
Tout d'abord je dois te dire que je n'arrive pas à lire ton texte grec, du moins les lettres accentuées. Le grec ancien en unicode, chez moi, ça ne passe toujours pas (c'est bien embêtant d'ailleurs). Pas plus sur ce forum que sur Perseus par exemple. Voici d'ailleurs ton texte sur Perseus, en Sgreek :
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/pt ... =&loc=2.37
En caractères modernes (donc sans accents), voici ce que ça donne :
χρωμεθα γαρ = nous nous servons en effet
πολιτεια[ι] = d’une forme de gouvernement
ου ζηλουση = qui n’envie pas OU qui ne cherche pas à imiter
τους των πελας νομους = les lois de nos voisins (litt. des <gens qui sont> à côté)
δε... αυτοι = et ces lois (i.e. les nôtres)
παραδειγμα οντες = sont un modèle pour les autres
μαλλον η = plutôt que
μιμουμενοι ετερους = elle n’imitent les autres
και ονομα... δημοκρατια κεκληται = et on appelle <cette forme de gouvermenent> démocratie
δια το = à cause du fait que
οικειν = il administre
μη ες αλλους = non dans la direction d’un petit nombre
αλλ’ ες πλειονας = mais dans la direction du plus grand nombre
Voici ce que dit J. Humbert dans sa
Syntaxe Grecque §519 « sous la forme eis (accesssoirement es) la préposition implique
un mouvement dirigé dans l’espacte », mais ajoute-t-il « la valeur concrète de mouvement dans l’espace (ou dans le temps) peut se vider de sa substance pour n’indiquer qu’un simple rapport entre deux termes ». Et de citer les exemples suivants :
es tous allous Ellênas (Platon) : parmi les autres grecs
hoi hoplitai eis oktô egenonto (Xénophon) : les hoplites s’alignèrent sur huit <hommes en profondeur> ; on peut comprendre « jusqu’à former huit hommes » ou « dans l’intention de former huit hommes »
adeis eis sauton egkômion (Platon) : tu te chantes des louanges à toi-même (envers toi-même, en direction de toi-même)
eis panta prôton einai (Platon) : être le premier sous tous les rapports (dans quelque direction qu'on regarde)
Bref, « es » est une préposition à tout faire. Mais cela étant, la valeur de direction ne disparaît jamais complètement, me semble-t-il ; en l’occurrence, il me semble que le sens est bien « dans l’intérêt de, en ayant pour but ». La traduction "le pouvoir est entre les mains de" est assez loin ; elle est même fausse, car oikein, c'est bien "administrer" (le mot dérive de "oikos", la maison). C'est bien de l'administration au quotidien qu'il parle (il évoque dans la suite du texte : les élections, les fêtes publiques, l'impôt, la guerre, etc.). Il ya suffisement de mots en grec pour dire "le pouvoir" (kratos, arkhê, etc.) ; Thucydide aurait dit ça autrement.
D'ailleurs c’est ainsi que comprend D. Roussel (Pléiade et Gallimard) : « Parce que notre régime sert les intérêts de la masse des citoyens et pas seulement d’une minorité ». Même chose pour le traducteur anglais du site Perseus : « Its administration favors the many instead of the few » (
http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/pt ... :section=1 ).
D’autant que si on lit un peu plus loin, il dit que les citoyens doivent obéir aux magistrats (c’est entre leurs mains à eux qu’est le pouvoir), mais que ceux-ci sont choisis parmi l’ensemble du peuple (donc qu'ils vont naturellement suivre l'intérêt du plus grand nombre).
A la rigueur on peut hésiter sur le sens de "pleionas". Est-ce "le plus grand nombre, la majorité" dans le cadre d'un vote par exemple (la fameuse "tyrannie du nombre"), ou est-ce "la masse dans sa totalité" ("l'intérêt général"), par opposition au régime oligarchique. Je pense que c'est un peu des deux.