Franco-pinailleurs

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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

:P On ne dira jamais assez de bien des petits classiques Larousse !

Quelques métonymies du théâtre classique :

J'ignore le destin d'une tête si chère Phèdre v.6
= d'une personne (la partie pour le tout)

Ai-je mis dans sa main le timon de l'Etat, Britannicus V.45
= le gouvernement (le symbole pour la notion)

Vous portâtes la mort jusque sous leurs murailles (Bérénice)
(presque une catachrèse)
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ann
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Post by ann »

Je crois que l'"erreur" de Damiro vient de la manière dont on appelle ces "changements de sens" de nos mots, avec effectivement des noms empruntés à la stylistique (ou à la rhétorique... selon les époques) et à la manière d'appeler des figures de style utilisées dans la littérature.
Or il s'agit effectivement pour les auteurs de reproduire dans leurs textes des "opérations" que nous sommes tous habitués d'utiliser lorsque nous utilisons la langue (la fameuse fonction "poétique" du langage que nous utilisons tous).
La métaphore nous permet ainsi par exemple souvent de "dire sans nommer" (ça peut etre l'euphémisme aussi) : les Italiens qui parlant des enfants pour éviter le mot "pets" utilisent "petites trompettes" (trombette) qui n'est pas vraiment lexicalisé je crois (ce n'est pas encore un mot de la langue mais ça peut le devenir comme quand on dit "le petit oiseau" pour le sexe masculin)
La métonymie est un peu comme un raccourci, on passe ainsi très souvent du contenant au contenu quand on dit "j'ai bu une bouteille entière" ou comme disait Sisyphe "j'ai bu tout le verre" (on ne fait que sous entendre une bouteille de X, un verre de X, et le sens du mot bouteille ou verre en est modifié : il peut désigner contenant et contenu)
Je m'arreterai là pour ne pas vous ennuyer trop! :drink:
Pile ou face?
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ann
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Post by ann »

nouvelle question pour les franco-pinailleurs
Sisyyyyyyyyyyyyyyphe (et les autres!)
Pourriez vous me dire quelle différence il existe pour vous entre ces trois phrases (s'il existe selon vous des différences...):
elle désire un livre qui contient des images
elle désire un livre qui contienne des images
elle désire un livre qui contiendrait des images

merci :hello:
Pile ou face?
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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

ann wrote:nouvelle question pour les franco-pinailleurs
Sisyyyyyyyyyyyyyyphe (et les autres!)
Pourriez vous me dire quelle différence il existe pour vous entre ces trois phrases (s'il existe selon vous des différences...):
elle désire un livre qui contient des images
elle désire un livre qui contienne des images
elle désire un livre qui contiendrait des images

merci :hello:
:evil: Ann, je te signale qu'il y a trois mois - c'était dans les "samedi soir", ah oui tiens justement :) - , je t'avais soumis exactement le même problème, d'une relative au subjonctif, pour un devoir de la plus frappée (une adepte de Damourette et Pichon donc) de mes cinq profs de grammaire française !

Devoir que je n'ai pas rendu d'ailleurs :confused: .

:D Bon, avant tout, et juste pour ne pas manquer à ma réputation :roll: , je commencerais par dire que les relatives modalisées - au subjonctif - sont un héritage du latin, où elles sont encore plus développées, et embêtent chroniquement tous les latinistes jusqu'à l'agrégation comprise ; selon l'exemple classique "Caesar missit legatos qui pacem peterent" = César envoya des légats pour demander la paix" (en fait "des légats qui demandassent la paix"), i.e. "dès légats envoyés de telle manière que par essence ils étaient là pour demander la paix"

Je continuerais en disant que ces relatives au subjonctif sont aujourd'hui menacées par la décadence même du subjonctif. J'aurais tendance à dire en bon diachro, que la phrase la plus correcte serait "elle désire un livre qui contienne des images", et que les deux autres sont une réaction face au subjonctif dont le sémantisme est de plus en plus flou :
- suppression pure et simple : "... qui contient des livres".
- remplacement par le vrai "mode modalisant" du français moderne : le conditionnel.

On a me semble-t-il un exemple inverse (systématisation "mécanique" du subjonctif) dans la généralisation du subjonctif dans des subordonnées comme "c'est la seul qui soit juste" (pour n'importe qui, y compris un prof de français de collège, "c'est la seul qui est juste" serait une faute), alors que si l'on consulte Grevisse (§1063 b1) on trouve des exemples à l'indicatif - mais chez des auteurs ô combien précieux :-o ! (Yourcenar, Proust, Mittérand).

Par là même, j'en arrive à la synchro. L'introduction du subjonctif dans une subordonnée relative introduit en fait une nuance "modale", c'est à dire, pour être plus clair, qu'elle fait passer l'énoncé du procès de ladite relative du simple réel (la chose purement constatée) à une dimension autre, qui s'en écarte légèrement (iréel, potentiel, "contrefactuel" oui, oui, moi aussi je sais guillaumiser , etc.). L'opposition me paraît parfaitement pertinente dans ce couple de phrases :

Je cherche un chat qui a des poils roux
= ce chat existe réellement ; j'ai pu constater qu'il avait des poils roux. C'est mon chat, je l'ai perdu, et j'essaie de le retrouver

Je cherche un chat qui ait des poils roux.
= Un tel chat existe peut-être être, mais je ne le connais pas encore. J'ai envie d'adopter un chat, et de préférence, je voudrais qu'il soit roux.

Ici, l'opposition indicatif/subjonctif est totalement pertinente.

En revanche, dans ta triplette de phrases :

elle désire un livre qui contient des images
elle désire un livre qui contienne des images
elle désire un livre qui contiendrait des images

La valeur modalisante du subjonctif est parfaitement atténuée. Pourquoi ? Parce que la modalisation est déjà présente dans le verbe "désirer" (en allemand on utiliserait ici "möchte", ce qui non seulement est un "verbe de mode" mais qui plus est utilisé au subjonctif II !). "Désirer" à lui seul tend à renvoyer tout le reste de l'énoncé dans le non-réel/contrefactuel/potentiel/etc.

Malgré tout, avec un peu plus de contexte, on pourrait toutefois opposer deux à deux tes phrases :

elle désire un livre qui contient des images
elle désire un livre qui contienne des images
= même opposition que pour mon chat roux :cat: . On pourrait comprendre que dans le premier cas ce livre existe (une mère qui va acheter un livre pour ses bambins, dont elle a noté la référence exacte) alors que dans le deuxième cas, la réalité du livre, son existence (to einai dirait Aristote, le "que cela est") n'est pas encore posée, on n'a que son essence (to ti einai, le "quoi c'est") : elle demande au libraire où se trouve le rayon des livre d'enfants.

elle désire un livre qui contienne des images
elle désire un livre qui contiendrait des images
= Dans le dernier cas, il me semble que le conditionnel tend à amener une nuance supplémentaire, proprement modale une fois de plus et qui lui est propre, celle du discours rapporté :

[la dame] : je désire un livre qui contienne/contient des images
[employé 1] : que veux cette dame ?
[employé 2] : elle désire un livre qui contiendrait des images <dit-elle>

Mais en dehors de cette situation, "qui contiendrait" me paraît malgré tout à la limite de la correction.

BREF : JE RESUME :D

[A] Le subjonctif dans une relative fait passer l'énoncé du "réel simple" au "un peu à côté du réel".

"qui contient" et "qui contiennne" sont interchangeables, parce que pour deux raisons au moins la valeur du subjonctif est partiellement neutralisée :
1. En synchronie, la modalisation est déjà introduite par "désirer"
2. En diachronie, le subjonctif a beaucoup perdu de son sémantisme propre.

[C] "qui contiendrait" est à la limite de la correction, et ne peut s'expliquer que pour deux raisons :
1. Le discours rapporté, ou du moins non assumé par le locuteur.
2. Une tentative de maintien de la nuance modale, après que le subjonctif a été "évacué".

:sweat: Ouf !

PS : et je te ferais remarquer que tout ce que j'ai dit là tend a dire malgré tout que le conditionnel est un mode. Pour moi, le principe de base, c'est qu'un mode a une valeur modale (y compris la valeur modale zéro = l'indicatif) et qu'un temps a une valeur temporel (c'est mon côté "bon sens paysan" :lol: ;) ). On peut subsumer 70% des emplois du conditionnel sous la valeur de mode, et 90% des emplois des temps de l'indicatif sous la valeur temporelle (la seule exception c'est l'imparfait d'iréel du présent "si j'étais riche"). Donc : PAS TOUCHE A LA TERMINOLOGIE !
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ann
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Post by ann »

Sisyphe wrote: :evil: Ann, je te signale qu'il y a trois mois - c'était dans les "samedi soir", ah oui tiens justement :) - , je t'avais soumis exactement le même problème, d'une relative au subjonctif, pour un devoir de la plus frappée (une adepte de Damourette et Pichon donc) de mes cinq profs de grammaire française !
j'étais sure de t'avoir répondu mais j'avoue que vos discussions du samedi soir sont souvent si longues que le dimanche je n'ai pas le courage de les lire!!!
Sisyphe wrote: J'aurais tendance à dire en bon diachro, que la phrase la plus correcte serait "elle désire un livre qui contienne des images", et que les deux autres sont une réaction face au subjonctif dont le sémantisme est de plus en plus flou :
- suppression pure et simple : "... qui contient des livres".
- remplacement par le vrai "mode modalisant" du français moderne : le conditionnel.
oups en bonne synchro (!!!) j'aurais tendance à dire qu'elles sont toutes aussi "grammaticales" et que effectivement l'utilisation du conditionnel ("au lieu du subjonctif" puisque selon vous diachronistes il s'agirait de la bonne forme) "qui contiendrait des livres" est peut-etre une manière de rendre la meme différence sémantique (présence effective du livre / possibilité de trouver un tel livre) que le subjonctif en utilisant l'indicatif (et le temps "conditionnel!), mode plus usuel et qui a tendance à éviter le subjonctif....
:hello: un grand merci Sisyphe!
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