Les difficultés de connexion du lieu où je me trouve m'obligent à être bref (pour une fois), et Maurice, qui a dit l'essentiel, semble pouvoir expliquer les présupposés épistémologiques des classifications linguistiques beaucoup mieux que moi.
J'ajouterais pour ma part que cette classification, qui remonte aux tous premiers temps de la linguistique "scientifiques" (c'est-à-dire le début du XIXe siècle en Allemagne, comme tout ce qui relève des sciences humaines) est largement fondée sur des présupposés, voire des préjugés que l'on pourrait qualifier "d'Hégélien" : les langues isolantes (dont le modèle était le chinois) formaient le moment "primitif" de la pensée humaine, les langues agglutinantes (dont le modèle semblait être les langues finno-ougriennes) leur deuxième moment, et les langues fléchies était alors "l'Aufhebung" magnifique de cette opposition entre juxtaposition absolue des concepts et ligature totale. Géographiquement, ça épousait vaguement le "mouvement de l'histoire" cher aux hégéliens, d'est en ouest (les Chinetoque qui "ont tout inventé mais n'ont jamais été capable de faire évoluer leurs inventions", les peuplades asiatiques qui ont fait le lien entre Chine et Inde, puis le prétendu "monde indo-européen"). Et pour dire les choses clairement, ça supposait aussi une axiomatique, voire un jugement moral voire un jugement racialiste des langues : les fléchies étaient "les meilleures", et ça tombe bien, c'était les nôtres !
Hegel, Schlegel et Humboldt les premiers ont patouillé autour de ces concepts avec de subtiles nuances.
Contrairement à d'autres visions "européocentrées" de la linguistique, cette classification, avec tous les ajouts et toutes les nuances signalées par mes confrères linguistes ci-dessus, avait quelque fondement. Mais comme toute classification, elle n'a de pertinence que par rapport à la finalité du classement (on ne classe pas les couleurs de la même façon suivant que l'on est physicien ou peintre en bâtiment). Son avantage, et d'une certaine manière sa modernité dès le XIXe siècle, c'est de proposer autre chose qu'une vision strictement génétique et historique des langues (les langues indo-européennes, fille d'un mère commune, se subdivisant comme une bille de mercure : groupe italo-celtique, puis en son sein groupe italique, puis en son sein latin donnant naissance au groupe ibéro-roman, puis en son sein le proto-espagnol commun, puis le castillan primitif puis puis puis...) ; l'aveuglement du début XIXe siècle consistait plutôt à croire qu'un groupe linguistique était définitivement lié à un seul type de langue ; les indo-européennes, les "meilleures" donc, étant définitivement des langues fléchies par exemple (en ce sens, l'hypothèse d'un "proto-indo-européen" ergatif, même erronée finalement, a été une saine remise en cause).
Comme tout classement aussi, les limites sont par essence floues.

Je pourrais parler de l'espéranto, qui quoique fléchie par essence et en apparence est en fait à la limite d'une langue agglutinante ; mais il vaut mieux ne pas parler d'espéranto ici

. Je mentionnerai donc l'anglais, qui est de moins en moins fichu de faire la différence entre nom et verbe.
... Et pour dévier sur un sujet que je connais assez bien, le flou vaut tout autant pour "langues ergatives vs langues non-ergatives". Le sanscrit a des tournures ergativoïdes qui font froid dans le dos !
Donc, pour conclure, je dirais que le classement "isolantes/agglutinatives/flexionnelles/polysynthétique" est au fond un très bon classement dans les conditions suivantes :
- De bien considérer qu'il s'agit ici du seul critère de la syntaxe.
- De ne jamais le considérer comme définitif du point de vue diachronique, et de ne pas chercher à faire se recouper cette classification et la classification phylogénétique.
- Et ce, à mon avis, dans un but essentiellement
didactique. C'est le genre de cliché qu'il
faut bourrer dans le crâne des étudiants de première année et qu'il
faut arracher du même encéphale quelques années plus tard !
(je vous avais prévenu : c'est rapide)