[p] et [f] appartiennent à la même série des labiales, autrement dit des sons qui se font avec les lèvres, et par ailleurs des labiales sourdes, auxquelles correspondent les labiales sonores [ b ] et [v].
[p] est une occlusive : le canal bucco-laryngal est pendant un temps totalement fermé lorsqu'on le prononce. [f] est une spirante : l'air passe.
Toutefois [f] n'est pas totalement la spirante correspondante de [p] car il y a une très légère différence de point d'articulation : [p] est bilabial (les deux lèvres), [f] est labio-dental. Il existe un son intermédiaire, la bilabiale sourde spirante notée [φ] en API. C'est à peu près le son que vous faites pour souffler une bougie (les deux lèvres serrées, mais l'air passe). La correspondante sonore, notée [β], est un peu plus courante, notamment je crois en espagnol.
Les occlusives constituent par définition un obstacle, une gêne dans le flux de la parole. Elles ont donc une tendance naturelle à se spirantiser, alors que l'inverse n'est pas vrai. De plus, les sourdes sont attaquées par le voyelles, sonores par natures.
Voyez par exemple toutes occlusvies intervocaliques du latin : ama
ta, sa
pere, fi
dem, ne
gare.
En italien, elles ont tenu le coup, sauvées par un accent particulièrement puissant : amata, sapere, fede, negare.
En espagnol, elles se sont sonorisées, à cause des voyelles sonores avant et après : amada, saber, negar (mais déjà "fe")... Mais suivant les accents, on perçoit même un début de spirantisation : j'air remarqué que notre Manuela disait [amaða] ou [saβer]

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En français, la sonorisation ne les a pas sauvées : on est passé par le stade "Manuela" et ensuite elles sont carrément tombées : aimée, foi - seules "savoir" présente une trace.
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Pour ce que tu mentionnnes, il n'y a pas de sonorisation. Cette correspondance "/P/ initial indo-européen / /F/ germanique commun", cela relève de la sacro-sainte
première mutation consonantique, dite Loi de Grimm (oui oui, Jakob, l'un des frères auteurs de contes), qui est aux indo-européanistes ce que le
Notre Père est aux Chrétiens. Wiki l'explique très bien, je n'insiste pas.
Dans le détail, le passage de [p] à [f] sans sonorisation est en effet assez semblable le même pour la loi de Grimm et pour l'évolution du grec ancien :
1. bilabiale sourde occlusive [p] - en grec, augmentée d'une aspiration [ph] - on prononçait bien [p'hilosp'hos] comme on prononce Phnom-Phen.
2. bilabiale sourde mais qui devient spirante [φ]
3. sourde spirante qui passe de bilabiale à "une seule lèvre", labio-dentale [f]
Attention cependant, il y a une différence de chronologie :
- En germanique, ce sont directement les [p] indo-européens qui deviennent [f], tandis que les [bh] indo-européens deviennent
, entre le Ve et le IIe siècle avant JC.
- En grec, ce sont les [bh] indoeuropéens qui deviennent [ph] dès le début du grec, et ensuite deviennent [f] vers le IIIe/IVe siècle après JC.
*peH2ter -> gr. [pater] qui n'évolue plus
*peH2ter -> germ. fater > all. Vater, angl. father
bhero -> gr. [phero:] > [fero] "je porte"
bhero -> v.h. all. [beran] > (ge)bären, to bear.
J'ignorais pour les langues finno-ougriennes. On trouve d'autres correspondances du même ordre entre labiales au sein des langues italiques, c'est un groupe très instable (lat. tabula / ombrien tafle).
EDIT : c'est embêtant, si je veux représenter le son [ b ] il me met tout en gras !