
Mais pourquoi tout le monde pose des questions intéressantes précisément la semaine où j'ai pas le temps d'y répondre ?
Bon, Olivier étant un excellent helléniste, il a déjà dit l'essentiel
fricot wrote:A la fin d'une méthode d'initiation au grec ancien, j'ai un lexique où les verbes sont indiqués avec indicatif présent, futur, aoriste et parfait ; on doit en déduire les autres conjugaisons.
Ainsi pour "annoncer"
ἀγγέλλω, ἀγγέλλῶ, ἤγγέλλα, ηγγέλλχα
j'annonce, j'annoncerai, j'annonçai, mais le parfait ? (je viens d'annoncer ?)

Alors, déjà, orthographe : ἀγγέλλω, ἀγγε
λῶ, ἤγγ
ειλα, ἤγγελ
κα
En fait, c'est un verbe "faussement irrégulier" car toutes les modifications ne sont que les accidents phonétiques "normaux". Je vous l'expliquerai un autre jour.
Quant au parfait, il est toujours noté par un
kappa (au singulier) et non pas un khi (sauf une sous-sous-sous-classe obscure que vous pouvez déjà oublier).
*
Pour le sens, il faut comprendre deux choses :
1) À la base, le grec notait plutôt des aspects que des temps. C'est-à-dire "comment est l'action" et non "à quel moment elle s'est déroulée". En fait, même l'aoriste n'est pas vraiment un temps du passé ! L'aoriste, c'est l'action en elle-même, sans aucune autre considération du point de vue du temps ou de l'aspect. Le meilleur exemple, c'est l'aoriste "gnomique" (m'a toujours fait rire ce nom... J'imagine le petit schtroumpf...), qu'on emploie dans les proverbes ou les formules toutes faites, les vérités générales : παθὼν νήπιος ἔγνω "le sot s'instruit à ses dépens". Mais comme 90% du temps, quand on marque une action dans le présent, elle est en train de durer, le temps verbal que nous appelons présent a tendu à s'assimiler à l'expression du présent chronologique.
2) Mais le système a tendu à évoluer vers des temps. C'est particulièrement le cas du parfait, qui a eu une certaine tendance à rentrer dans "l'orbite" du passé dès le 5e siècle. Au-delà, c'est le bordel. Et dans les textes chrétiens, en particulier, l'emploi du parfait est souvent excessif, c'est un peu comme notre imparfait du subjonctif. Sur les papyri de la même époque, il disparaît purement et simplement au 3e siècle avant.
Le parfait grec, on fait une thèse de linguistique tous les 25 ans dessus ! Même Yves Duhoux, un prof de Louvain, LA référence en matière de conjugaison grecque au moins en langue française, le reconnaît "l'indicatif parfait et, du point du vue syntaxique, le temps le plus difficile de toute la conjugaison grecque". (Y. Duhoux,
Le verbe grec ancien, p.413).
Etant entendu que c'est incompréhensible, je vais quand même essayer d'expliquer ça clairement.
*
1. Fondamentalement, le parfait désigne une
action qui a abouti considéré depuis le point de vue de l'action principale . "j'ai fini de faire l'action X et j'en constate le résultat". αὐτὸν λἐλυκα "j'ai fini de le délier, donc il est libre".
2. C'est à tel point vrai qu'une série de parfaits intransitifs ont franchement un sens de présent : τέθνηκα "je suis mort"; κἐκτημαι "je possède" (alors que le présent κτάομαι veut dire "j'acquière" ; πέφυκα "je suis par nature..." (alors que πύω signifie "naître" ou "croître" : la plante naît, croît et donc à la fin, pas de toute
c'est une rose. Ils sont même tellement sentis comme des présents que l'on
refait un futur dessus (futur III, très improprement appelé "futur antérieur").
3. Une autre preuve de l'emploi de base ("résultat présent d'une action passée") : le très rigolo "parfait de casier judiciaire" : τοῦτο πεποἰηκe "il a commis l'action X" (et la suite de la phrase exprime la punition.
4. Pour d'autres verbes, notamment transitifs, on tend à aller un peu plus franchement vers l'idée du passé, mais toujours en relation avec le présent OU le passé de référence d'ailleurs (il n'y a pas de "concordance des temps" en grec !). Vous l'avez souligné vous-même : "il est mort" en français peut-être le verbe d'état + un adjectif (il est bleu, il est mort) ou alors ce que nous appelons le passé composé, puisque si je le constate dans le présent, c'est bien que ça a eu lieu au minimum un quart de seconde avant.
Donc "j'ai annoncé ma candidature" serait au parfait et pas
"j'ai annoncé ma candidature trop tard"
Bin, justement je mettrais les deux au parfait :
1. "Martine Aubry a annoncé sa candidature" : je constate un fait présent ! D'ailleurs les journalistes ne s'y trompent pas "scoop du jour, l'info vient de nous parvenir, M.A. a annoncé sa candidature".
2. "Martine Aubry a annoncé sa candidature trop tard" : j'énonce un fait un peu passé, mais j'insiste en réalité sur sa conséquence, "du coup, elle est handicapée par rapport à François Hollande".
3. "Lionel Jospin a annoncé sa candidature trop tard" : en disant cela, implicitement, je me place sur le plan de l'Histoire avec un grand H, j'invite mon interlocuteur a revenir sur un élément de notre passé politique ; il l'a annoncé trop tard, sa compagne a été (fut) merdique, il a eu (il y eut) le 21 avril, etc.
La syntaxe du grec ancien, c'est simple comme les socialistes français...