Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

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Freduss
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Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Bonjour,

Existe t-il en grec ancien un suffixe générique indiquant la nationalité, l'appartenance ethnique ou géographique, je pense par exemple à l'équivalent d'un final du genre Chypre = chypriote ?

Merci.
Olivier
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Olivier »

Il y en a ici qui sauront préciser davantage, mais dans ton exemple c'est -ios:
Κύπρος = Kupros "Chypre" -> Κύπριος = Kuprios "Chypriote"
et c'est un suffixe très fréquent, par ex. Athênai "Athènes" -> Athênaios "Athénien".
Il y a aussi d'autres suffixes comme:
-tês / -tis dans Sparta "Sparte" -> Spartiatês (masc.), Spartiatis (fém.) "Spartiate",
-(i)nós dans Buzantion "Byzance" -> Buzantinos "Byzantin",
-(i,a)kós peut-être, par ex. Korinthos "Corinthe" -> Korinthios et aussi Korinthiakos "corinthien" (différence peut-être entre nom de peuple et simple adjectif?)
-- Olivier
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Freduss
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Ben c'est déjà une réponse qui me convient plutôt pas mal.

Le suffixe -tês/-tis : est-il identique à -ίτης -itês ?
J'ai farfouillé dans "wiktionnaire" qui semble indiquer que le second correspond à nos suffixes "-ier" et "-ien"....
Y a t-il une règle précise justifiant l'usage de l'un et de l'autre ?
Par exemple, s'appliquent t-ils l'un et l'autre systématiquement après une consonne ou une voyelle particulière ?
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Sisyphe
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Sisyphe »

:roll: J'avais une super-réponse et une fausse manoeuvre me l'a supprimée ! :evil:

On recommence.

Non, il n'y a pas de suffixe unifié pour les gentilés, et d'ailleurs, on constate qu'il n'y en a presque jamais dans les langues : en français même, on constate la coexistance de -ien / -ois / -ais - / -ain et de quelques autres plus dialectaux. Je me souviens que le brave patelin de Mondouzil, en Hate-Garonne, était allé jusqu'à organiser un référendum local pour départager les partisans de l'un ou de l'autre (Moudouzilien l'a emporté). Une autre anecdote : même en espéranto, langue construite ex nihilo (ou presque) et sur la base d'une régularité morphologique totale, le bordel s'est introduit. Zamenhoff, son inventeur, avait construit une règle précise, que l'usage n'a pas suivi. C'est un des rares domaines de cette langue où des irrégularités se sont introduites.

D'une façon générale, il s'y mêle des dizaines de considérations :

- La phonétique. Oui, autant que je puisse en juger, -itês n'est qu'une variante (dans le jargon, on dit "un allomorphe") de -tês quand on a besoin d'une voyelle. Ce qui ne signifie pas pour autant que la forme du gentilé soit prévisible à partir du nom de base.
- Le sens historique de la dérivation. Parfois c'est le pays qui donne son nom aux habitants (France -> français) et parfois l'inverse (Belges -> Belgiques).
- Les substrats et les dialectes. Un suffixe comme -iote (chypriote, stambouliote, qatariote, mais on dit de plus en plus qatari) est grec en français, il n'est pas vraiment productif. De même la répartitions entre -ois et -ais en français est partiellement dialectale (mais c'était déjà le bazar en latin, entre -anus et -ensis). Il me semble ainsi qu'en grec, -itês est un suffixe plutôt dorien : Spartiatês, Krotoniatês, Sybaritês, ou macédonien : Abderitês (habitants de Sparte, Crotone, Sybaris, Abdère), mais pas ionien-attique. Or, la koiné grecque du nouveau testament (puisque je présume que vous êtes toujours là-dedans) se fonde plutôt sur l'usage attique. Mais ces gentilés-là étaient déjà entrés dans l'usage.
- La grammaire. Certaines langues, comme le français, ne distinguent presque jamais l'adjectif du nom (sinon pour la majuscule : français / un Français) ; d'autres le font systématiquement, et je me prends toujours les pieds en allemand entre deutsch et Deutscher, Englisch et Engländer, französich et Franzose (et pourtant je connais la règle). Sur ce point, le grec est entre les deux ! On distingue ainsi normalement Dorieus (le Dorien, nom) et dorikos (dorien, adjectif), mais ce n'est pas le cas pour Athênaios (athénien / un Athénien) !

S'agissant du grec, il faut prendre en compte encore deux variables :
- L'époque. Platon dit "dorikos", mais cinquante ans plus tard, Aristote dit "dorios". A date classique, et les inscriptions le prouvent, les habitants du Pirée se décrivent comme "Peiraeis", mais les auteurs du quatrième siècle disent "Peiraieis" avec un i, et Plutarque, cinq siècle après, utilise l'adjectif "Peiraïkos".
- La dimension politique. Ainsi, on ne dit que rarement "athênaia" pour une athénienne : on dira "attikê", une femme de l'Attique (sauf vraiment pour insister : une femme d'Athènes par oppositione à une habitante du Pirée). Peut-être parce qu'elle n'est pas citoyenne, et que "Athênai" est d'abord un fait politique. De même que les Anciens parlent très rarement des "Spartiates", mais toujours des "Lacédémoniens" (le corps politique, ce sont les Lacédémoniens, s'ils font une guerre, c'est en tant que Lacédémoniens. Les Spartiates ne sont que les résidants de Sparte). Tous ceux qui ont fait du thème grec savent que "l'assemblée d'Athènes" ou "l'armée d'Athènes" ou "Athènes a déclaré la guerre à Sparte" doit toujours se traduire par "Athéniens".

Bref : c'est un beau bazar. Si vous avez une question plus précise, vous pouvez toujours essayer de la soumettre ici.
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Freduss
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Merci Sisyphe.
Oui comme vous dites, je suis "toujours là-dedans" et je dois dire que la plupart du temps je m'y régale.
S je comprend bien, du fait de l'absence de règles strictes et définitives, j'imagine que, tout comme nous faisons "vivre" notre français de la rue, il n'est pas exclu d'envisager que dans l'usage oral de la koiné une forme impropre de prononciation de cette variante suffixe "-ites" (comme une diphtongue du "i" par exemple ?) puisse apparaître et se transmettre à l'écrit ?
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Sisyphe
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Sisyphe »

il n'est pas exclu d'envisager que dans l'usage oral de la koiné une forme impropre de prononciation de cette variante suffixe "-ites" (comme une diphtongue du "i" par exemple ?) puisse apparaître et se transmettre à l'écrit ?
:-? Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire... Pouvez-vous donner un exemple précis ?
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Bon pour faire simple : je ne sais pas si "diphtonguer" est le terme approprié mais le son "ite" peut-il être prononcé par exemple en "iote" et se retrouvé écrit de cette façon ?
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Sisyphe
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Sisyphe »

Non, ça ne fonctionne pas ainsi. Et "io" n'est pas une diphtongue en grec.

En fait, à la base, vous avez le suffixe *-tâ (le -s étant la désinence). À partir de là, il s'est créé des variantes du fait de ce qu'on appelle en linguistique des "mécoupures" (ou métanalyses).

Il y a un exemple très simple en anglais : un jour, un Etasunien a emprunté à l'espagnol le mot "cafeteria". Celui-ci, en espagnol, est composé de "cafet(o)" (la caféier, la plante) et -eria "le lieu où on produit ou vend quelque chose".

Mais les anglophones ont coupé autrement : cafe- (qui ressemblait à coffee) + -teria. Et ils ont attribué à ce suffixe le sens de "lieu où l'on vend et consomme quelque chose en libre service". Du coup, au moins en anglais américain populaire, ils ont inventé des basketeria, caketeria, candyteria, cleaneteria, luncheteria, drygoodsteria, drugteria, fruiteria, shoeteria...

Même chose en grec : dans πρῳράτης "le pilote de proue du bateau", vous avez πρῷρα "la proue" + της, dans οἴητης "le villageois" vous avez οἴη "le village" + της, c'est logique. Sauf que dans πολιήτης "le citoyen", le η n'a rien à faire-là, mais il a été (mé)découpé à partir des précédents.

Pour ce qui est de -ιώτης, c'est pareil, mais avec deux stades :
1. -της с'est élargi en ωτης à partir de mots comme δεσμώτης "prisonnier", fait sur δέμος (l'allongement est un autre phénomène, purement phonétique)
2. Puis -ωτης est devenu -ιώτης à partir de mots comme πατριώτης "compatriote", où il est logique, puisque c'est le résultat de πόλις avec un i + ωτης.

Cela étant, ce suffixe -ιώτης n'apparaît qu'à partir du 5e siècle, et il est lent à s'étendre. Une forme comme κυπριώτης n'apparaît pas avant le grec byzantin (Aristote dit encore Κύπριος, et à date plus tardive on trouve Κυπριακός).

Encore une fois, donnez-moi un exemple précis et je pourrai (essayer...de) vous le dater, mais on ne peut pas raisonner d'une façon générale sur les gentilés.
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Sisyphe wrote:2. Puis -ωτης est devenu -ιώτης à partir de mots comme πατριώτης "compatriote", où il est logique, puisque c'est le résultat de πόλις avec un i + ωτης.

Cela étant, ce suffixe -ιώτης n'apparaît qu'à partir du 5e siècle, et il est lent à s'étendre. Une forme comme κυπριώτης n'apparaît pas avant le grec byzantin (Aristote dit encore Κύπριος, et à date plus tardive on trouve Κυπριακός).

Encore une fois, donnez-moi un exemple précis et je pourrai (essayer...de) vous le dater, mais on ne peut pas raisonner d'une façon générale sur les gentilés.
J'aime bien l'idée d'une apparition tardive....
"πάτριος" ------ "πατριώτης"
? ------ "ισκαριώτης"
Olivier
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Olivier »

Dans une grammaire classique en anglais en ligne (Smyth) je ne l'avais pas trouvé via la table des matières, mais voilà la page gentilé (nom d'habitants, de peuple) qui liste un certain nombre de suffixes déjà cités.
Pour ισκαριώτης = (Judas) "l'Iscariote", l'explication la plus courante est une origine hébraïque du suffixe: ʾîš Qərîyôṯ "l'homme de Kerioth", une ville dont le nom est une forme (pluriel à valeur intensive) de qiryāh qui veut dire simplement "ville". Mais il y a aussi l'explication par σικάριος/sicarius "assassin" (sica "poignard"), ou même d'autres explications plus douteuses.
-- Olivier
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Sisyphe
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Sisyphe »

Pour ισκαριώτης = (Judas) "l'Iscariote", l'explication la plus courante est une origine hébraïque du suffixe: ʾîš Qərîyôṯ "l'homme de Kerioth", une ville dont le nom est une forme (pluriel à valeur intensive) de qiryāh qui veut dire simplement "ville".
Les deux explications ne sont pas contradictoires : si le mot désigne effectivement une origine en araméen, et que le premier "traducteur" (contemporain du Christ ou ultérieur, je n'entre pas dans le débat), sachant qu'il s'agissait d'un terme indiquant l'origine, y a "reconnu" un suffixe en grec. On appelle ça un emprunt remotivé.

De la même façon que les Grecs ont fait Ἱεροσολύμος à partir du nom araméen de Jérusalem, Yerushalayim, dans lequel ils ont de toute évidence "réinjecté" le mot ἱερός "sacré".

Tout comme la ville de Sarrebruck (Saarbrücken en allemand), ne doit rien aux ponts (Brücke) sur la Sarre ; à l'origine, il s'agit d'un rocher (Brocken) à côté de la Sarre ; mais à partir du moment où il y a eu un pont, les gens ont fait le lien.
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Freduss »

Olivier wrote:Pour ισκαριώτης = (Judas) "l'Iscariote", l'explication la plus courante est une origine hébraïque du suffixe: ʾîš Qərîyôṯ "l'homme de Kerioth", une ville dont le nom est une forme (pluriel à valeur intensive) de qiryāh qui veut dire simplement "ville". Mais il y a aussi l'explication par σικάριος/sicarius "assassin" (sica "poignard"), ou même d'autres explications plus douteuses.
-- Olivier
Olivier, merci : je connaissais quelques unes de ces explications "les plus courantes" qui ne me conviennent pas totalement.

Sisyphe : au niveau linguistique l'hypothèse d'un néologisme crée à partir d'un terme identitaire (par exemple) hébreu non "traduit" avec le rajout d'un suffixe typiquement issu de la koiné grecque d'une période disons...largement postérieure au 1er siècle est-elle recevable ?

Je précise à nouveau que je m'en tiens ici sur le forum qu'au strict plan de la langue...
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Sisyphe
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

Post by Sisyphe »

Sisyphe : au niveau linguistique l'hypothèse d'un néologisme crée à partir d'un terme identitaire (par exemple) hébreu non "traduit" avec le rajout d'un suffixe typiquement issu de la koiné grecque d'une période disons...largement postérieure au 1er siècle est-elle recevable ?
En fait, ce qui est postérieur au premier siècle, c'est l'extension systématique de -ιώητς comme suffixe de noms d'habitants. Mais il existe déjà : Σεικιλιὠτης "Sicilien" par exemple.

En situation interlinguistique, par définition, on bricole. On fait ce qu'on peut entre le matériel morphologique de la langue-source et celui de la langue-cible : "Londres" est une francisation mais on dit "londonien" (qui est soit l'anglais londonian soit le latin Lunduniensis), "Moscou" mais "Moscovite" (mais on a dit "moscovien" dans le passé, ce qui est déjà plus français). Morphologiquement, "New-yorkais" est un monstre ! (le mot anglais + un suffixe français), les Hispaniques disent beaucoup plus logiquement "nuevayorkense".

Donc, oui pour votre bricolage est tout-à-fait possible sur un plan linguistique.

Pour ce qui est de l'approche historique de la Bible, je laisse ça aux spécialistes ;)
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Freduss
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

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Sisyphe wrote:
Donc, oui pour votre bricolage est tout-à-fait possible sur un plan linguistique.
Merci. ;)
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Re: Grec Ancien : appartenance ethnique, géographique

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Freduss wrote:"πάτριος" ------ "πατριώτης"
? ------ "ισκαριώτης"
J'ai eu un éclair d'illumination un peu tardif :) - vu ton autre fil tu te demandes sans doute si Iscariote vient d'Issacar (Iσσαχαρ en grec dans la LXX)...
-- Olivier
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