Page 1 of 1

Étymologie: p>f

Posted: 17 Sep 2006 19:27
by didine
Coucou!

Je parlais sur un autre forum du fait que quand on compare les mots apparentés en finnois et en hongrois, on constate que systématiquement, un p initial en finnois correspond à un f initial en hongrois. Les autres langues ouraliennes ont conservé le p initial, le p>f est donc caractéristique du hongrois.

Quelqu'un a fait remarquer qu'il s'était passé la même chose pour pater>Vater/father. La transformation p>f est-elle donc courante?

Merci d'avance!

:hello:

Re: Étymologie: p>f

Posted: 17 Sep 2006 20:47
by Olivier
déjà il y a ph du grec ancien (p + aspiration h) qui se prononce f dans le vocabulaire international d'origine grecque (photo, etc.), suite à l'évolution vers le grec moderne où c'est f
-- Olivier

Posted: 17 Sep 2006 21:43
by Sisyphe
[p] et [f] appartiennent à la même série des labiales, autrement dit des sons qui se font avec les lèvres, et par ailleurs des labiales sourdes, auxquelles correspondent les labiales sonores [ b ] et [v].

[p] est une occlusive : le canal bucco-laryngal est pendant un temps totalement fermé lorsqu'on le prononce. [f] est une spirante : l'air passe.

Toutefois [f] n'est pas totalement la spirante correspondante de [p] car il y a une très légère différence de point d'articulation : [p] est bilabial (les deux lèvres), [f] est labio-dental. Il existe un son intermédiaire, la bilabiale sourde spirante notée [φ] en API. C'est à peu près le son que vous faites pour souffler une bougie (les deux lèvres serrées, mais l'air passe). La correspondante sonore, notée [β], est un peu plus courante, notamment je crois en espagnol.

Les occlusives constituent par définition un obstacle, une gêne dans le flux de la parole. Elles ont donc une tendance naturelle à se spirantiser, alors que l'inverse n'est pas vrai. De plus, les sourdes sont attaquées par le voyelles, sonores par natures.

Voyez par exemple toutes occlusvies intervocaliques du latin : amata, sapere, fidem, negare.
En italien, elles ont tenu le coup, sauvées par un accent particulièrement puissant : amata, sapere, fede, negare.

En espagnol, elles se sont sonorisées, à cause des voyelles sonores avant et après : amada, saber, negar (mais déjà "fe")... Mais suivant les accents, on perçoit même un début de spirantisation : j'air remarqué que notre Manuela disait [amaða] ou [saβer] ;) .

En français, la sonorisation ne les a pas sauvées : on est passé par le stade "Manuela" et ensuite elles sont carrément tombées : aimée, foi - seules "savoir" présente une trace.


*

Pour ce que tu mentionnnes, il n'y a pas de sonorisation. Cette correspondance "/P/ initial indo-européen / /F/ germanique commun", cela relève de la sacro-sainte première mutation consonantique, dite Loi de Grimm (oui oui, Jakob, l'un des frères auteurs de contes), qui est aux indo-européanistes ce que le Notre Père est aux Chrétiens. Wiki l'explique très bien, je n'insiste pas.

Dans le détail, le passage de [p] à [f] sans sonorisation est en effet assez semblable le même pour la loi de Grimm et pour l'évolution du grec ancien :

1. bilabiale sourde occlusive [p] - en grec, augmentée d'une aspiration [ph] - on prononçait bien [p'hilosp'hos] comme on prononce Phnom-Phen.

2. bilabiale sourde mais qui devient spirante [φ]

3. sourde spirante qui passe de bilabiale à "une seule lèvre", labio-dentale [f]

Attention cependant, il y a une différence de chronologie :
- En germanique, ce sont directement les [p] indo-européens qui deviennent [f], tandis que les [bh] indo-européens deviennent , entre le Ve et le IIe siècle avant JC.
- En grec, ce sont les [bh] indoeuropéens qui deviennent [ph] dès le début du grec, et ensuite deviennent [f] vers le IIIe/IVe siècle après JC.

*peH2ter -> gr. [pater] qui n'évolue plus
*peH2ter -> germ. fater > all. Vater, angl. father

bhero -> gr. [phero:] > [fero] "je porte"
bhero -> v.h. all. [beran] > (ge)bären, to bear.

J'ignorais pour les langues finno-ougriennes. On trouve d'autres correspondances du même ordre entre labiales au sein des langues italiques, c'est un groupe très instable (lat. tabula / ombrien tafle).

EDIT : c'est embêtant, si je veux représenter le son [ b ] il me met tout en gras !

Posted: 18 Sep 2006 08:11
by didine
Un GRAND merci! :drink:

Posted: 20 Sep 2006 15:54
by gilou
Dans le cas précis du passage de p- initial a f-, c'est un des traits caractéristiques du hongrois, qui le distingue de toute les autres langues finno-ougriennes a l'exception de deux langues samoyèdes nordiques, le iénisséien et le tavgui.

Exemple: "arbre"
finnois puu
hongrois fa
iénisséien (à côté de )
tavgui fa

Ce passage de p- a f- est ancien, car il est dejà effectif dans les plus anciens témoignages écrits de la langue (vers l'an 1000).

Quelques autres exemples:
f. pää ~ h. fő, fej (tête)
f. pesä ~ h. fészek (nid)
f. puno- ~ h. fon (filer)
f. pelkä- ~ h. fél (craindre)
f. pato (barrage) ~ fal (cloison, mur).

Par contre, a l'intérieur de mot, on trouve des p, qui représentent une ancienne géminée pp:
f. sappi ~ h. epe (bile, fiel)
f. appi ~ h. ip- (beau-père)

Il y a aussi quelques rares mots qui ont exceptionellement conservé leur p- initial:
f. poro ~ h. por (poussiere)
f. pola, polo ~ h. para (flotteur pour le filet)

[Condensé de ce qu'en dit Aurélien Sauvageot dans "L'édification de la langue hongroise"]

Le passage de p a f est assez courant.
En japonais ancien, on a eu un passage d'un ancien p initial a φ par spirantisation, ce son restant φ devant u (en fait, un φ prononcé sans arrondissement des levres), et evoluant vers d'autres spirantes en fonction de l'entourage ([ç] devant i, [h] devant a, o, e).

A+,

Posted: 20 Sep 2006 17:28
by Sisyphe
:) Très intéressant, merci Gilou (manque plus qu'un ouralo-altaïste, un proto-américaniste, un chamito-sémitiste, un sinologue et quelques spécialistes des langues d'Afrique et d'Asie non citées et on va pouvoir faire un livre sur "le passage de [p] à [f]" !) .

Posted: 20 Sep 2006 17:58
by didine
Sisyphe wrote:ouralo-altaïste
Nooooooooooooooooooooooooooooon! :lol: "Ouralo-altaïste" est LE mot qui fait dresser les cheveux des ouralistes. ;)

Posted: 20 Sep 2006 20:26
by Toirdhealbhách
La mutation p>f se produit aussi dans toutes les langues celtiques, ca fait partie du système même de ces langues. Dans les langues celtiques, les initiales des mots peuvent changer selon le mot qui précède.

Exemple en breton:
tra = chose
un dra = une chose
tri zra = trois choses.
(donc, le T se change en D ou en Z selon le contexte).
De même, le P se change en B ou en F selon le contexte. Plusieurs autres consonnes changent aussi.

Donc quelques exemples celtiques pour toi:

En breton:
penn = tête
ma fenn = ma tête
tri fenn = trois têtes
pevar fenn = quatre têtes
naw fenn = neuf têtes
o fenn = leur tête
he fenn = sa tête à elle

En gallois:
pen, ei phen (sa tête à elle), tri phen (3 têtes), gyda phen (avec une tête).

On a d'autres exemples similaires dans les autres langues celtiques, mais je pense que ce que j'ai donné suffit. :)

Posted: 20 Sep 2006 21:48
by gilou
Sisyphe wrote::) Très intéressant, merci Gilou (manque plus qu'un ouralo-altaïste, un proto-américaniste, un chamito-sémitiste, un sinologue et quelques spécialistes des langues d'Afrique et d'Asie non citées et on va pouvoir faire un livre sur "le passage de [p] à [f]" !) .
Par exemple énoncer une séries de contraintes évaluées selon le modele de l'Optimality Theory, pour etre "in".
:D
A+,