Comme toujours dans vos questions, il y a plusieurs niveaux à démêler :
1. Ce que signifie Alphaios en grec, comme nom propre et/ou comme mot commun.
2. Comment il se peut faire qu'un personnage palestinien araméophone puisse porter un nom grec.
Commençons par le 1. "alphos" est un mot "périphérique" en grec : un de ces mots qui sont plus ou moins passés "sous les radars", parce qu'ils ne sont présents ni dans la langue d'Homère ni dans le dialecte ionien-attique (Athènes) ou ionien d'Asie (Hérodote), autrement dans 98% de la production du grec alphabétique. Pour la forme et le sens, il n'y a pas de doute : il désigne le blanc mat, et correspond exactement en tout point au latin "albus", et au vieux-slave
lebedĭ, "le cygne" (le même, je suppose, que dans le nom du général Lebed ?).
Mais voilà : au stade la koiné, plus de trace de ce mot, sinon dans un emploi médical (alphos = lèpre blanche), dans des gloses de grammairiens rendant compte d'un vieux dialecte (la Grèce ancienne est pleine de Maîtres Capello), et dans la toponymie, dont notamment le fleuve d'Elide que vous citiez, et le dieu qu'on lui a attribué. Ce qui soulève deux questions :
a) Les Grecs de l'ère alexandrine puis romaine avaient-ils encore conscience de cette étymologie ? J'en doute. Ou vaguement, parasité par le nom du gruau d'orge (alphi). Pas plus sans doute qu'un Français ne comprend le sens de la base dans "désarroi" ou qu'il ne peut encore découper correctement "soubresaut", même s'il a vaguement conscience qu'il est question de "sous".
b) Peut-on passer du nom d'un fleuve au nom d'une personne ? Oui, au moins comme pseudonyme. Il y a ainsi au moins un Alphée dans
l'Anthologie pallatine. Tout comme un auteur français a choisi de s'appeler Vercors, et un autre San-Antonio. Sans parler de l'historien français Besançon, maladroitement appelé ainsi parce qu'il était enfant de l'assistance publique, trouvé à Besançon, ou Jacques Marseilles pour des raisons plus anciennes. N'oubliez pas ce que je disais dans un autre message : il n'existe aucun système onomastique stable ou stabilisé dans la "pars orientalis" de l'empire romain, jusqu'aux Byzantins inclus : on fait avec ce qu'on a. Alphée peut décider de s'appeler Alphée parce qu'il a vu le jour près du fleuve Alphée, ou tout simplement parce qu'il trouve le nom agréable à porter, et dans tout les cas parce qu'il est le 34e "Jacques" de la famille et le 112e du quartier.
Venons au 2 : comment un Palestinien du premier siècle avant son copain pouvait-il avoir un nom grec ? Deux possibilités : celle mentionné sur wiki et développée dans la Catholic encyclopaedia, selon laquelle Alphaios serait la réhellinisation superficielle par attraction paronymique d'un mot araméen, en l'occurence "alpay". L'autre : la Palestine étant dans l'aire d'influence grecque, certains Palestiniens auraient trouvé chic d'adopter un nom grec. Aucune des deux ne me paraît absurde :
- L'attraction paronymique est un phénomène courant et banal en onomastique : un nom A dans une langue X évoque phonétiquement un nom B très répandu dans une langue Y. Une mienne amie avait fait changé son nom de famille, facteur de mauvais jeux de mots qui lui pesaient : ce jour-là, et pour la seule fois de ma vie, je lus le
Journal Officiel à la colonne ad hoc : un autre avait fait changé "Ahmed" en "Amédée", on image hélas pourquoi. J'ai aussi eu une Asiatique nommée Ai Lin sur la feuille d'appel qui s'obstinait à me mettre "Hélène" sur ses copies. Je n'ai pas de témoignage antique sous la main, mais on en trouverait.
- L'influence culturelle a bien des témoignages aussi, à commencer par les membres de la dynastie asmonéenne : Hérode, Bérénice (forme macédonienne de Phérénikê : celle qui apporte la victoire), Aristobule, noms grecs à côté des Phasaël, Joseph et Salomé, noms sémitiques... Ou plus près de moi, les catastrophes onomastiques engendrées par les séries télés américaines dans mes classes : Kévin, Jonathan, Steacy, Brandon... [mode politiquement non-correct au douzième degré] Y'a plus que les Africains qui ont un nom français !

[/mode politiquement non-correct au quinzième degré]. Ces exemples (ou celui des "noms de guerre" des prostituées romaines au premier siècle, toujours grecs) montrant qu'il n'est pas nécessaire de monter haut dans la société pour sentir les effets de l'hellénisation des esprits.
Je laisse le dernier mot aux biblistes et aux spécialistes de la Palestine du premier siècle et de l'hellénisme post-alexandrin. Je ne suis ni l'un ni l'autre ni le troisième.