
À la base de tout, il y a eu ce jeu de cubes que mes parents avaient ramené de je ne sais quelle boutique de je ne sais quel musée après je ne sais quelle exposition : "les alphabets méditerranéens". Il y avait une lettre sur chaque cube, par exemple sur le premier cube, on trouvait le A latin (en gris), l'alpha grec (en bleu cyan), le A cyrillique (en brun), l'aleph hébreu (en bleu foncé), l'alif arabe (en vert), et des signes cunéiformes sur la dernière face.
Avec ça et au dos de la boîte les alphabets sous forme de liste (lettre + nom + son), j'ai sinon appris les cinq alphabets, du moins retenu pas mal de choses dès mon enfance : à peu près tout l'alphabet grec, l'essentiel du cyrillique (avec les traditionnelles hésitations : le ts /le tch / le ch / le chtch, ou le y/le signe mou/le signe dur), une poignée de lettres hébraïques, mais rien de l'arabe.
J'ai commencé à étudier le grec ancien dans sa prononciation "érasmienne française" tout seul au collège (je m'ennuyais), l'alphabet n'a dès lors plus été du tout un problème. Plus tard (au lycée) je me suis mis au grec moderne avec assimil : j'ai assez vite intégré la prononciation moderne et la présence de l'érasmienne ne m'a pas gêné : c'est plutôt l'inverse ; comme beaucoup d'étudiants ayant tâté des deux, la prononciation moderne, vivante, réelle (et belle de surcroît), quoique monstrueuse sur le plan orthographique, a tendance à prendre le pas sur la prononciation érasmienne, pas si absurde qu'on veut bien le dire, mais évidemment beaucoup plus théorique... Quand je lis trop vite un texte, je saute systématiquement vers la nouvelle. En particulier devant des groupes du genre καταστεύω, il est plus facile de dire [katast'εvo] avec l'accent tonique que [katastø'o] à la française.
J'ai "consolidé" mon cyrillique au collège, lorsque l'URSS était au programme : je m'ennuyais toujours et donc je lisais systématiquement les affiches des ouvrages d'histoire et des films d'Eisenstein (mes parents sont profs d'histoire) en repèrant CTAЛИHY ou ЛEHИHA !

C'est marrant mais moi aussi j'ai retenu la "lettre de tsar". Je dois aussi à Lucky Luke d'avoir retenu le chtch : dans la première case du
grand-duc, on voit un train qui arrive et qui fait.... щщщщщщщщщщ !
Par élimination, j'ai finir par retenir aussi tch et ch.
Mais comme je ne parle aucune des langues qui l'utilisent, d'une part je ne connais vraiment que la variante russe, d'autre part je déchiffre plus que je ne lis, et enfin je suis incapable de prononcer un signe mou ou dur.
Sur mes cubes comme sur les affiches, c'étaient toujours des lettres d'imprimerie et plutôt majuscules donc je ne connais que celles-là. Du coup, quand je donne des cours d'indo-européen à un ami russophone et que je lui écris tel résultat en russe (genre queen = ЖEHA), il me demande "pourquoi tu écris tout en majuscule ?"
En revanche, l'hébreu n'est jamais vraiment rentré. J'identifie bien aleph, bet, gimel, he, lamed, qof et shin, pas les autres.
Le dernier en date est le devanagari. Là, ça été pour une fois un apprentissage entièrement scolaire, dans le cadre de mes cours de sanscrit (dont une partie - toute la grammaire - se fait en transcription officielle).
Beaucoup plus dur car même le volume des consonnes de base (33) est déjà supérieur à tous les systèmes dont j'avais l'habitude. Notre prof nous a fait lire pendant plusieurs cours des manuels indiens (en hindi en réalité) : papapa, cacaca, jajaja, phaphapha, dadada, puis pajaca japaga kataça, jhaTaha etc. puis les voyelles et enfin les ligatures...
Pour les signes de base, j'ai fait des lignes d'écriture ; certaines sont entrées et d'autres pas. Quand j'ai repris cette année (un peu rouillé après deux ans), j'ai fait des affiches chez moi pour retenir celles pour lesquelles j'ai du mal : ce sont d'une part les consonnes rares (DHa, jha, et G (ng, THa), d'autre part celles qui se ressemblent : gha et dha, bha et ma, etc. Les deuxièmes, c'est bon. Les premières c'est bientôt acquis.
Quant aux ligatures inhabituelles...

Mais comment les Indiens font-ils ? Bon, kSa, nna, tta, pra, çca, ça finit par rentrer... Mais alors les horreurs du genre drya, ddhya, ddva, dbhya (d est une emmerdeuse !) !
Ce qui me manque le plus, c'est de maîtriser le clavier nagari (alors que j'écris en grec soit avec mes polices pour le grec ancien, soit avec le clavier grec moderne, différent, un peu plus lentement). C'est pas faute d'essayer mais...

Les lettres sont horriblement petites !
Je me suis rendu compte aussi que ma lecture va d'autant plus vite que j'arrive à identifier sinon tous les mots, du moins des bouts connus (les mots ne sont pas systématiquement coupés, et le sanscrit a des mots composés très longs), je les repère "globalement" sans avoir besoin de les lire "syllabiquement", ils me "délimitent" d'autres bouts et me permettent de me concentrer sur les parties inconnues.

Bien sûr, maintenant je m'amuse à écrire en nagari dans mes marges. Moi aussi je l'ai fait avec le grec ou l'alphabet phonétique international.