Traduction automatique : la mort du traducteur humain?

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Michel Dumont
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Traduction automatique : la mort du traducteur humain?

Post by Michel Dumont »

J'enseigne la traduction à des étudiants qui, pour la plupart, entendent faire carrière en traduction, au Canada ou en Europe. Or certains entendent des rumeurs et prédictions, qui les portent à croire que l'avenir du traducteur est incertain. Ils entendent que la traduction automatique, bien que loin d'être parfaite aujourd'hui, se perfectionne rapidement, les ordinateurs "apprennent" et évoluent, etc. Récemment, j'ai entendu un "expert" assurer: "dans cinq à dix ans maximum" on n'aura plus besoin de gens pour traduire n'importe quel type de document.

Je suis à la recherche d'opinions sérieuses, appuyées par des faits et des enquêtes approfondies. Est-il vraiment possible de faire le point sur cette question?

Dans l'attente, merci d'avoir pris le temps de lire ce message, écrit, je vous le jure, par un humain.
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kokoyaya
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Post by kokoyaya »

Euh, c'est ce qu'on m'a dit quand j'avais 14 ans à un salon spécialisé dans l'orientation professionnel. Un type, prétenduement conseiller d'orientation, m'a dit que la traduction ne servait à rien et que les entreprises disposaient de logiciels, certes chers, mais rentables à long terme et qui permettaient de faire la même chose que les traducteurs.
Dix ans ont passé et je tourne à 70 heures par semaine depuis début janvier parce qu'une entreprise n'a pas trouvé plus de deux traducteurs qui feraient l'affaire.

L'utilisation des logiciels de traduction automatique par certaines boîtes fait que nombreux sont les techniciens qui préfèrent galérer sur des docs en anglais que des mauvaises traductions françaises. Je pense donc que d'ici peu, ces logiciels disparaîtront pour leur "mauvais" usage. En effet, soyons honnête, pour dire "Mademoiselle, je vous confirme réception de notre colis et vous souhaite de passer une bonne journée" et des phrases type, Systran peut valoir le coup.


Si tes étudiants arrivent à se forger une spécialité (je trouve qu'il n'y a rien de pire que d'arriver sur le marché comme "traducteur généraliste"), je ne me fais pas trop de soucis pour eux.



Voili voilou, ce n'est que l'avis d'un petit jeunot de la traduction, Systrano-altavisto-googolo-copernico-vore. :)
Last edited by kokoyaya on 19 Mar 2004 17:06, edited 1 time in total.
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Car0line
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Post by Car0line »

Comme on te l'a dit sur le forum tu vas t'attirer les foudres de pas mal de gens d'ici!
A commencer par la mienne.. Je pense qu'aucune machine ne pourra remplacer le cerveau humain.. Il y a beaucoup trop de nuances dans une langue pour que l'on puisse imaginer que l'ordinateur pourra faire le travail à notre place!
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kokoyaya
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Post by kokoyaya »

Car0line wrote:Comme on te l'a dit sur le forum tu vas t'attirer les foudres de pas mal de gens d'ici!
Pas lui, plutôt les uluberlus qui, se prétendant experts, racontent des bêtises.
Je suis en plein dans la lecture du dernier Science et avenir et ils ont montré un titre d'il y a 20 ans : Tous les avions fonctionnant à l'hydrogène extrait de l'eau demain. On connaît la suite (mais on s'écarte un peu du sujet).

Le problème, c'est que ce sont souvent (voire toujours) des techniciens qui parlent de traduction alors qu'ils n'y connaissent pas grand chose. Pour beaucoup, un traducteur n'est qu'un dictionnaire qui coûte plus cher qu'un ordinateur parce qu'il faut le nourir, il n'y a qu'à voir certaines demandes sur le forum ou le chat...
Car0line wrote:Je pense qu'aucune machine ne pourra remplacer le cerveau humain..
Il y en a pourtant à qui ça ferait un bien fou :loljump:
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Car0line
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Post by Car0line »

je voulais dire "comme on te l'a dit sur le chat" pas le forum... :roll:
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kyliane
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Post by kyliane »

Je ne suis ni traductrice, ni informaticienne, mais j'ai franchement du mal à comprendre comment les logiciels pourraient évoluer au point de remplacer l'humain dans ce cadre.

L'interprétation est le plus important ; comment une machine serait-elle capable d'interpréter?

Je veux bien que cela puisse aider à saisir le sens général d'un texte, mais traduire mieux qu'un Homme...

Kyl :hello:

PS : J'ai vécut ce problème dans un autre contexte (la retouche photo) et franchement même là ce n'est pas parfait...c'est propre mais ça manque d'âme une photo retouchée informatiquement, mais il est vrai que je m'en serais peut-être pas aperçu si je ne le faisais pas artisanalement moi-même.
Last edited by kyliane on 19 Mar 2004 17:16, edited 1 time in total.
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kokoyaya
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Post by kokoyaya »

Pour ce qui est des faits et des études approfondies, je doute qu'on puisse trouver grand chose.
Bien sûr, les perles de traducteurs automatiques sont légion mais ce ne sont jamais les "bons" logiciels qui sont utilisés pour ça. Dans tous les cas, si on trouve des études, ce seront des études de traducteurs (voire de linguistes, beurk) qui diront que la machine ne supplantera jamais l'homme et des études de techniciens qui diront que si.

Si un jour le traducteur est remplacé par un ordinateur, je pense que d'autres corps de métiers auront eu du soucis à se faire avant...
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Bouchera
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Post by Bouchera »

Car0line wrote:Je pense qu'aucune machine ne pourra remplacer le cerveau humain..
Très bien dit, Dame Caroline!! :king:
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ann
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Post by ann »

J'ai travaillé plusieurs années à la constitution de dictionnaires électroniques, c'était le début des années 90 et j'étais sure que nous réussirions à créer des machines à traduire qui fonctionnent. Il est évident que le fait de prendre comme base le mot ne peut fonctionner mais qu'il faut travailler sur la phrases d'un point de vue sémantique et syntaxique. On peut formaliser beaucoup de choses et prévoir la plupart des phrases simples, surtout lorsqu'il s'agit de domaines techniques où la polysémie, le jeu sur le langage etc. ne sont pas trop de mise. Ce qui vient de plus en plus sur le marché ce sont des machines à enregistrer les traductions humaines, qui répètent les phrases déjà traduites lorsqu'on les retrouve. Le problème c'est que la langue et ses possibilités sont infinies et on ne peut tout prévoir. Il y a de plus en plus de bons instruments pour les traducteurs mais, évidemment, le traducteur humain ne pourra surement jamais etre égalé. Je crois que le problème aussi est un problème de qualité, beaucoup de gens pensent que ce qui compte c'est de se faire comprendre plus ou moins, dans ce cas des traducteurs automatiques permettent souvent de comprendre plus ou moins ! Mais là n'est pas le but de la traduction, la vraie...
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Latinus
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Post by Latinus »

Je ne suis pas traducteur mais informaticien...
Pour avoir utilisé plusieurs logiciels de traduction je puis dire, qu'en effet, nous sommes encore très loin d'un début de "performance".

Les traducteurs humains ont encore de très longues années devant eux ;)
Les courses hippiques, lorsqu'elles s'y frottent.
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Maïwenn
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Post by Maïwenn »

Moi aussi je pense que les traducteurs ont de beaux jours devant eux. Il n'y a qu'à voir les discussions qu'entraînent parfois ici une toute petite traduction. Il y a souvent une multitude de sens, et cela, même lorsque le contexte est expliqué. Alors comment fait une machine incapable d'appréhender le contexte social, historique (etc) d'une langue et de ses locuteurs ? Eh bien elle fait ce qu'elle peut, parfois ça marche, et souvent non...

kokoyaya wrote:(voire de linguistes, beurk)
Pourquoi ce dégoût ?
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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

(voire de linguistes, beurk)
:evil: T'as quelque chose contre les linguistes, Kokoyaya ? Non mais dit eh oh hein ! T'ar ta gueule à la récrée !

Bon, voici quelques réflexions jetés sur le papier d’un linguiste, qui ne s’est jamais réellement intéressé à la question de la traduction automatique, ni même à la traduction technique (i.e. pour entreprise, par opposition à la traduction littéraire).

Vous connaissez certainement le principe du « test du Turing », l’un des inventeurs de la cybernétique : un ordinateur sera dit intelligent si un observateur ne peut faire la différence entre lui et un être humain dans un dialogue en aveugle. Depuis 1990, un concours promet une récompense de $ 100.000 (pas mal quand même…) à l’informaticien qui réussira ce défi. Inutile de vous dire que personne n’a encore remporté la palme – aucun ordinateur n’a même tenu plus de dix minutes (et encore, en bottant en touche : l’ordinateur repère un mot clef et répond « le X s’est bien » « j’aime beaucoup le X » « et combien de fois par jour pratiquez-vous le X » etc.) – celui qui tient le plus longtemps remporte quand même $ 2000.

Certains scientifiques trouvent que ce prétendu concours tient plus de l’amusement médiatique que de la science ; et c’est sans doute vrai. Mais l’intérêt du « test de Turing » est d’ordre épistémologique : qu’est-ce qui fait l’intelligence humaine, sinon d’abord une production de sens totalement autonome ; qu’une machine ne peut avoir.
En effet, si un enfant de deux ans qui dit « maman pipi popo» ne dit rien de plus que « auriez-vous l’extrême obligeance de me passer l’objet plastifié circulaire destiné à recevoir mes déjections naturelles » ; cependant :
a) « maman pipi popo » est en dehors de toute norme linguistique : il n’y a qu’un enchaînement d’idées sans syntaxe logique. Elle est pourtant pour son locuteur (le bébé) et pour son auditeur (la maman) un ensemble sémantique clair.
b) il n’existe pas qu’un rapport sémantique entre le signifié et le signifiant de cette « phrase », il existe aussi un rapporte psychologique et en l’occurrence somatique entre cet ensemble et son locuteur. Ce rapport psychologique ou somatique ne peut exister pour une machine, si perfectionnée soit-elle.

Par ailleurs, une machine ne peut prendre en compte que des informations, et poser des égalités entre des données. Pour ne prendre qu’un seul exemple : le découpage des couleurs n’est pas le même selon les langues (pour reprendre le sujet d’un post précédent), une machine peut, mieux que nous, percevoir la position exacte d’une couleur sur le spectre, et décider (en graduant le spectre de 1 à 100 par exemple) : « entre 26,45 et 28,3 c’est du bleu, de 28,3 à x c’est du violet » - mais ce découpage ne correspondra pas à l’impression qu’en ont personnellement (psychologie) ou collectivement (sociologie) les locuteurs.

Un exemple : mettons qu’il faille traduire du grec moderne au français : « les gélules mavroi et le gélultes galanoi » (j’ignore comment on dit « gélules » en g.m.). On ne peut pas faire message plus réduit ni plus technique. Or un logiciel de traduction automatique « pauvre » aura sans doute intégré que
mavros = noir
galanos = bleu clair
donc « des gélules noires et des gélules bleu clair ». En mettant qu’il soit plus puissant, et ait intégré les divisions du spectre lumineux des deux langues, le mot le plus proche de « galanos » qu’il trouvera sera « azur ». Donc « des gélules noires et des gélules azur ».

Du point de vue sémantique, ce n’est pas faux : les gélules sont peut-être effectivement de couleur azurée ; mais du point de vue pragmatique, il ne s’agissait que d’opposer deux couleurs de gélules ; un traducteur humain aurait simplement écrit « les gélules noirs et les gélules bleues », c’est la seule différence qui soit pertinente. La différence « bleu/azur » ne l’est pas. Mais pour décider de cela, le traducteur humain s’est référé à la capacité de compréhension de l’usager (humain) de ces médicaments. Ce qu’une machine ne peut évaluer.
Il peut à la rigueur évaluer celle d’un panel d’humains à qui l’ont aurait fait faire des tests – mais il ne peut supposer in absentia un être humain.

Et c’est là le problème : un ordinateur ne peut juger qu’en présence d’information ; certes il peut en saisir des milliards (contrairement à nous), mais il ne peut supposer celle qui lui sont absentes. Si j’écris :
a) bouclier thermique
b) agitation thermique
c) imprimante thermique
Encore une fois, de termes techniques (ex. tirés de J. Jougin, Parlons Espéranto, l’Harmattan)
Je peux n’avoir jamais vu d’imprimante thermique de ma vie. Mais je suis à même de deviner que c’est une imprimante qui imprime en produisant de la chaleur. L’idée de chaleur et tout ce que je sais de ses effets (la noirceur d’un papier ou d’un bois que l’on brûle) et l’idée d’imprimante et toute mon imagination me permettent de deviner, grosso modo, le principe de fonctionnement. Je raisonne in absentia. Bien sûr, je puis chercher dans un dictionnaire français-espéranto et trouver : thermique = 1) provarma ; 2) kontraùvarma, 3) pervarma. Mais seule la conscience que j’ai de l’objet en question, son appréhension par mon esprit me permet de choisir le troisième (imprimante « par la chaleur ») pour le c et la 2 pour le a.

Car fondamentalement, les données ci-dessus sont une absurdité pour la logique formelle : un mot peut avoir trois sens différents (et même opposés) : A = x OU BIEN A= y OU BIEN A = z ;c’est une violation du principe du tiers exclu. C’est qu’en réalité, il en faut pas considérer A mais (A ; B) : thermique + bouclier, thermique+agitation. A la limite, on peut donc « apprendre » à la machine à différencier la groupe (A ; B) (bouclier + thermique) du groupe (A ; C) (agitation+thermique). Sauf qu’il peut très bien se produire une situation où un « bouclier thermique » ne soit plus un bouclier « contre la chaleur » (kontraùvarma sxildo) mais un bouclier qui en produise (une nouvelle arme de guerre ou une pièce technique). Comment le savoir ?
Par le con-texte au sens propre (le sens général du texte), certes ;qui contrairement à ce qu’on pense pourrait en pure théorie (on en est loin) être saisi par une machine, car ce sont toujours des éléments présents. Le « contexte » d’un mot, ce ne sont jamais que des éléments nouveaux ajoutés à un élément : (A ; w ; x ; y ; z…) Y en eût-il six milliards une machine peut les prendre en compte.
Mais aussi par la situation d’énonciation (je suis en train de parler à un général, nous sommes dans une usine d’armement, etc.) ; or, cela, ce sont des éléments « absents ».

Par conséquent, un linguiste et un technicien peuvent s’accorder sur l’idée de réduire la langue à des construction scientifiques de données : sémantique formelle, quantification, grammaire générative, etc. sont autant de domaines de recherche très compliqués et très poussés et qui ont leurs chercheurs et leurs applications en cybernétique.
Mais la langue n’est jamais seule, elle a autour d’elle :
- la pragmatique : comment la langue produit de l’action. L’exemple typique, c’est « s’il vous plaît » ; pour une machine, c’est une aberration : c’est une information formelle [silvuple] totalement dépourvu d’information sémantique (ça ne veut, en fait, rien dire, surtout pas « si cela vous plait »). Pour un humain, c’est important – nous en savons quelque chose sur ce forum !
- la psycholinguistique : comment un être humain isolé perçoit la langue.
- la sociolinguistique : comment un groupe perçoit la langue
- les sciences cognitives (comment se forme la pensée d’un objet)
- etc.

Toutes ces choses, nous les intégrons dès notre naissance et les réalisons presque inconsciemment lorsque nous produisons de l’écrit – fût-il le plus technique et le plus sec. Et nous les mettons en œuvre, même inconsciemment (deux fois inconsciemment) quand nous traduisons. Or l’idée même de groupe (un enfant, même un bébé, sait qu’il est au milieu de gens ; une machine ne peut que les compter, elle ne le sait pas), ou de psyché sont absurdes pour une machine. Sauf à fabriquer des androïdes de science-fiction, les traducteurs humains seront toujours nécessaires.

[/quote]
daniel
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hep

Post by daniel »

Le jour où une machine remplacera un être humain pour traduire, hé bien , hé bien............................. je change de planète ;)
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SubEspion
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Post by SubEspion »

Serait-ce un débat ? :roll:
À vouloir fuir la pluie, on tombe bien souvent dans la rivière.
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boubbie
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Post by boubbie »

Merci Sysiphe pour cette explication réellement très intéressante. Dommage que tu n'aies pas été mon prof de fac de linguistique sans ça j'aurais compris beaucoup plus de choses :confused:
En plus, pour une fois que je lis un message aussi long jusqu'au bout :king:
My life is perfect... because I accept it as it is
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