Eveline wrote:À propos de mihi et michi : il doit y avoir deux versions. J'ai déjà chanté les carmina burana, et on nous avait dit que le mihi était une erreur et qu'il fallait remplacer par michi. J'ai oublié en quoi c'était une erreur. Sur mon disque, ils chantent aussi michi (le k s'entend bien). J'ai aussi cherché sur Internet, et il n'y a que très peu d'occurences de mihi quoque niteris.

Non, il n'y a pas deux versions à proprement parler. "michi" est la forme médiévale de "mihi", datif du pronom de première personne "pour moi" - donc vraisemblablement la version originale. "mihi" étant une correction de (trop) bon latiniste en l'occurence. C'est un peu comme corriger "le roy mangeoit" par "le roi mangeait".
minute linguistique : "michi" est en fait signalé dès les auteurs de l'époque impériale, sans qu'on sache trop d'où il vienne. Il se prononce bien [miki], du moins à l'origine
Pour cordis/cordum pulsum tangite, j'ai trouvé autant d'occurences pour les deux! Mais tant qu'à choisir, je prendrais cordum. Cordis, ça doit être du nominatif (même si je n'y connais pas grand chose), donc le sujet, et ça n'aurait pas de sens.
:o Argh ! Non, "cordis" ne PEUT PAS être du nominatif, même chez des moines nuls en latin du Moyen-âge !
S'il s'agit de la corde, "chorda, ae" (sans h si on veut), c'est un datif-ablatif. S'il s'agit comme je le pense du coeur, c'est "cor, cordis", donc un génitif singulier, et "cordum" est le génitif pluriel. Donc les deux variantes sont possibles.
Le texte est obscur même en latin. La traduction est potable pour les deux premiers couplets, mais carrément erronée pour le troisième ! Ca sent le type qui a fait du latin jusqu'en quatrième-troisième !
Je reprends le mot à mot, ça sera mieux (en gras, mes corrections sur le texte) :
O Fortuna,
velut luna
statu variabilis,
semper crescis
aut descrescis;
O fortune
comme la lune
variable dans ta forme
toujours tu crois
ou tu décrois
vita detestabilis
nunc obdurat [obscurat ?)
et tunc curat
ludo mentis aciem,
vie détestable
tantôt tu rends insensible [OU tu obscurcis]
et tantôt tu prends soin,
par jeu, de faculté de comprendre...
-> A MON AVIS, on a là une variation sur le thème théologique qu'on retrouvera chez Pascal "l'imagination... maîtresse d'erreur
et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours".
"acies" fait partie de ces mots intraduisibles du latin : c'est tout ce qui sert à pénétrer, à entrer dans, etc. A l'armée, c'est la ligne de bataille qui défonce les rangs ennemis. On parle "d'acies oculorum", c'est la "pénétrance" des yeux. Ici c'est la "pénétrance" de l'esprit, le fait que l'esprit soit capable de comprendre.
Notre vite terrestre, "détestable" dans une perspective chrétienne, nous rend tantôt intelligents (elle "curat", prend soin de, donne des forces à) notre esprit, et tantôt l'obscurcit et/ou le rend insensible (les deux versions sont donc acceptables).
egestatem,
potestatem
dissolvit ut glaciem
pauvreté
pouvoir
tu les fais fondre comme la glace
Sors inmanis
et inanis,
rota tu volubilis,
status malus,
vana salus
semper dissolubilis,
Sors immense
et vide
et toi, roue tournoyante (OU bavarde)
état mauvais
vain salut
toujours destructible
-> il n'y a aucun verbe. On peut comprendre "status malus" par "ta nature est perverse", mais on interprète. Il peut être sur le même plan que "rota volubilis".
obumbratam
et velatam
mihi quoque niteris,
<moi qui suis> recouverte d'ombre
et couverte d'un voile
éclaire-moi moi aussi.
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.
A présent par mépris (?)
<mon> dos
exempt de crime
je te l'offre
-> "j'offre mon dos nom à ta scélératesse", ce serait "sceleri" (datif "à ton crime"). Je veux bien corriger ainsi, mais on tombe dans le satanisme là !!!
N'oubliez pas que c'est chanté par des bénédictines ! C'est le récit métaphorique d'une prise de voile :
- "obumbratam et velatam" est au sens propre l'ombre du couvent et le voile de la religieuse qu'elle vient de prendre, et métaphorique, c'est l'absence de "lumière céleste" (la grâce) dans laquelle vit l'être humain sur cette terre.
- elle offre son dos (c'est à dire son corps) "nudus", non pas "à poil" ('ttention les fantasmes

), mais dépourvu d'habits riches (quand St Martin a donné son manteau au pauvre, il s'est retrouvé "nudus" dit le texte. Ca en veut pas dire qu'il avait les vous-savez-quoi à l'air !), et au niveau métaphorique, dépourvu de tout péché (elle est vierge quoi).
- Quant à "ludus", je tique un peu sur le sens, mais il est évident que ça ne veut pas dire "jeu". "ludare" quelqu'un étant "se moquer de", je me demande si le mot ne dérive pas vers le sens de mépris.
Sors salutis
et virtutis
mihi nunc contraria,
Destin
du salut
et de la vertu
qui m'est à présent contraire
-> Et non pas "sort salutaire", "salutis" est un génitif (salutaire c'est salutaris, même au Moyen-Âge). On est toujours dans des paroles chrétiennes : il s'agit du devenir de son salut et de sa vertu (les deux vont ensemble).
est affectus
et defectus
semper in angaria;
tu
as été affligé
et défait,
tu as toujours été dans l'esclavage
-> On trouve parfois la faute au moyen-âge, mais à mon avis pas ici : "est affectus" est parfait passif, et non un présent passif ("amatus sum = j'ai été aimé" en latin classique, faute traditionnellle des élèves de seconde).
Dans sa vie passée, sa vertu (et donc l'espoir de salut) ont été mise à mal et elle a même subi un échec. Mais elle va entrer en religion, ce qui va laver tout ça.
hac in hora
sine mora
cordis pulsum tangite,
A cette heure
sans retard
sentez le battement de mon coeur
-> OU : cordum : de nos coeurs. Plutôt que "chordam" ou "chordis" qui serait compliqué. "tangite" (touchez) est un peu bizarre, mais il faut se souvenir de l'image chrétienne du sacré-coeur, qui est "touché" par Dieu, etc.
quod per sortem
sternit fortem
mecum omnes plangite
puisque par son pouvoir (?)
il abat le fort
pleurez toutes avec moi
-> fortis signifie plutôt courageux, mais OK. Je ne comprends pas très bien "per sortem". Le sujet de "sternit" doit être, logiquement, Dieu... A moins que "quod" soit un relatif pour "cordis" (mon coeur qui .. abat le fort). Mais je penche pour la première solution, car je pense qu'il y a un écho au magnificiat : "et deposuit potentes" (il a déposé les puissants).