patmos wrote:Question intéressante.
Pour l'orange il me semble que ça vient bien du fruit. En latin orange se dit "aurantiacum, aurantiaca", il me semble que c'est par rapport à la couleur de l'or (aurum). Mes connaissance en latin sont d'abord botanique ! Qu'on me corrige si j'ai écrit des betîses !
En anglais pour rose il y a en plus de "rose", il y a "pink" qui est aussi l'oeillet....

Je te corrige, tu dis des bêtises ! Enfin disons que c'est horriblement plus compliqué sous des dehors simples, peut-être parce que la question mixte deux des plus étourdissants problèmes de la lexicologie : les noms de végétaux et les noms de couleurs.
Commençons par la rose. C'est le nom de la fleur qui est premier. Celle-ci se dit comme chacun sait "rosa" en latin (l'adjectif de couleur est roseus), mais il est amusant de constater que l'exemple absolu, l'archétype, la caricature du mot latin rendu célèbre par deux siècles de livres de grammaire et un chanteur flamand francophone, n'a rien d'un mot vraiment latin. Même en synchronie, un "s" entre deux voyelles est tout à fait anormal.
En diachronie, c'est-à-dire sur un plan historique, ça devient l'horreur :
a) Seule certitude, le mot n'est pas indo-européen, pour des raisons qui réclameraient des explications quasiment pornographique.
b) Deuxième quasi-certitude, les langues disons du pourtour méditerranéen oriental partagent des mots qui ressemblent pour désigner la fleur : rosa en latin, rhodon en grec classique (d'où nos rhododendrons, des arbres à roses), écrit brodon en éolien et qui semble avoir été *wrodon. On trouve un truc comme wrud en vieux-perse (ortho à vérifier, sais plus) et en gros, ça se retrouve tel quel en arménien, et ça donne les noms en "gul" de l'iranien moderne.
c) Mais le mécanisme de passage entre les langues est épineux. Emprunts, héritage d'un substrats, mot baladeur. Le mot fait des allers-et-retours entre les langues.
d) Le plus gros problème, c'est que d'une langue à l'autre le signifié peut se modifier insensiblement. Notre rose moderne est rose, uniforme, moyennement épineuse et bien ouverte. Mais je crois avoir lu qqpart qu'au Moyen Âge, la "rose prototypique" serait plutôt notre aubépine moderne. Tout comme "un chêne" ou "un pin" peut renvoyer à des expériences sommes toutes très différentes suivant que je suis dans le Quercy, en forêt ardennaise ou au Québec.
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Passons à l'orange. Là encore, le fruit est étymologiquement premier, mais... Un peu de suspens.
Le mot vient d'un *narandj arabo-persan, sans qu'on puisse dire "c'est un mot arabe emprunté par le persan" ou l'inverse. À partir de ce foyer originel, le mot "déborde" des deux côté de la Perse, dans toutes les langues de l'Inde d'un côté et par la méditerrannée de l'autre. D'où un périple entre l'italien, l'espagnol, le maltais et au final le provençal (je renvois à l'article de wikipédia qui à défaut de bien présenter les choses donne beaucoup de langues).
Dans l'air italo-provençale, il subit d'abord l'influence de l'or (auro), d'où sa latinisation totalement superficielle signalée par Patmos. Mais je gage qu'elle n'est pas antérieure à la fin du Moyen Âge. Ce n'est pas une étymologie au sens propre, c'est une étymologie "populaire" (mot mal choisi, car elle vient peut-être d'un clerc intello).
Reste le passage du au- au o-. On trouve partout l'idée que ce serait la ville d'Orange qui l'aurait influencé ; ce n'est pas totalement idiot : là encore, le consommateur de base aura sans doute fait une étymologie, ramenant approximativement le nom de ce fruit nouveau à celui d'une grosse ville marchande de cette Provence qui l'a répandue. Mais après tout, auro devient or en langue d'oïl, et le phénomène a dû jouer.
Je reviens donc à la question de la couleur. Historiquement, pas de doute : le fruit précède la couleur en français, c'est bien documenté. MAIS : on retrouve exactement le même procédés dans d'autres langues, et je crois que le "naranj" de certaines langues indiennes modernes s'appplique aussi à la nuance.
Reste le problème du référent : il semblerait que "l'orange" prototypique ait d'abord été l'orange amère. Je laisse Patmos nous expliquer la différence.
Le problème est le même que pour la rose, et en fait pour tout végétaux.
Si je dis à un enfant de me dessiner "une poire", il va me faire un truc jaune-or et piriforme. Parce que l'abatte ou la poire-william sont devenues le "prototype mental" de la poire. Mais Patmos pourrait nous expliquer qu'il y a des poires qui ont des formes pratiquement aussi sphériques que des pommes ; simplement nous ne les consommons plus, et quand j'en ai vu (d'un jaune presque blanc) dans mon supermarché (vendu comme un truc turc, à voir), j'ai cru que c'était des pommes. Donc j'aurais appelé ça "pomme". Mais supposons que j'arrive au Chiroubistan, qui ne connaît ni pomme ni poire ni coing. Avec ma poire sphérique et blanche, et que je dise de bonne fois "c'est une pomme". Les Chiroubis découvrent et aiment le fruit, qu'ils appelleront "p'öõhmm". Cinquante ans plus tard, un marchand arrive avec un navet blanc (légume inconnu au Chiroubistan). Ca a la même forme et la même couleur. Mais pas le même goût. Le marchand ne reste pas assez longtemps pour imposer son nom. Du coup, bien embêtés, les Chiroubis appellent ça "p'öõhm-bizâär". Et entre temps, "p'öõhm" sera devenu un adjectif de couleur.
D'ailleurs, "pomme" en français vient de "pomum" qui ne veut pas dire "pomme" mais "fruit à pépin" tandis que le mot indo-européen pour "pomme" aurait dû être *abelum en latin et a été éliminé en latin au profit du mot grec "melum", qui lui réapparaît dans notre "melon" qui ensuite a été étendu au "melon d'eau" dont certains font un synonyme de "pastèque" qui...
Z'avez compris : les noms de végétaux et de couleurs, c'est le bordel.