
Intéressant tout ça.
Oui, ce genre de choses a déjà été étudié. Je pense que le cas de loin le plus documenté est celui de l'espagnol américanisé/américain hispanisé des "latinos" aux Etats-Unis (pour des raisons objectives : a. les facs américaines sont riches b. les Etasuniens ont une vision très communautaire des choses, et les études de "groupes" ("wife, black, latino studies") sont très courantes c. Les latinos sont très nombreux dans les Etats ayant de gros centres universitaires (et en particulier la Californie), et il y a même une relative classe moyenne latino qui étudie ou enseigne dans ces facultés et d. conséquement à tout cela, les Latinos ont aux Etats-Unis même des médias rien qu'à eux qui ne sont d'une autre taille et puissance que la petite radio associative lusophone de Lyon sur laquelle je suis tombée un jour

).
... De là à te donner une biblio, faudrait que je recherche un peu.
Ce que tu décris porte des noms en linguistique. Dans tous les cas, on peut analyser le portugais ou le français comme un "adstrat".
les mots français, prononcés à la portugaise et qui s'insèrent dans une conversation en portugais :
fui ao marchê / je suis allé au marché / fui ao mercado
"code-switching" (<- et ça c'est un xénisme ! On dit parfois "changement de code", mais c'est plus obscure). À l'oral au moins, un linguiste dira "switchage" ou utilisera le terme "switcher".
L'aspect essentiel du code-switching, c'est la question "pourquoi ?". Pourquoi tel concept est-il préférentiellement exprimé dans l'une ou l'autre langue. Il faut distinguer :
1) des raisons objectives : le mot n'existe pas dans la langue A... En fait, cette raison est très rare, parce qu'il est absurde de penser, si les deux sont "à égalité" (deux langues institutionnalisées), que le mot n'existe pas dans l'une - ou alors il s'agit d'une réalité absente de la culture A (cf. les noms de sports (football), de recette (pudding), de constructions (living-room), de realia divers (doggy-bag).
2) Plus souvent, le fait est sociologique : la réalité n'existe pas
dans le "sociolecte" utilisé par l'émigré dans sa langue maternelle, mais il y est confronté dans sa vie dans le pays B. Je me souviens ainsi des parents d'élèves maghrébins de ma mère qui venaient au collège, il y avait une interprète. Et ça donnait "bla bla bla bla principal bla bla bulletin bla bla heure de colle bla bla histoire-géo". Tous ces mots doivent exister en arabe au moins littéraire. Mais pas dans la langue pratiquée par les émigrés eux-mêmes dans leurs bleds (au sens propre) d'origine.
3) Des raisons de sémantisme : le mot français est plus précis, ou au contraire plus large. C'est en fait lié à la différence culturelle, donc dans les faits c'est assez sociologique aussi : est-ce que le "mercado" portugais fonctionne commes nos marchés ? Si l'émigré appartenait à une famille de paysans, il n'y a vraisemblablement aucune raison pour qu'il soit allé faire son "mercado" au Portugal, même s'il connaît le mot.
4) Des raisons sentimentales, évidemment. Ou "socio-sentimentales" : dans ma jeunesse banlieusarde, le marché du vendredi matin était un "moment sociologique féminin". Les mères de famille d'un bloc y allaient ensemble, papotaient ensemble, et j'imagine disaient ensemble du mal de leurs maris

nécessairement en français s'il y avait plusieurs origines. Donc, si je puis dire, le marché "existait" en français. Alors que le foot "existait" certainement en portugais !
Ici doublé de faits phonétiques (accent). Mais c'est souvent le fait le plus mécanique : il est dure de placer un mot anglais avec l'accent dans une phrase française avec l'accent. Il faut marquer un temps d'arrêt, ou massacrer le mot anglais.
- les mots français transformés pour l'occasion en mots portugais (l'exemple ci-dessus pourrait presque faire l'affaire puisque, pour la prononciation + adaptée au portugais, le é se transforme en ê)
as lunetas / les lunettes / os óculos
a chafodage / l'échaffaudage / o andaime
partajar / partager / partilhar (ce qui donne lieu à de vraies conjugaisons à la portugaise à partir du verbe créé "partajar")
Je parlerais bêtement d'emprunts. Mais le dernier est intéressant, car il montre un cas "d'intégration" de l'emprunt.
L'exemple-type que tout portugais de France de mon âge connaît de ses parents, c'est "vamos cassar a cruta", qui est une portuguisation ou lusification - désolé pour le néologisme affreux - de "on va casser la croûte".
Je préfère lusification, bien qu'il n'existe pas sur internet, c'est plus cohérent avec lusime et lusophone.
Calque lexical. Une "lexie" (une unité de sens linguistique, un mot ou une locution) a un sens dans la langue A et ce sens est transmis à la langue B.
... Quand il s'agit d'un mot, on parle plutôt de calque sémantique, car ce n'est pas le lexique qui est enrichi, mais le sémantisme d'un terme, selon un mécanisme de quatrième proportionnelle. Par exemple
français "étudier = faire des études" <=> "étudier = regarder avec attention".
suisse allemand "studieren = étudier 1" => "studiern = étudier 2".
C'est ainsi qu'un Suisse "studiert" ses horaires de chemin de fer, ce qui est absurde pour un Allemand.
a / b = c / d
étudier 1 / étudier 2 = studieren 1 / studieren 2
- les tournures portugaises dites en français
je me donne bien avec elle / je m'entends bien avec elle / dou-me bem com ela
Calque lexical ET syntaxique.
*
Y'a pas de plan absolu, comme souvent en sciences humaines la matière commande le plan.
A mon avis, le premier point est de faire une série "influence du portugais ("substrat/adstrat") sur ce qui est donné comme français (langue de référence)" et une série pour l'inverse.
Voici un plan qui me vient de mes cours sur le bilinguisme gréco-latin (thèse de F. Biville). Je ne fais que pour le cas "influence du portugais sur ce qui est donné comme français"
I. Emprunt de mot constitué (le mot considéré est pleinement portugais)
I.1 Elements alloglottes (=donnés come portugais, signifiant portugais, mais signifié potentiellement exprimable en français)
- code-switching (passage d'une langue à l'autre, [size]mais l'essentiel de la phrase est en français. Tout ici est question de proportion[/size]).
- "emploi en mention" : "comme on dit portugais, c'est du
{mot port.}").
La différence entre l'un et l'autre est que l'un est mécanique/inopiné/inconscient et que l'autre est organisé/voulu/conscient. En fait, entre ces deux pôles, la réalité fluctue.
I.2 Xénisme (référent et signifiant portugais)
Ex. : les noms des recettes, qui ne peuvent pas se traduire.
I.3 Pérégrinismes ("aller-et-retour" d'un mot entre portugais du portugal/portugais de France/français). Sans doute un cas assez limité.
I.4 Emprunt* : il faut alors considérer le degré "d'intégration" dans la langue. L'élément déterminant est souvent la morphologie : est-ce qu'on accorde/décline le mot (comme tu disais : partajar), est-ce qu'on dérive à partir du mot (du genre achar -> achado "donc" partajar -> *partajado ?)
* problème : la différence entre l'emprunt et le xénisme ? Evidemment pas claire, mais c'est encore une question de conscience linguistique. Le xénisme est senti comme étranger / donné comme étranger / prononcé dans la langue étrangère / occasionnel / et ne cherche pas s'intégrer ("il est too much"). L'emprunt est senti comme français / donné comme français / prononcé en français / systématique / et cherche à s'intégrer ("le beefsteack/bifsteck").
II. Hybrides
- Dans la suffixation (base empruntée au français + suffixe portugais)
- Dans la composition (un élément fr. + un élément port.)
III. Calques
Morphologiques (ex. grec sophos "sage" -> sophia, latin sapiens -> sapientia, inventé par Cicéron. En fait, généralement, dans ce cas, le suffixe existe dans les deux langues avec de légères variantes (ex. -ation / -ação), mais c'est le fait d'ajouter le suffixe commun (-ia) à une base formellement différente mais de même sens (sophos/sapiens)
Sémantique (extension de sens d'un mot qui existe déjà en portugais, cas de "studieren")
Lexical /locutionnel
*
Oilà, quelques idées...