ce que, ce qui...

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Moderators: kokoyaya, Beaumont, Sisyphe

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ann
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Post by ann »

A propos de tout cela je citerai Finkielkraut (l’imparfait du présent). Qui m’a fait réfléchir au problème il y a quelque temps :

“Notre époque à une thèse qui peut s’énoncer ainsi : Nous sommes tous égaux, et tout est égal, car tout est culturel. C’est en vertu de cette nouvelle évidence métaphysique qu’au lieu de laisser se déployer à l’école l’inégalité des talents on s’emploie à la déconstruire. Plus question de stimuler et de promouvoir le bon élève, surtout quand il est pauvre, comme le faisait encore ce disciple de Renouvier qu’était M. Germain, l’instituteur du petit Albert Camus. Pour ne pas reconduire l’ordre établi, on choisit de stigmatiser l’émulation, de supprimer le mortifiant archaïsme de la distribution des prix, de généraliser les classes hétérogènes et d’intégrer peu à peu dans les programmes des « éléments mieux maîtrisés par les milieux populaires ». Aux collèges, aux lycées, aux académies qui affichent de très bons résultats, l’institution reproche de décourager une partie des élèves par leur fort niveau d’exigence [...]
Ainsi entrons-nous dans la société dynastique par la réforme même qui prétend nous en faire sortir. Il y a toujours moins de « non-bourgeois » dans les lieux d’excellence. Si en 1950, 29% des élèves de Polytechnique, de l’ENA, de l’ENS et de Centrale venaient de milieux populaires, ils ne sont plus que 9% aujourd’hui. » p. 90-91

J’ai été très choquée il y a quelques semaines par une conférence faite par une prof de linguistique d’une université parisienne sur le français populaire. Pas du tout par la matière qui était fort intéressante (elle parlait d’ailleurs de la disparition du ne de négation, qui ne serait pas un phénomène actuel : on en trouve dans les propos d’un de nos rois enfants rendus par je ne sais plus qui, si ça t’intéresse Sisyphe je pourrai aller chercher la référence), mais par les fautes de langue qu’elle a pu faire pendant toute sa conférence. Je crois qu’il s’agit un peu de démagogie (et aussi un peu de paresse intellectuelle) de la part des profs que de vouloir « parler comme tout le monde » ou « comme les jeunes ». Je suis la première à intégrer différents registres et à ne pas avoir peur des mots mais si je suis humaine et qu’il peut donc m’arriver de « faire des fautes », lorsque je fais une conférence, je prépare un texte, et je surveille la forme. Même chose d’ailleurs quand je fais cours... Je suis linguiste et je n’y renonce pas donc lorsque j’enseigne le français je mets aussi en valeur les différents registres et les « fautes » qui n’en sont plus quoi qu’en disent les puristes (du genre le « on » pour « nous ») mais je distingue bien la langue écrite et la langue parlée de manière à ce qu’ils apprennent à utiliser le français d’une manière juste dans les différentes situations de communication.
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Rónán
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Post by Rónán »

Mais... sais-tu que le français que tu considères comme correct est faux du point de vue du français de la Renaissance? SI tu refuses les évolutions, pourquoi ne parles-tu pas latin? pourquoi le français parlé n'a-t-il plus le droit d'évoluer ?

Je comprends qu'une enseignante doive parler en français standard, mais de là à dire que l'usage de "on" pour "nous" dans la langue parlée est une faute...
Last edited by Rónán on 13 Nov 2004 06:20, edited 1 time in total.
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ann
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Post by ann »

J'ai dit le contraire... relis mon texte!!!
"les « fautes » qui n’en sont plus quoi qu’en disent les puristes (du genre le « on » pour « nous »)"
Dans les grammaires pour italophones publiées ces dernières années, on continue de parler de cela comme d'une faute, et je dis justement à mes élèves que tout le monde l'utilise et que meme à l'écrit il tend à remplacer totalement le nous!!!
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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

Pwyll wrote:Parce que dans ces deux langues, on cherche à imposer un standard, qui pour le breton, n'est pas légitime (les gens qui veulent imposer ce standard n'y connaissent rien donc leurs choix ne s'appuient sur rien de sérieux), et qui pour l'irlandais, exclut trop de faits dialectaux fort intéressants et dont on ne peut faire abstraction.
Séparons les deux débats. Pour le breton et l'irlandais tu as sans doute raison, je ne suis pas en mesure de te répondre. Le problème, me semble-t-il, s'est posé dans tous les dialectes arabes ; l'Algérie notamment a trois ou autre fois proclamé "l'arabisation" (au grand mépris des berbérophones) en imposant l'usage de l'arabe littéraire alors que tout le monde ne parle que le dialecte (je me souviens d'une image d'archive hallucinante où F. Castro fait un discours plein d'humour (des fois il en manque un peu aussi, je suis d'accord :evil: ) en espagnol traduit en français et tout le monde se marre, puis Boumédiene prend la parole, fait un discours verbeux en arabe classique et manifestement personne ne comprend, ou ne fait l'effort)...
... Mais du moins l'arabe littéraire a pour lui d'avoir pour support la tradition coranique et une partie des médias.

D'un autre côté je me souviens de mes amis yougoslave (au sens ancien... hélas) du secondaire, habituée à un serbo-croate de "compromis", effrayées le jour où elles ont appris que l'épreuve du bac serait en serbe OU en croate, au choix. Alors qu'elles ne parlaient pas ce serbe ou ce[/ce] croate "redialectalisé". C'est l'extrême inverse.

Je ne suis pas sûr qu'il faille défendre mordicus chaque variante ; il faut - sur ce point je suis d'accord avec ton libéralisme - laisser l'une ou l'autre s'installer...
... Va expliquer aux étrangers (je l'ai fait récemment) que les gentilés sont tantôt en -ais (français, nantais) tantôt en -ois (dolois, lillois, hongrois), et que dans la même région on dit un montbéliardais mais un franc-comtois, et qu'il n'y a AUCUNE manière de le savoir.

Anne wrote:A propos de tout cela je citerai Finkielkraut (l’imparfait du présent). “Notre époque à une thèse qui peut s’énoncer ainsi : Nous sommes tous égaux, et tout est égal, car tout est culturel. C’est en vertu de cette nouvelle évidence métaphysique qu’au lieu de laisser se déployer à l’école l’inégalité des talents on s’emploie à la déconstruire. Plus question de stimuler et de promouvoir le bon élève, surtout quand il est pauvre, comme le faisait encore ce disciple de Renouvier qu’était M. Germain, l’instituteur du petit Albert Camus. Pour ne pas reconduire l’ordre établi, on choisit (...) de généraliser les classes hétérogènes et d’intégrer peu à peu dans les programmes des « éléments mieux maîtrisés par les milieux populaires ». (...)
Ainsi entrons-nous dans la société dynastique par la réforme même qui prétend nous en faire sortir. Il y a toujours moins de « non-bourgeois » dans les lieux d’excellence. Si en 1950, 29% des élèves de Polytechnique, de l’ENA, de l’ENS et de Centrale venaient de milieux populaires, ils ne sont plus que 9% aujourd’hui. »


A. Finkelkraut défend souvent des positions très "républicaines" sur l'école, très argumentées avec lesquelles je m'accorde un peu malgré moi - car je trouve qu'il cède parfois à l'extrêmisme.

En-dehors du "ton" polémique (inévitable), il y a des choses à modérer : le niveau hétérogène est autant une cause qu'une conséquence. Et si l'argument des grandes écoles est tout à fait juste (je vais y revenir), il ne faut pas oublié qu'entre-temps est apparu la "classe moyenne" qui fausse les données.

Mais Ann a parfaitement raison de convoquer ce texte, car c'est le coeur du problème :

- Un gosse de riche (ou un fils de prof dans mon genre) apprend naturellement chez lui la "norme haute" (ou relativement haute) du français standard. ET auprès de ses petits camarades de classe, la norme basse. Il maîtrise les deux.
- Un gosse de pauvre apprend la "norme basse" (qui est souvent une absence totale de norme "moi j'parle comme que je cause puis tout le monde i me comprend !"), et aucune autre.

Le jour où nos deux enfants sont amené à être jugés socialement (et on ne peut pas ne pas l'être : tu as des diplômes comme moi, Pwyll - et même plus que moi), il le sera en fonction de la norme haute.

Si personne ne vient dire à un gosse (les québécois corrigent en "enfant", merci) que "c'est qu'est-ce que j'ai dit madame" est faux, en au besoin en le sanctionnant, il peut légitimement croire que c'est la règle puisque personne, surtout pas le fils de riche ou de prof (un peu plus ce dernier peut-être ;) ) ne vient lui dire que c'est une erreur.

Ainsi, sous l'apprence de l'égalité (tout le monde parle populo : le pauvre, le riche et l'enseignant) on reconduit une inégalité.

Donc, sauf à pendre le dernier patron-employeur avec les tripes du dernier juré de concours sur les ruines encore fumante de l'Université (violence qui n'est pas vraiment de mon goût :roll: ), il faut apprendre clairement aux enfants ce qui est juste et ce qu'il ne l'est pas.

J'ai sous les yeux le dernier numéro du monde de l'éducation, justement consacré à l'orthographe. Il y est expliqué que les grandes écoles sanctionnent la mauvaise orthographe au concours, mais en fait plutôt de manière périphérique, et l'article ajoute (p.29) :

c'est encore pire dans la vie... (...) à la tête de Job.com (...) Cyril Janin observe et entend ce qui n'est pas dit : "les recruteurs ont tellement de choix qu'à la moindre faute, c'est poubelle. Même si le candidat vient de la meilleure école. Même si son CV semble parfait" ...

Et plus loin dans l'article :

Et c'est là que l'orthographe devient un marqueur social : car les familles les plus averties [je souligne] combleront toujours en bonne partie au moins les lacunes de leurs enfants. (...) Luc Ferry [ex-ministre de l'éducation] n'avait-il pas avoué au journal Le Point (25 janvier 2002) faire faire une dictée à sa fille tous les soirs ?

Si tu refuses la norme explicite (fût-elle arbitraire et tyrannique), cad celle des grammaires normatives, tu ne supprimerais jamais les normes implicites. Alors autant resté dans l'explicite.

Pwyll wrote: Mais... sais-tu que le français que tu considères comme correct est faux du point de vue du français de la Renaissance? SI tu refuses les évolutions, pourquoi ne parles-tu pas latin? pourquoi le français parlé n'a-t-il plus le droit d'évoluer ?


Argument par l'extrême :( ! Bien sûr que le français évolue ! J'ai dit moi-même que je tolère totalement "après que + subjonctif", que je ne le sanctionne pas, que même le président de la République l'utilise, qu'il vient d'entrer dans la dernière grammaire Bescherel !
Seulement il faut savoir ce qui est juste (pour le grammairien, pour les élèves...) et ce qui ne l'est pas. Si dans 30 ans (mais j'en doute) le président dit "c'est qu'est-ce que j'ai voulu dire", si le ministère l'admet, si le Bescherelle l'introduit (mais je ne crois même pas qu'il soit dans Grevisse, qui reste pourtant linguistique), alors OK.

Pour ce qui est de "on/nous" : on/nous en a/avons déjà parlé. Voici ce que généralement on (impersonnel) dit aux enfants (ou que j'ai dit un jour à un étudiant qui me demandait de relire sa copie) :
a) à l'oral, personne ne vous en voudra de dire "on" pour "nous" - sauf à l'agrégation, à normale sup', etc. En tout cas pas au bac.
b) à l'écrit, essayez d'être constant. Le plus simple est de dire toujours "nous" (qui peut être aussi impersonnel = tout le monde), ça évite les fautes.
c) Surtout, ne commencez pas une phrase par "nous" en la continuant par "on" : *"nous sommes sorti et ensuite on est allé au magasin".

C'est en train de s'imposer. Peut-être que dans quarante ans les grammaires l'entérineront. D'ici là, prudence : "nous" est meilleur.

:hello:

PS
Ann wrote: elle parlait d’ailleurs de la disparition du ne de négation, qui ne serait pas un phénomène actuel : on en trouve dans les propos d’un de nos rois enfants rendus par je ne sais plus qui, si ça t’intéresse Sisyphe je pourrai aller chercher la référence


Ca m'intéresse, mais ne te presse pas....
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ann
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Post by ann »

Sisyphe wrote:A. Finkelkraut défend souvent des positions très "républicaines" sur l'école, très argumentées avec lesquelles je m'accorde un peu malgré moi - car je trouve qu'il cède parfois à l'extrêmisme.
Moi aussi je trouve ses discours parfois exagérés mais ça me permet de remettre certaines choses en question "intelligemment".
Sisyphe wrote: [...]Le jour où nos deux enfants sont amené à être jugés socialement (et on ne peut pas ne pas l'être : tu as des diplômes comme moi, Pwyll - et même plus que moi), il le sera en fonction de la norme haute.
Et c'est là que l'orthographe devient un marqueur social

Tout à fait d'accord sur ton discours...
Là dessus aussi en effet quelque chose a changé. Je me rappelle comme ma mère m'engueulait quand sous prétexte que j'écrivais à quelqu'un de la famille etc. je disais que les fautes d'orthographe "c'était pas grave" et elle me citait toujours mon grand-père qui disait que c'était une question de politesse que de ne pas faire de fautes quand on écrivait.
A partir du moment où on affiche un "je m'en foutisme" complet, et qu'on dit "pauv' gamins il y a une telle différence entre l'écrit et l'oral", on participe à creuser un véritable fossé entre des enfants qui auront eu l'avantage d'avoir papa et maman derrière et la lecture la lecture et ceux qui ne les auront pas eu
Pile ou face?
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Andrzej
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Post by Andrzej »

[elle me citait toujours mon grand-père qui disait que c'était une question de politesse que de ne pas faire de fautes quand on écrivait.

!!!!!!! :king:
Je suis tout à fait du côté de ton grand-père. C'est pourquoi j'écris des SMS en propositions ou même phrases , avec la ponctuation. Sinon je me sentirais mal. La même chose pour les mails. Je les relis en général avant de les envoyer. Faire des fautes dans une correspondence témoigne le manque de respect pour le destinataire.
(témoigne le... témoigne de...? :-? )
Cordialement
Andrzej
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Autant de têtes, autant d'avis (Quitard, 1842)
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