Traduction en anglais de réflexions sur l'école finlandaise
Posted: 17 May 2010 12:26
Bonjour,
Je m’adresse à nouveau à Freelang&Lokanova pour la traduction d’un texte. Il s’agit de réflexions sur le système scolaire finlandais et cela représente un millier de mots.
Les raisons pour lesquelles je voudrais qu’il soit publié en anglais sont les suivantes :
- d’une part, je souhaite soumettre mes observations et mes réflexions à la critique des enseignants finlandais ;
- d’autre part, s’il en incite certains à approfondir leurs pratiques pédagogiques, tant mieux !
Le texte original se trouve sur cette page : http://ecoles.alternative-democratique. ... e-educatif.
Le voici, légèrement modifié pour des lecteurs anglophones :
Pour les enseignants français qui croient que le savoir se déverse du haut de la chaire dans des têtes vides, l’école finlandaise est une aberration dont le succès est incompréhensible. Pour les autres et pour les parents informés, ce serait un paradis éducatif.
Plus de vingt articles en français présentent sur ce site le système finlandais dans le détail. Ils reflètent l’étonnement et l’enthousiasme qu’ont éprouvés leurs auteurs quand ils ont découvert les écoles finlandaises.
Pourtant, il y a aussi des problèmes qu’il faut aborder et essayer de comprendre. Au début, ça me semblait anecdotique et disparate :
- J’ai rencontré des jeunes qui n’aimaient pas l’école. Je les ai interrogés, parfois avec insistance, sur leurs raisons. La réponse la plus élaborée a été : « Parce que c’est nul ! » Quand à ce qu’ils appréciaient à l’école, ça se résumait à : « Rien ! »
- Dans chaque classe de l’enseignement secondaire, j’ai vu un garçon dont l’identité est d’être le perturbateur. Il téléphone, il lance des vannes, il pousse des grognements… Quelques uns ricanent, d’autres l’ignorent. Le perturbateur n’est jamais agressif à l’égard du professeur qui le considère avec indulgence. C’est tellement systématique qu’il me semble que si on l’excluait, un autre prendrait aussitôt sa place.
- L’attention des élèves est totale en maternelle et dans les premières années de l’école élémentaire. Elle se réduit au fur et à mesure que l’âge augmente. On peut interpréter cela comme une conséquence de la puberté, mais c’est si linéaire que cette explication me parait insuffisante.
- Un professeur américain d’esthétique a été très surpris par le comportement de ses étudiants quand il a donné des cours à l’université d’Helsinki. Sa formation est destinée à former des personnes qui travailleront soit dans des galeries d’art, soit dans la gestion esthétique des espaces publics. Après quelques cours, une étudiante a pris la parole et lui a dit : « Vous semblez considérer comme allant de soi que nous lisons les revues d’art que vous nous avez indiquées. Mais pour ma part, je n’en ai lu aucune. » Interloqué, le professeur a demandé aux étudiants qui avait lu, d’abord plusieurs puis même une seule des revues qu’il avait recommandées : trois sur trente. Cinq avaient visité un musée dans l’année. « Pourquoi suivez-vous ce programme de master ? a demandé le professeur.
– Vous savez, en Finlande, presque tout le monde va à l’université. »
Une étudiante avait demandé à le rencontrer après le premier cours. « Je voulais vous expliquer pourquoi je ne reviendrai pas, a-t-elle dit. Je n’ai aucun grief à votre égard, mais vous nous demandez de participer aux cours et d’exprimer nos opinions. C’est trop difficile pour moi. »
Comment expliquer ces problèmes ? Je refuse de les considérer comme de simples bizarreries. Je pense qu’ils témoignent d’une faiblesse du système éducatif finlandais.
Les enfants sont accompagnés dès le plus jeune âge par des adultes nombreux et bienveillants. Ils nouent des relations chaleureuses avec leurs enseignants. Le problème, c’est que s’il existe des relations fortes entre chaque enfant et un ou plusieurs adultes, il n’y a pas de relations collectives entre les enfants d’une classe. Chaque élève peut travailler avec un ou deux autres ; cela peut même être la norme, comme en technologie. Mais je n’ai jamais vu la réflexion d’un enfant être confrontée à celle de ses pairs.
L’enseignement est presque toujours frontal. Les élèves sont encouragés à dire ce qu’ils savent (et s’ils se trompent, ça n’est jamais grave), mais ils ne sont pas sollicités sur ce qu’ils pensent.
Cet accompagnement chaleureux convient bien à la psychologie des petits. Plus tard, il est insuffisant pour répondre aux besoins de jeunes qui doivent s’affirmer et qui n’ont plus forcément envie d’être tenus par la main.
À mon avis, ce qui manque à l’école finlandaise, ce sont des temps pour que les enfants et les jeunes expriment leur pensée et s’intéressent à la pensée des autres, dans le cadre de la classe. Ces temps sont bien connus en France chez les enseignants de la mouvance Freinet : travaux de groupe, quoi de neuf, exposés, bilans d’activité, ateliers philo, conseils de coopérative, marchés des connaissances…
Ils pourraient facilement être introduits dans l’école finlandaise telle qu’elle existe à présent :
- parce que la posture éducative des enseignants s’y prête ;
- parce que les Finlandais discutent de la prolongation de la journée d’école qui est jugée trop courte ;
- parce que les deux massacres dans des écoles ont interpelé l’ensemble des acteurs du système éducatif sur la nécessité de développer l’expression des jeunes et la communication.
Cependant, je ne crois pas que cela se fasse de sitôt. Lors d’une conférence de presse à Paris, j’ai questionné la secrétaire d’État à l’Éducation à ce sujet : « J’admire beaucoup votre système éducatif mais je voudrais connaitre votre opinion sur ce qui me semble être une de ses limites. Les enfants sont entrainés à dire ce qu’ils savent, pas ce qu’ils pensent. Cela a pour conséquence que des jeunes ont des difficultés pour exprimer une opinion et une réflexion personnelles. » Madame Heljä Misukka m’a répondu que c’était tout le contraire, que les relations entre les professeurs et les élèves sont tout à fait cordiales et souvent affectueuses et que je devrais aller voir dans des classes finlandaises.
Cela aurait pu n’être qu’une incompréhension ponctuelle. J’ai exposé plus longuement mes réflexions à l’ambassadrice de Finlande et à des personnes travaillant à l’ambassade. Leur réaction me fait penser qu’ils ne conçoivent pas le problème et qu’ils se représentent les discussions collectives comme une foire d’empoigne : « Nous, les Finlandais, sommes des gens timides et nous ne parlons que chacun à notre tour. Nous sommes des gens individualistes et nous n’aimons pas les grands groupes. »
Symptomatique aussi le fait que, pour lutter contre le harcèlement scolaire, les Finlandais ont développé un programme informatique pour faire prendre conscience du problème aux enfants plutôt que de compter sur un débat entre eux.
Ainsi, l’école finlandaise, c’est vraiment très bien. Mais ça n’est pas le paradis éducatif et il est peu probable que ça le devienne dans un avenir proche.
J'ai tout à fait conscience des difficultés que présente ce texte, outre sa longueur. En vous remerciant de m'avoir lu jusque là,
Rémi Castérès
Je m’adresse à nouveau à Freelang&Lokanova pour la traduction d’un texte. Il s’agit de réflexions sur le système scolaire finlandais et cela représente un millier de mots.
Les raisons pour lesquelles je voudrais qu’il soit publié en anglais sont les suivantes :
- d’une part, je souhaite soumettre mes observations et mes réflexions à la critique des enseignants finlandais ;
- d’autre part, s’il en incite certains à approfondir leurs pratiques pédagogiques, tant mieux !
Le texte original se trouve sur cette page : http://ecoles.alternative-democratique. ... e-educatif.
Le voici, légèrement modifié pour des lecteurs anglophones :
Pour les enseignants français qui croient que le savoir se déverse du haut de la chaire dans des têtes vides, l’école finlandaise est une aberration dont le succès est incompréhensible. Pour les autres et pour les parents informés, ce serait un paradis éducatif.
Plus de vingt articles en français présentent sur ce site le système finlandais dans le détail. Ils reflètent l’étonnement et l’enthousiasme qu’ont éprouvés leurs auteurs quand ils ont découvert les écoles finlandaises.
Pourtant, il y a aussi des problèmes qu’il faut aborder et essayer de comprendre. Au début, ça me semblait anecdotique et disparate :
- J’ai rencontré des jeunes qui n’aimaient pas l’école. Je les ai interrogés, parfois avec insistance, sur leurs raisons. La réponse la plus élaborée a été : « Parce que c’est nul ! » Quand à ce qu’ils appréciaient à l’école, ça se résumait à : « Rien ! »
- Dans chaque classe de l’enseignement secondaire, j’ai vu un garçon dont l’identité est d’être le perturbateur. Il téléphone, il lance des vannes, il pousse des grognements… Quelques uns ricanent, d’autres l’ignorent. Le perturbateur n’est jamais agressif à l’égard du professeur qui le considère avec indulgence. C’est tellement systématique qu’il me semble que si on l’excluait, un autre prendrait aussitôt sa place.
- L’attention des élèves est totale en maternelle et dans les premières années de l’école élémentaire. Elle se réduit au fur et à mesure que l’âge augmente. On peut interpréter cela comme une conséquence de la puberté, mais c’est si linéaire que cette explication me parait insuffisante.
- Un professeur américain d’esthétique a été très surpris par le comportement de ses étudiants quand il a donné des cours à l’université d’Helsinki. Sa formation est destinée à former des personnes qui travailleront soit dans des galeries d’art, soit dans la gestion esthétique des espaces publics. Après quelques cours, une étudiante a pris la parole et lui a dit : « Vous semblez considérer comme allant de soi que nous lisons les revues d’art que vous nous avez indiquées. Mais pour ma part, je n’en ai lu aucune. » Interloqué, le professeur a demandé aux étudiants qui avait lu, d’abord plusieurs puis même une seule des revues qu’il avait recommandées : trois sur trente. Cinq avaient visité un musée dans l’année. « Pourquoi suivez-vous ce programme de master ? a demandé le professeur.
– Vous savez, en Finlande, presque tout le monde va à l’université. »
Une étudiante avait demandé à le rencontrer après le premier cours. « Je voulais vous expliquer pourquoi je ne reviendrai pas, a-t-elle dit. Je n’ai aucun grief à votre égard, mais vous nous demandez de participer aux cours et d’exprimer nos opinions. C’est trop difficile pour moi. »
Comment expliquer ces problèmes ? Je refuse de les considérer comme de simples bizarreries. Je pense qu’ils témoignent d’une faiblesse du système éducatif finlandais.
Les enfants sont accompagnés dès le plus jeune âge par des adultes nombreux et bienveillants. Ils nouent des relations chaleureuses avec leurs enseignants. Le problème, c’est que s’il existe des relations fortes entre chaque enfant et un ou plusieurs adultes, il n’y a pas de relations collectives entre les enfants d’une classe. Chaque élève peut travailler avec un ou deux autres ; cela peut même être la norme, comme en technologie. Mais je n’ai jamais vu la réflexion d’un enfant être confrontée à celle de ses pairs.
L’enseignement est presque toujours frontal. Les élèves sont encouragés à dire ce qu’ils savent (et s’ils se trompent, ça n’est jamais grave), mais ils ne sont pas sollicités sur ce qu’ils pensent.
Cet accompagnement chaleureux convient bien à la psychologie des petits. Plus tard, il est insuffisant pour répondre aux besoins de jeunes qui doivent s’affirmer et qui n’ont plus forcément envie d’être tenus par la main.
À mon avis, ce qui manque à l’école finlandaise, ce sont des temps pour que les enfants et les jeunes expriment leur pensée et s’intéressent à la pensée des autres, dans le cadre de la classe. Ces temps sont bien connus en France chez les enseignants de la mouvance Freinet : travaux de groupe, quoi de neuf, exposés, bilans d’activité, ateliers philo, conseils de coopérative, marchés des connaissances…
Ils pourraient facilement être introduits dans l’école finlandaise telle qu’elle existe à présent :
- parce que la posture éducative des enseignants s’y prête ;
- parce que les Finlandais discutent de la prolongation de la journée d’école qui est jugée trop courte ;
- parce que les deux massacres dans des écoles ont interpelé l’ensemble des acteurs du système éducatif sur la nécessité de développer l’expression des jeunes et la communication.
Cependant, je ne crois pas que cela se fasse de sitôt. Lors d’une conférence de presse à Paris, j’ai questionné la secrétaire d’État à l’Éducation à ce sujet : « J’admire beaucoup votre système éducatif mais je voudrais connaitre votre opinion sur ce qui me semble être une de ses limites. Les enfants sont entrainés à dire ce qu’ils savent, pas ce qu’ils pensent. Cela a pour conséquence que des jeunes ont des difficultés pour exprimer une opinion et une réflexion personnelles. » Madame Heljä Misukka m’a répondu que c’était tout le contraire, que les relations entre les professeurs et les élèves sont tout à fait cordiales et souvent affectueuses et que je devrais aller voir dans des classes finlandaises.
Cela aurait pu n’être qu’une incompréhension ponctuelle. J’ai exposé plus longuement mes réflexions à l’ambassadrice de Finlande et à des personnes travaillant à l’ambassade. Leur réaction me fait penser qu’ils ne conçoivent pas le problème et qu’ils se représentent les discussions collectives comme une foire d’empoigne : « Nous, les Finlandais, sommes des gens timides et nous ne parlons que chacun à notre tour. Nous sommes des gens individualistes et nous n’aimons pas les grands groupes. »
Symptomatique aussi le fait que, pour lutter contre le harcèlement scolaire, les Finlandais ont développé un programme informatique pour faire prendre conscience du problème aux enfants plutôt que de compter sur un débat entre eux.
Ainsi, l’école finlandaise, c’est vraiment très bien. Mais ça n’est pas le paradis éducatif et il est peu probable que ça le devienne dans un avenir proche.
J'ai tout à fait conscience des difficultés que présente ce texte, outre sa longueur. En vous remerciant de m'avoir lu jusque là,
Rémi Castérès