Alors ça c'est pour moi...
Sur un plan diachronique,
-ura est de formation latine, n'ayant pas d'équivalent formel indo-européen, et appartient à la nébuleuse des formations abstraites en -t- (-tio, -tus, -tas, -tudo...), etc. C'est l'agrégation de deux suffixes hérités, -tu- (ventus, exercitus, sensus, fremitus, etc.) et -ro- sous la forme alphathématique -rH2-.
Si l'on en croit Benveniste (
Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, pp. 101-104, avec les précautions d'usage, donc), les abstraits en -tura marquent une valeur "subjective", à savoir "la mise en pratique d'une capacité et d'une profession qui y correspond". C'est pourquoi on le trouve essentiellement, à ses débuts du moins, sur une base verbale intransitive : natura (nascor, naître), statura (sto), usura (utor, utiliser), venatura (venio, venir), partura (pario, enfanter), ou alors dans un sens passif : salsura "saumure" (le fait d'être salé), textura "texture, manière d'être tissé", etc. Puis plus tard pour l'expression d'une profession, faisant couple avec -tor : pictor/pictura (peintre/peinture), praetor/praetura (préteur, préture), fictor/fictura ("modeleur" (regroupe potier, sculpteur, etc.) et son métier), etc.
Benveniste regroupe effectivement les deux formations homophone en -tur- que sont ces dérivés et le participe futur à travers cette idée de "prédestination", de "ce qui est destiné à", la scriptura est "ce qui va/doit advenir à travers la mise en pratique du fait de scribere"... Comme toujours chez Benveniste, c'est brillant sur le papier, mais un peu tordu à bien y réfléchir. Les deux formations sont homophones, c'est un fait, mais de là à ce qu'elles aient une unité de sens originelle, c'est un point de doctrine qu'il faut savoir discuter.
Dans l'histoire de la langue latine, de toute façon, -tura est un suffixe d'abstrait parmi d'autres, point ; -tura ayant tendance :
a) à se concrétiser plus facilement que les mots en -tio (un bon exemple est le couple scriptio/scriptura... Les deux peuvent dire "écriture, ligne matérielle d'écriture" (cf. scriptio continua), aussi bien que "rédaction, composition, style" d'un auteur ; mais le premier est nettement préféré dans ce sens, tandis que "scriptura" désigne notamment les textes de loi, où la lettre est importante - comme nous disons encore "dans les textes" - ou même le "dessin", sans plus de rapport à l'écriture proprement dit)e.
b) à être beaucoup plus populaire que -tio et que -tus (ce dernier n'étant plus productif après Cicéron, sauf artifice).
Les deux expliquent qu'on le retrouve surtout dans les domaines techniques... Et qu'il soit vivant au point de "mordre" un peu sur le domaine de -or à date tardive (fervura = fervor, ardura / ardor, nitura / nitor, frigdura / frigidor)... Et donc à date romane (figdura > froidure en ancien français)...
De ce fait, en français, les mots en -ure sont à la fois a) des mots savants directement empruntés au latin (comme nature, littérature, texture, fracture), b) des mots hérités remontant à une forme en -ura en latin (picture > peinture, scripture > écriture), et c) des mots formés à date française (brûlure, "brûler" étant un mélange entre l'ancien français usler et diverses formes germaniques, piqûre, etc.)
Petite biblio (*utilisés)
*BENVENISTE, Emile. [/i]La formation des noms en indo-européen[/i]. Paris : Maisonneuve, 1948.
*ESPINILLA-BUISAN, Empar. "LEs mots en -tio, -tura, -tus dans la prose technique de S.I. Frontin :
De aquaeductu urbis Romae". CALLEBAT, Louis (éd.).
Actes du IVe colloque latin vulgaire / latin tardif. Hildesheim / Zurich / New York : Olms-Weidmann, 1998.
GIACALONE-RAMAT, A. "I derivati latini in -tura".
RIL 108, 1974. Pages 236-289.
ZELLMER, E.
Die Wörter auf -ura. Gotha : Smith & Thelow, 1930.