
Puisque tu me demandais mon opinion sur un autre forum je vais te la donner ; mais je dois t'avouer ici que je suis un imposteur

. Imposteur sur freelang alors que je ne parle pas vraiment de langue vivante étrangère (le latin, bon...), imposteur dans le post sur l'espéranto alors que mon espéranto est moyen, et imposteur quand je parle des profs alors que je ne le suis pas encore et que je n'ai pas souvent donné de cours.
J'ai régulièrement donné des cours d'allemand (que je ne parle pas !

Imposture également), mais à des amis ou du moins des gens seuls dans les cafés où chez moi. J'ai toujours adoré faire des exposés à la fac et j'en ai fait beaucoup plus que la moyenne des étudiant (surtout de ceux qui n'en font jamais, hum...), j'ai consenti à aider de ma haute science quelques camarades perdus en linguistique ancienne, etc. Mon seul fait d'arme est d'avoir remplacé quelques heures une amie pour un cours de latin.
Donc, je ne sais pas trop quelle peut être la pertinence de mon avis personnel. Les cours d'allemand que j'ai donnés à des amis, volontaires et étudiants, se rapprochent un peu de ce que tu vas faire, mais moi je n'avais pas la barrière de la langue, et SURTOUT, en enseignant l'allemand que je ne parle pas, je savais pertinemment quelles étaient les difficultés potentielles d'un élèves, et comment il fallait ou non présenter certaines choses (et parfois il fallait que je révise la veille ce dont j'allais parler le lendemain !)...
S'il n'y avait qu'un conseil à donner, je crois que ce serait celui-là : qu'est-ce qui est difficile, et ce que je raconte est-il compréhensible ? Un type qui n'est pas capable de se mettre à la place de ses élèves n'est pas digne d'être prof. Mais ça ne doit pas être facile quand on enseigne sa propre langue. Je n'ai pas très bien compris quel cursus tu avais accompli à la fac, donc je ne sais pas ce que tu as étudié de la grammaire française, mais à mon avis, tu as intérêt à bien la réviser avant de partir, même et surtout si tu la sais très bien...
Une chose aussi est d'être organisé, structuré. Je crois que les choses les plus bêtes sont les plus efficaces : faire un grand I suivi d'un grand II et d'un grand III, bien divisés en petit a, petit b, etc. Avec des idées simples et répétées. Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, un prof travaille beaucoup. Une leçon, sa se prépare à l'avance avec autant d'attention que pour une dissertation, et même sa se repète comme une prièce de théâtre - sauf qu'il faudra quand même en improviser les trois quarts (les questions à venir). Il faut toujours s'imaginer qu'on va être noté par ses élèves (d'ailleurs ça se fait dans certaines facs américaines...).
Quelques trucs bêtes, issus de ma maigre expérience ou de la "sagesse prof" recueillie auprès de ma mère et de mes amis :
- Ne jamais mettre dans un exemple un mot qui présente une irrégularité pas encore connue.
- Tous les exemples doivent avoir été préparés - surtout pour une langue étrangère. Pour être sûr qu'ils sont pertinents. Le truc : en préparer une batterie et n'en donner que deux et voir s'ils comprennent. Sortir toute l'artillerie en cas de problème.
... Malgré tout, il faut être capable d'en inventer un. Pas simple.
- Maîtriser le tableau. Le plan d'un côté, les exemples de l'autre. Les exemples doivent être effacés dans l'ordre où il ont été écrits (le plus anciens en premier). TOUS les exemples doivent être écrits. Attention à être lisible (essayer d'arriver dans le salle une heure avant, faire des lignes d'écriture au tableau et aller tout au fond voir si on arrive à se relire) ; de plus les étrangers ne font pas toujours leurs lettres comme nous : l'écriture "liée" ou "cursive", par exemple, est inconnue en terre germanique. Mieux vaut adopter des lettres ressemblant aux caractères d'imprimerie, au moins au début. Mieux, s'il s'agit d'étrangers : les écrire dans les deux graphies.
- C'est pas parce qu'on est à la fac que les étudiants sont attentifs, même s'ils sont théoriquement volontaires (plus en Inde qu'en France certainement, mais quand même). Si ton groupe est compact (en amphi c'est plus dur, mais quand même), interroge-les. Tout le monde doit participer, même le plus timide (surtout lui), ou celui qui est en train de draguer sa voisine au fond

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- Tout exercice donné à la maison (et mieux vaut en donner) doit être corrigé la fois suivante (ne pas dire à H-1 min de la sortie : "ah merde on a oublié de corriger l'exo" - le "on" est même assez blessant pour des élèves, parce que eux y avaient certainement pensé, c'est toi seul qui t'es gouré). Tous doivent avoir corrigé au moins une phrase.
- Un peu d'humour ne fait pas de mal. Un compliment mérité non plus.
- Parler fort, mais pas trop longtemps comme l'a dit Beaumont. Tel Flaubert dans son "gueuloir", trouver un coin isolé pour déclamer son cours avant. Attention au décalage entre le débit de parole et le débit d'écriture : eux, ils doivent prendre en note. Faire une petite pause à la fin de chaque phrase et regarder si les stylos bougent encore. S'ils relèvent la tête pour te regarder, c'est qu'ils attendent la suite (et s'ils sont en train de dormir... !!!).
- Netteté, précision et constance dans le vocabulaire technique. Sache que le ministère de l'Education Nationale édite une terminologie officielle en matière de grammaire. Je crois qu'il doit être possible de l'avoir sur internet (mais bonne chance pour trouver quelque chose sur le site de l'éduc-nat). Vérifier que ton vocabulaire correspond à celui du livre : "complétive" ou "conjonctive objet", "article" ou "déterminant", ça peut perdre un élève...
... Je suis en train de réaliser un dico français/anglais de la linguistique, mais je n'ai pas terminé. Un des bouquins qui me servent de point de départ, c'est "l'anglais de la linguistique" (A. Frangi, J. Optolowicz, coll. "clés anglaises", éd. Belin, 2-7011-2060-8). Achète-le ou photocopie le glossaire à la fin (80 pages = 40 feuilles A4). A tout le moins, fais-toi une liste.
- Ne pas oublier l'adage : l'enseignement, c'est 8O % de psittacisme. Répéter, répéter, répéter, dans un même cours, d'un cours à l'autre, etc. Si en cachette ils se mettent à t'imiter prononçant toujours les mêmes phrases, tu as gagné (non j'exagère un peu).
Pour les livres de FLE, je laisse les experts parler. Personnellement, je suis toujours un peu héberlué quand je les lis, la manière dont ils présentent certaines choses et certains points de grammaire me hérisse un peu. Quant au mot "didactique", il a tendance à me faire fuir... Bon, pour tout dire, ce que j'ai vu de l'enseignement dit FLE dans certaines facs me laisse pantois ; mais je pense que ce n'était pas forcément représentatif et ceux des livres qui sont bien faits sont sans doute nécessaires.
Mon conseil à moi serait plus terre-à-terre : emporter un dico français (mais plutôt un Lexis Larousse qu'un Robert, pas besoin de faire de la linguistique, ce que tu vas faire c'est du normatif), un grevisse, un manuel de conjugaison française et une grammaire normative "bête", genre Bescherelle. Sans doutes les "grammaires FLE" sont-elles utiles et adaptées aux étudiants étrangers adultes, mais n'oublie jamais que tu dois en connaître toujours plus que livre de tes élèves.
Et un dernier truc, lui aussi tout c** mais pas forcément inutile à rappeler : si ce sont des étudiants, pense à la bilbio. Claire, lisible, tapée à l'ordi. Organisée et structurée (séparer les grammaires, les vocabulaires, les manuels de références, les dicos français, les dicos français pour étrangers, etc.), avec une référence digne d'une bilbio de thèse, ils doivent pouvoir trouver facilement (nom, titre, lieu de publication, collection, édition, année voire ISBN - attention, les habitudes aux Indes ne sont peut-être pas les mêmes que les nôtres). Bien noter ceux des livres qui peuvent ou doivent être achetés, ceux qui sont dans les bibliothèques et ceux qui sont à connaître simplement, etc. Si tu passes cinq heures à la faire, c'est normal.
Je renchérirais volontiers sur ce qu'à dit Beaumont : enseigner, ça ne s'improvise pas.