigdura / frigidor)... Et donc à date romane (figdura > froidure en ancien français)...
De ce fait, en français, les mots en -ure sont à la fois a) des mots savants directement empruntés au latin (comme nature, littérature, texture, fracture), b) des mots hérités remontant à une forme en -ura en latin (picture > peinture, scripture > écriture), et c) des mots formés à date française (brûlure, "brûler" étant un mélange entre l'ancien français usler et diverses formes germaniques, piqûre, etc.)
Petite biblio (*utilisés)
*BENVENISTE, Emile. [/i]La formation des noms en indo-européen[/i]. Paris : Maisonneuve, 1948.
*ESPINILLA-BUISAN, Empar. "LEs mots en -tio, -tura, -tus dans la prose technique de S.I. Frontin : De aquaeductu urbis Romae". CALLEBAT, Louis (éd.). Actes du IVe colloque latin vulgaire / latin tardif. Hildesheim / Zurich / New York : Olms-Weidmann, 1998.
GIACALONE-RAMAT, A. "I derivati latini in -tura". RIL 108, 1974. Pages 236-289.
ZELLMER, E. Die Wörter auf -ura. Gotha : Smith & Thelow, 1930.
Sur un plan diachronique, -ura est de formation latine, n'ayant pas d'équivalent formel indo-européen, et appartient à la nébuleuse des formations abstraites en -t- (-tio, -tus, -tas, -tudo...), etc. C'est l'agrégation de deux suffixes hérités, -tu- (ventus, exercitus, sensus, fremitus, etc.) et -ro- sous la forme alphathématique -rH2-.
Si l'on en croit Benveniste (Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, pp. 101-104, avec les précautions d'usage, donc), les abstraits en -tura marquent une valeur "subjective", à savoir "la mise en pratique d'une capacité et d'une profession qui y correspond". C'est pourquoi on le trouve essentiellement, à ses débuts du moins, sur une base verbale intransitive : natura (nascor, naître), statura (sto), usura (utor, utiliser), venatura (venio, venir), partura (pario, enfanter), ou alors dans un sens passif : salsura "saumure" (le fait d'être salé), textura "texture, manière d'être tissé", etc. Puis plus tard pour l'expression d'une profession, faisant couple avec -tor : pictor/pictura (peintre/peinture), praetor/praetura (préteur, préture), fictor/fictura ("modeleur" (regroupe potier, sculpteur, etc.) et son métier), etc.
Benveniste regroupe effectivement les deux formations homophone en -tur- que sont ces dérivés et le participe futur à travers cette idée de "prédestination", de "ce qui est destiné à", la scriptura est "ce qui va/doit advenir à travers la mise en pratique du fait de scribere"... Comme toujours chez Benveniste, c'est brillant sur le papier, mais un peu tordu à bien y réfléchir. Les deux formations sont homophones, c'est un fait, mais de là à ce qu'elles aient une unité de sens originelle, c'est un point de doctrine qu'il faut savoir discuter.
Dans l'histoire de la langue latine, de toute façon, -tura est un suffixe d'abstrait parmi d'autres, point ; -tura ayant tendance :
a) à se concrétiser plus facilement que les mots en -tio (un bon exemple est le couple scriptio/scriptura... Les deux peuvent dire "écriture, ligne matérielle d'écriture" (cf. scriptio continua), aussi bien que "rédaction, composition, style" d'un auteur ; mais le premier est nettement préféré dans ce sens, tandis que "scriptura" désigne notamment les textes de loi, où la lettre est importante - comme nous disons encore "dans les textes" - ou même le "dessin", sans plus de rapport à l'écriture proprement dit)e.
b) à être beaucoup plus populaire que -tio et que -tus (ce dernier n'étant plus productif après Cicéron, sauf artifice).
Les deux expliquent qu'on le retrouve surtout dans les domaines techniques... Et qu'il soit vivant au point de "mordre" un peu sur le domaine de -or à date tardive (fervura = fervor, ardura / ardor, nitura / nitor, frigdura / frigidor)... Et donc à date romane (figdura > froidure en ancien français)...
De ce fait, en français, les mots en -ure sont à la fois a) des mots savants directement empruntés au latin (comme nature, littérature, texture, fracture), b) des mots hérités remontant à une forme en -ura en latin (picture > peinture, scripture > écriture), et c) des mots formés à date française (brûlure, "brûler" étant un mélange entre l'ancien français usler et diverses formes germaniques, piqûre, etc.)
Petite biblio (*utilisés)
*BENVENISTE, Emile. [/i]La formation des noms en indo-européen[/i]. Paris : Maisonneuve, 1948.
*ESPINILLA-BUISAN, Empar. "LEs mots en -tio, -tura, -tus dans la prose technique de S.I. Frontin : De aquaeductu urbis Romae". CALLEBAT, Louis (éd.). Actes du IVe colloque latin vulgaire / latin tardif. Hildesheim / Zurich / New York : Olms-Weidmann, 1998.
GIACALONE-RAMAT, A. "I derivati latini in -tura". RIL 108, 1974. Pages 236-289.
ZELLMER, E. Die Wörter auf -ura. Gotha : Smith & Thelow, 1930.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
-
- Guest
Re: Origine du suffixe -ure
Bonjour, déjà dix ans, mais comme l'info est remarquablement détaillée, je voulais réfléchir au lien que pouvait avoir
Bless en anglais.. '' consacrée par le sang ''
A l'origine
Bénir , de nos jours
Puis bless-ure
Merci.
En tout cas je garde en copie votre réponse
Thierry RICHARD
[modération : adresse mail supprimée]
Bless en anglais.. '' consacrée par le sang ''
A l'origine
Bénir , de nos jours
Puis bless-ure
Merci.
En tout cas je garde en copie votre réponse
Thierry RICHARD
[modération : adresse mail supprimée]
Sisyphe wrote: ↑03 May 2012 15:19 Alors ça c'est pour moi...
Sur un plan diachronique, -ura est de formation latine, n'ayant pas d'équivalent formel indo-européen, et appartient à la nébuleuse des formations abstraites en -t- (-tio, -tus, -tas, -tudo...), etc. C'est l'agrégation de deux suffixes hérités, -tu- (ventus, exercitus, sensus, fremitus, etc.) et -ro- sous la forme alphathématique -rH2-.
Si l'on en croit Benveniste (Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, pp. 101-104, avec les précautions d'usage, donc), les abstraits en -tura marquent une valeur "subjective", à savoir "la mise en pratique d'une capacité et d'une profession qui y correspond". C'est pourquoi on le trouve essentiellement, à ses débuts du moins, sur une base verbale intransitive : natura (nascor, naître), statura (sto), usura (utor, utiliser), venatura (venio, venir), partura (pario, enfanter), ou alors dans un sens passif : salsura "saumure" (le fait d'être salé), textura "texture, manière d'être tissé", etc. Puis plus tard pour l'expression d'une profession, faisant couple avec -tor : pictor/pictura (peintre/peinture), praetor/praetura (préteur, préture), fictor/fictura ("modeleur" (regroupe potier, sculpteur, etc.) et son métier), etc.
Benveniste regroupe effectivement les deux formations homophone en -tur- que sont ces dérivés et le participe futur à travers cette idée de "prédestination", de "ce qui est destiné à", la scriptura est "ce qui va/doit advenir à travers la mise en pratique du fait de scribere"... Comme toujours chez Benveniste, c'est brillant sur le papier, mais un peu tordu à bien y réfléchir. Les deux formations sont homophones, c'est un fait, mais de là à ce qu'elles aient une unité de sens originelle, c'est un point de doctrine qu'il faut savoir discuter.
Dans l'histoire de la langue latine, de toute façon, -tura est un suffixe d'abstrait parmi d'autres, point ; -tura ayant tendance :
a) à se concrétiser plus facilement que les mots en -tio (un bon exemple est le couple scriptio/scriptura... Les deux peuvent dire "écriture, ligne matérielle d'écriture" (cf. scriptio continua), aussi bien que "rédaction, composition, style" d'un auteur ; mais le premier est nettement préféré dans ce sens, tandis que "scriptura" désigne notamment les textes de loi, où la lettre est importante - comme nous disons encore "dans les textes" - ou même le "dessin", sans plus de rapport à l'écriture proprement dit)e.
b) à être beaucoup plus populaire que -tio et que -tus (ce dernier n'étant plus productif après Cicéron, sauf artifice).
Les deux expliquent qu'on le retrouve surtout dans les domaines techniques... Et qu'il soit vivant au point de "mordre" un peu sur le domaine de -or à date tardive (fervura = fervor, ardura / ardor, nitura / nitor, frigdura / frigidor)... Et donc à date romane (figdura > froidure en ancien français)...
De ce fait, en français, les mots en -ure sont à la fois a) des mots savants directement empruntés au latin (comme nature, littérature, texture, fracture), b) des mots hérités remontant à une forme en -ura en latin (picture > peinture, scripture > écriture), et c) des mots formés à date française (brûlure, "brûler" étant un mélange entre l'ancien français usler et diverses formes germaniques, piqûre, etc.)
Petite biblio (*utilisés)
*BENVENISTE, Emile. [/i]La formation des noms en indo-européen[/i]. Paris : Maisonneuve, 1948.
*ESPINILLA-BUISAN, Empar. "LEs mots en -tio, -tura, -tus dans la prose technique de S.I. Frontin : De aquaeductu urbis Romae". CALLEBAT, Louis (éd.). Actes du IVe colloque latin vulgaire / latin tardif. Hildesheim / Zurich / New York : Olms-Weidmann, 1998.
GIACALONE-RAMAT, A. "I derivati latini in -tura". RIL 108, 1974. Pages 236-289.
ZELLMER, E. Die Wörter auf -ura. Gotha : Smith & Thelow, 1930.
Re: Origine du suffixe -ure
Bonjour,
D'après cnrtl, la piste anglo-saxonne semble s'éloigner
https://www.cnrtl.fr/etymologie/blessure
D'après cnrtl, la piste anglo-saxonne semble s'éloigner
https://www.cnrtl.fr/etymologie/blessure
https://www.cnrtl.fr/etymologie/blesserBLESSURE, subst. fém.
Étymol. ET HIST. − Mil. xiies. blescëure « plaie produite par un coup » (Wace, St-Nicolas, éd. N. Delius, 1113 dans T.-L.); xives. blessure d'apr. FEW t. 15, 1, s.v. blettian; xives. par métaph. (Machault, éd. E. Höpffner, t. 1, Dit. dou Vergier, 537); 1538 « blessure d'amour-propre » (Est.). Dér. du rad. de blesser*; suff. -ure*.
BLESSER, verbe trans.
Étymol. ET HIST. − 1. Mil. xies. blecier « meurtrir (des olives, des fruits, pour les faire mûrir) » (Raschi, Gloses dans Levy Trésor), encore attesté dans les dial. du Nord et de l'Est, notamment le liég. blessi « broyer, piler » (Haust), le suisse romand (Genève) blyési « amollir (un fruit), blettir » (Pat. Suisse rom., s.v. blesser); ca 1100 blecer « mettre à (...)
Les courses hippiques, lorsqu'elles s'y frottent.
- Sisyphe
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Re: Origine du suffixe -ure
En fait, la piste anglo-saxonne n'est pas totalement absurde, car blesser vient du germanique blettjan, à rapprocher de blate en vieil anglais (cf. blench) "pâle, blême" ; le verbe renvoie plutôt à une plaie de type ecchymose.
Mais pour autant, il n'y a pas de lien entre blesser et to bless, le second étant certes apparenté à blood, mais pas à blate, cf. https://www.etymonline.com/search?q=bless :
Mais pour autant, il n'y a pas de lien entre blesser et to bless, le second étant certes apparenté à blood, mais pas à blate, cf. https://www.etymonline.com/search?q=bless :
Donc, un cas typique de ressemblance fortuite. Ce qui n'a pas évité à des générations d'angliciste de faire des contresens (que Dieu vous blesse !).Old English bletsian, bledsian, Northumbrian bloedsian "to consecrate by a religious rite, make holy, give thanks," from Proto-Germanic *blodison "hallow with blood, mark with blood," from *blotham "blood" (see blood (n.)). Originally a blood sprinkling on pagan altars.
This word was chosen in Old English bibles to translate Latin benedicere and Greek eulogein, both of which have a ground sense of "to speak well of, to praise," but were used in Scripture to translate Hebrew brk "to bend (the knee), worship, praise, invoke blessings." L.R. Palmer ("The Latin Language") writes, "There is nothing surprising in the semantic development of a word denoting originally a special ritual act into the more generalized meanings to 'sacrifice,' 'worship,' 'bless,' " and he compares Latin immolare (see immolate).
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
Re: Origine du suffixe -ure
En "descendant" dans le fil étymologique, j'ai trouvé que la racine ayant donné "bless" en anglais a donné feuille/pétale en français.
Mais la source n'est certainement pas au niveau des tiennes ;-)
Mais la source n'est certainement pas au niveau des tiennes ;-)
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