Nevada Jim wrote:beelemache wrote:Pensez vous que l'apprentissage du francais est en déclin? Que pensez vous des mesures du gouvernement pour relancer l'importance du francais dans le monde?
Ce n'est pas tant l'apprentissage qui soit en déclin, mais plutôt la rigueur et la volonté politique de le faire qui soit défaillante.
Un exemple simple, combien de fois ai-je été surpris par de nombreuses affiches de films anglo-saxons (américains plus spécifiquement) dont les titres mêmes ne sont plus traduits en français et dont pourtant les affiches envahissent l'espace visuel des villes françaises.

Entièrement d'acccord ! Je m'étais d'ailleurs déjà énervé à ce sujet ici :
viewtopic.php?t=3861&postdays=0&postord ... ie&start=0
Situation d'autant plus rageante que, comme il est dit dans l'autre topic, ces films sortent souvent avec une traduction au Québec où la loi l'impose. Donc ce n'est pas même pas par souci d'économie de bout de chandelle (en l'occurence de traducteur) pour les maisons de production.
Ce qui est d'autant plus agaçant, c'est qu'il ne s'agit pas forcément de "blockbusters" (Oups

anglicisme... "Petits garçons en bloc" ? Enfin, méga-prods hollywoodiennes, quoi), mais aussi de films semi-intellos.
Et ce qui achève de m'achever, c'est que lorsque j'évoque cette question à certains de mes camarades, je me fais automatiquement renvoyer dans les cordes le double argument du purisme (c'est mieux de conserver le titre originel) et du "mais tu fais du nationalisme, là ! et la langue doit être vivante etc".

Qu'on ne m'attaque pas sur le purisme, je n'ai jamais hésité à faire six stations de métro de plus pour voir un film en VO ! Et cela n'a rien à voir avec la question de la langue. "The tailor of Panama" (sept lettres à changer en tout ! Dur !) n'apporte rien du tout à notre langue, non plus que "Traffic" avec deux F (alors qu'il n'y en a qu'un en français).
Le pire, c'est que cette tendance est récente, mettons dix ans, et qu'il ne s'agit pas d'un fait "naturel", mais bien d'une évolution dans le mauvais sens. À l'âge de huit ans, j'ai vu
La guerre des étoiles premier épisode (c'est à dire le troisième, tout est compliqué avec G. Lucas

) en me mettant du cornet à la pistache plein la figure. Et personne en ce temps-là n'aurait songé à aller voir
Star wars. Personne n'imaginerait que l'on conservât le titre étranger d'un livre traduit en Français. Vous lisez souvent
Cien annos de soledad ?
The merry wives of Windsor ? Οιδιπους τυραννος ? Et je ne sais même pas comment l'on dit
Crime et châtiment en russe
Svernoux, youhou..., a little dormouse is needed !.
Cette évolution a été d'autant plus pernicieuse qu'elle a été progressive : au début, c'était les petits titres (sous le falacieux prétexte que "tout le monde pouvait comprendre") : Star wars, toys story (tout gamin de moyenne section de maternelle sait
évidemment que toy veut dire jouet

).
Et l'on se retrouve aujourd'hui avec
The eternal sunshine of a spotless mind. Imprononçable pour qui n'est pas anglophone, incompréhensible pour beaucoup (comme ça, spotless, je l'aurais traduit par "sans lumière" - oups, "sans tache", OK j'ai appris un mot d'anglais

), et sans signification pour personne, puisque j'apprends dans un magazine cinéphilique que c'est un vers très connu d'un poète très connu, mais anglais.
Faut-il le regretter c'est une autre question, la réalité est que dans ces domaines précités, le français est en recul. Incidemment par manque de volonté politique claire et établie. La loi Toubon fut une chose, il me semble qu'elle soit aujourd'hui aisément contournée et enterrée sur de nombreux points. Au lieu de 'trop facilement" brocarder les québéquois sur leur acharnement à préserver le français, les français (en tout cas ceux concernés par le sujet) devraient se poser la question si aujourd'hui il ne faudrait pas suivre le même procédé. Cela aurait encore plus d'impact si la chose était organisée à partir du pays "mère" de cette langue que bien des locuteurs étrangers (il en reste) trouvent très "chic" de parler. Il me semble que cet atout n'est pas pris en compte par les divers responsables du "déclin" de l'usage du français. Le plus grâve n'étant pas de bien le parler en étant américain ou chinois, le plus grâve étant que la majorité des français ne savent plus le faire.
On présente souvent l'histoire de la langue française comme celle d'une longue obsession de la normalisation et de la centralité à la française : le méchant francien tueur des patois, et le fameux édit de Villers-Cotterets (qui, comme beaucoup de symboles historiques, ne représente pas grand-chose : l'édit en question comporte des dizaines d'articles, dont un seul sur la question du français, et les autres parlent des impôts sur les élevages de boeufs ou autre). En fait, la langue n'a jamais été réellement du côté du pouvoir étatique, mais bien des contre-pouvoirs. Elle a été celle des salons au XVIIe, celle des philosophes au XVIIIe. Celle des positivistes (tel Littré) au XIXe. La seule véritable période où l'Etat a eu un pouvoir sur la langue, ce fut la Révolution. Elle nous a amené de considérables changements orthographiques (chose amusante : allez au Musée Carnavelet, vous y trouverez deux versions de la déclaration des droits de l'Homme. L'une de 91, écrite en "françois" et au nom de la "loy", l'autre de 92 écrite en "français" au nom de la "loi"). Mais l'on a manqué une occasion historique de rationalisation de l'orthographe...
Tout cela pour dire que je ne crois pas beaucoup à l'intervention de l'Etat dans ce domaine. Depuis un siècle, les lois se sont mutlipliées, les organismes aussi, et toujours à contre-temps ; on peut se moquer parfois des tentatives de francisation des Québécois, mais celles des organismes hexagonaux sont souvent pires (vous vous souvenez de "resuscée" pour "remake" ?

). Et puis une loi n'est rien sans son application, et sauf à imaginer des inspecteurs de la brigade morphosyntaxique, cela n'y fera pas grand-chose. Il y a plus de dix ans que la loi Evin sur le tabac est entrée en application, et je commence seulement maintenant à voir les restaurants s'équiper en conséquence. C'est parce que les clients sont demandeurs aujourd'hui que les restaurateurs séparent fumeurs et non-fumeurs, pas parce que la loi les y oblige. Au mieux la loi a accompagné un mouvement psychologique (combattre le tagabisme passif), mais par elle-même elle n'a rien fait.
La question
est culturelle. L'anglais fait chic, l'anglais fait libéral donc l'anglais fait moderne (

oups, une opinion politique, j'ai rien dit). Il y a quelques années une société agroalimentaire avait lancé une merde mangeable, dont la pub disait "aujourd'hui, il y a un nouveau snack". Phrase stupide, parce que "snack" en français n'existe que dans le sens de "snackbar" (qui ont d'ailleurs un peu disparu, me semble ?), et non dans celui "d'en-cas". Heureusement, le produit a fait un flop et l'on en a plus entendu parler. Cela fait des dizaines d'années que nous avons tous des saloperies en portion individuelle dans nos frigos et garde-manger (moi le premier), les publicitaires les appellent en-cas, ou barre céréalière ou autre ; en tout cas "snack" n'était pas nécessaire, et n'est pas réapparu depuis lors. Ce n'était pas un emprunt fait naturellement (ce qui est dans l'ordre de toute langue), c'était bel et bien l'imposition d'un nouveau mot, par pur désir de se "positionner" en terme de marketing.
Mais au moins l'Etat pourrait-il donner l'exemple. Et sur ce point, je rejoins totalement Nevada : nous sommes dans une mauvaise passe. Tous ceux qui font des études ici (et nous sommes quelques-uns) savent que s'accomplit en ce moment une réforme universitaire, dite LMD ou 3-5-8. On en pense ce que l'on en veut, y compris beaucoup de mal. Mais un point devrait étonner, choquer, ulcérer, faire hurler tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas concernés par les questions de politique universitaire - et pourtant nul, je dis bien nul ne réagit, en tout cas sur point-là : la réforme met en place trois diplômes et supprime les autres, à savoir la licence, le master et le doctorat. Cherchez l'erreur...

Master, oui. Très officiellement, l'Etat vient de faire entrer un anglicisme dans un domaine qui touche directement à son autorité. Le fait prouve du reste que le LMD correspond en fait (mêmes certains de ses sectateurs l'admettent) à l'adoption du système anglo-saxon : BA, Master, PhD. Soit, la chose a peut-être du bon

. Mais "master" est une forfaiture. "to be a master" signifie être maître ; donc en bon français universitaire, le diplôme aurait dû s'appler maîtrise. Ou en passant par le latin, magistère. Les deux titres étaient possibles, et le second même était libre (et commençait d'ailleurs d'être utilisé par certaines facs, notamment parisiennes).

Pire, dans la première version de la loi, le mot était orthographié "mastère" - et dans certaines circulaires (preuve de la haute cohérence de notre administration) : mastaire. Tentative, à tout le moins, d'adaptation. Or - tenez-vous bien - dès le nouveau ministre arrivé, il y eut un décret-loi (

c'est compliqué un décret-loi, ça réclame le travail de plusieurs juristes et le passage en conseil des ministres, sans oublier la signature du chef), qui après les vingts lignes règlementaires de "vu la loi du 12 novembre 46", et autre "attendu que" et "après avis du Conseil d'Etat" avait pour article unique : "dans la loi précédente, le mot "mastère" est partout remplacé par "master"....
La seule explication donnée fut qu'il fallait améliorer la lisibilité internationale du diplôme : dans ce cas appelons la licence BA et le doctorat PhD, et même le bac A level, ça ira plus vite !!

. Non seulement c'est idiot, mais c'est grave : "améliorer la lisibilité" signifie "être compris en anglais" ; peut lui importait que "Bachelor of art" ou "Philosophy doctorate" fussent parfaitement incompréhensibles à un français, ou même à un allemand (rhââ combien de fois ai-je entendu dans les feuilletons américains des héros détenteurs d'un "doctorat de philosophie" !).
On va me dire que nous sommes en train de hors-sujéter, et de dévier de la place du français dans le monde à l'éternelle question des anglicismes où nos esprits difficultueux aiment à se chamailler (je sens qu'un linguiste bretonnant que j'aime beaucoup par ailleurs et qui le sait va venir me dire que le français doit être une langue vivante et que le purisme ne mène à rien etc.

).
Et je réponds que nous sommes au coeur de la question : Nevada a parfaitement raison. Il ne s'agit pas de savoir si balladeur est préférable à walkman, ou spam à pourriel. Il s'agit de se rendre compte que sans être franchement "en déclin", le français est internationalement menacé, parce qu'il est entendu
jusque par ses locuteurs naturels, et par des institutions aussi symboliques que l'Université (j'ai parlé du master, mais je pourrais parler des conférences remplacées par des symposiums quand ce ne sont pas des contests, ou les études de "genres",
gender) qu'il est "pas moderne" d'une part, et que la présence de l'anglais doit être considérée comme une évidence. Les déclarations récentes de notre très anonyme ministre de l'éducation (l'anglais comme faisant partie des "savoirs fondamentaux" - comme si un plombier, un comptable de PME, un pompier ou un masseur diplômé avaient besoin de savoir parler anglais plutôt qu'allemand ou chinois - alors que les maths, tout le monde en a besoin) va hélas dans le même sens.