Ca y'est, je suis de retour avec la dernière mouture de mes réflexions sur l'
espéranto. Désolée les gars, je vous cite sans balises, c'est plus vite fait…
Alors je reviens sur une affirmation de Bovido :
" Il est beaucoup plus facile de traduire l'espéranto vers une autre langue (et inversement) qu'une autre langue."
Et sa réponse suite aux questions de Didine :
" Par exemple, il est plus facile de traduire du français (ou une autre langue) à l'espéranto ou de l'espéranto au français (ou une autre langue) que du français à l'anglais car l'espéranto est par sa grammaire, sa structure et par son haute précison, dix fois plus simple que l'anglais et la plus souple de toutes les langues, ce qui lui permet de s'adapter à presque toutes les particularités syntaxiques de l'autre langue."

Si Didine est sceptique, moi je n'y crois pas une seule seconde !!! Si tu veux me convaincre, Bovido, il va falloir faire plus qu'affirmer gratuitement, je veux des preuves, des exemples !!! Je ne sais pas qui tu es dans la vie, mais de telles affirmations me laissent penser que tu n'as jamais pratiqué la traduction de ta vie… Que l'
espéranto soit souple et simple, OK, mais je ne vois pas en quoi ça simplifie la traduction ! La difficulté de la trad réside non pas dans la difficulté des langues, mais dans leurs différences. Or, si génial qu'il soit, l'
espéranto ne peut pas être semblable à la fois dans son voc, sa structure et sa vision des choses à toutes les langues du monde !!!!! Et même si on recadre le débat dans un contexte européen, je ne crois pas une seule seconde que l'
espéranto puise ressembler à toutes les langues européennes, qui sont déjà très différentes les unes des autres… Donc, il est peut-être plus facile de traduire
espéranto-français et vice-versa que français-anglais et vice-versa, mais ça ne permet pas d'en tirer des conclusions universelles sur l'
espéranto et toutes les langues.
Pour rester dans le domaine de la traduction, je cite Sisyphe :
"j'ai souvent fait l'expérience, que l'anglais n'est ni une langue facile ni une langue précise. Je donnerai deux exemples :
Les néologismes : les anglais ne feront bientôt plus la différence entre leur verbes et leurs noms. Avec un certain naturel, ils prennent un verbe, pire un "phrasal verb", et ils l'utilisent comme un nom : mais à toi de deviner si "the blow up" est
- un changement d'état (allemand -ung)
- un concept (allemand -heit)
- un nom d'agent (-er)
- une oeuvre (-werk)
etc.
(…)
Deuxième exemple : les syntagmes nominaux. La encore l'anglais juxtapose cinq ou six substantifs, et à toi de te dém....der ; je me souviens de "individual split ergative case marking system". Est-ce :
- un système individuel de marquage casuel de l'ergatif divisé
- un système de marque [c'est pas pareil] casuelles d'un ergatif individuel divisé
- un systeme de marque/marquage individuel de type ergatif divisé
- etc.
La différence est de l'ordre du poil de rat, mais par jeux de domino, sur un article de dix pages employant des concepts hyper-précis et vachement "prise de tête", ça peut largement compliquer l'ensemble."
Eh oui, je sais Sisyphe, j'en ai à longueur de journée de trucs tordus comme ça. Mais même si je suis d'accord avec toi pour dire que l'allemand est plus précis, ça ne rend pas la traduction depuis l'allemand plus facile. Les difficultés sont ailleurs. Et puis, même si tu comprends mieux le texte source, tu n'es la plupart du temps pas plus avancé sur la manière de traduire… Juste pour rire, voici un exemple de ce que je traduisais aujourd'hui :
"Soweit ein Vertragspartner im Rahmen der von ihr nach diesem Vertrag zu erbringenden Leistungen Sublieferanten einschaltet, ist er verpflichtet, durch geeignete vertragliche Vereinbarungen sicher zu stellen, dass die Vertragspartner er Regelung § 10 entsprechende Nutzungsrechte an Neuschutzrechten und Altschutzrechten erhalten."
Tant qu'il y aura une diversité des langues et des peuples, la traduction sera un exercice difficile (tant mieux pour nous, n'est-ce pas Didine !). Je ne prône donc pas du tout une simplification, pour la simple raison qu'elle est impossible, à moins de supprimer tous les peuples et langues de la Terre pour n'en garder qu'un… Mais c'est pas là qu'on veut en venir, non ?
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Ensuite, pour revenir à l'
espéranto, je cite Bovido :
"Le fait d'apprendre l'espéranto rend au contraire plus facile l'apprentissage des autres langues, et l'epséranto ne tend pas à être une langue universelle mais une langue auxiliaire."
Je n'ai jamais prétendu le contraire, mon propos n'était pas du tout là… Mais il n'y a là rien de caractéristique de l'
espéranto : l'apprentissage de n'importe quelle langue rend l'apprentissage ultérieur de n'importe quelle autre langue plus facile. Plus on sait de langues, plus il est facile d'en apprendre,
espéranto ou pas.
Bovido :
" Une langue n'a pas besoin d'irrégularité pour qu'elle soit belle ou ait du charme ; de fait, l'espéranto est une très belle langue.
Et puis, le chinois est une langue sans irrégularité, alors qu'elle est parlée courrament."
Eh bien, si le chinois est une langue sans irrégularité, apprenons le chinois et utilisons-le comme langue-pont !
(je précise pour ceux qui n'auraient pas compris les smileys : je plaisante)
Bovido :
"Comment expliques-tu que la plus grande proportion (par rapport aux nombre d'habitants) d'espérantophones se trouvent en Chine et au Japon ? Que les meilleurs littéraires espérantistes soient japonais ?"
Aucune idée, c'est pas moi la spécialiste ici… Mais vu que (jusqu'à ce que vous me prouviez le contraire) je reste persuadée que l'
espéranto est basé majoritairement sur les langues latines et germaniques, je suis prête à penser que les Asiatiques voient en elle, grâce à sa régularité et simplicité, un bon tremplin vers les langues d'Europe de l'Ouest et/ou grâce à sa supranationalité, un bon moyen de se rapprocher des cultures occidentales sans se "mouiller" en optant pour les USA, la France, l'Italie, l'Allemagne, etc. Mais si vous avez de meilleures explications (argumentées j'entends), j'attends.
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Ensuite, merci pour vos explications sur les conjugaisons en
espéranto. Je cite Sisyphe :
" Autant que je sache, il n'y pas de concordance de temps en espéranto. On est plus proche du grec ancien ou (je crois) du russe que du latin ou du français. "
Oui, ici enfin les premiers éléments que je vois se rapprocher peu ou prou du russe. En russe, pas de concordance des temps non plus et surtout, ce qui ressemble le plus à l'
espéranto : les participes (en russe, passé et présent seulement, mais également avec passif et actif). Par contre le reste diffère quand même pas mal : pas de subjonctif en russe, seulement le conditionnel (et l'impératif), seulement trois temps à l'indicatif : passé présent futur, avec par contre des aspects verbaux (perfectif et imperfectif, ce qui donne une paire de verbes russes pour chaque verbe français, voire quatre pour les verbes de mouvement à cause d'un mécanisme dont j'ai oublié le nom…) et surtout, pas de temps composés en russe !
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Sisyphe :
"Je crois personnellement que ce n'est pas aimer l'anglais, les Anglais et l'Angleterre que de célébrer l'anglais international. Il se fait au dépend de l'anglais lui-même comme langue de culture. Quand on sait que les Anglais font de moins en moins la différence entre who et which, ou qu'ils écrivent de plus en plus "labor" et non "labour", etc. Ce n'est pas au nom de ses qualités intrinsèques que l'anglais (en fait l'américain) s'est imposé, mais parce qu'il est la langue d'un pays aujourd'hui surpuissant."
Complètement d'accord avec toi. Je pense que si l'
espéranto n'arrive pas à s'imposer, c'est notamment parce qu'il n'a pas de puissance économique et politique qui soutienne son développement. Mais en ce qui concerne l'anglais, je crois que l'anglais a déjà atteint le statut de langue-pont que se veut être l'
espéranto, à la nuance près que l'anglais reste quand même lié ne serait-ce que de loin à une nation. Mais l'utilisation de l'anglais aujourd'hui échappe complètement à l'Angleterre comme aux EU, l'anglais international comme langue de communication a sa vie propre. Je parlais il n'y a pas longtemps sur Freelang d'un bouquin qui vient de sortir et qui s'appelle du genre "Do you speak globish?" C'est une méthode pour apprendre la globish (global english), version de l'anglais réduite à environ 500 mots et à une grammaire encore plus simplifiée ! Voilà qui n'a rien à voir avec l'anglais comme je le conçois, comme une langue attachée à un peuple et une culture… C'est un pur moyen de communication, comme le morse.
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Et donc j'en reviens éternellement à le culture. Oui, Bovido, j'y tiens absolument ! Moi je n'ai commencé le russe qu'à cause de Dostoïevski… Sans lui, je ne parlerais pas russe (et je n'aurais pas trouvé l'homme de ma vie, au passage). Apprendre une langue juste pour l'apprendre, c'est bon pour les linguistes, et je ne dénie pas l'intérêt scientifique que ça peut avoir. Mais bon sang, on apprend aussi les langues pour le plaisir, pas que pour la science ou le boulot ! Et quand je parle de charme des langues, je pense à toutes les surprises qu'elles réservent. Par exemple, aux traces de leur évolution qui bien sûr créent des irrégularités qui nous font rager et rouspéter, mais qui ne sont pas gratuites, qui relatent l'histoire d'un peuple… Je ne vais pas annoncer une grande nouveauté en disant que les langues sont le reflet d'une vision du monde. Je plagie même allègrement un éminent linguiste dont je ne me rappelle plus le nom (Sisyphe ne manquera pas d'y remédier

) qui disait : "l'homme voit le monde à travers le spectre de sa langue". Je ne vais pas vous ressortir l'histoire des eskimos avec la neige. Mais on peut parler des dénominations des membres de la famille, qui diffèrent dans toutes les langues. Ou des jurons, qui diffèrent aussi sensiblement (les Européens de l'Ouest, nous sommes très scato-sexuels, mais je crois qu'il y a des civilisations où les injures ont une tout autre base. Au fait, de quelle nature sont les jurons en
espéranto ?). Ou bien encore du fait qu'il n'y ait pas de passé dans certaines langues : pourquoi ? Moi, personnellement, c'est ce qui m'intéresse : apprendre à connaître un peuple, comment il vit, ses coutumes, son histoire, sa mentalité, et pour ce faire, étudier sa langue. Et surtout, observer le rapport qu'il y a entre tous ces paramètres et la langue.
Et plus j'y réfléchis, plus je me dis que l'
espéranto est artificiel et arbitraire. Et il ne peut en être autrement. Toute personne qui crée une langue possède auparavant une vision des choses propre à ses origines, déterminée partiellement par sa langue maternelle. Or l'
espéranto a bien été crée par une personne, pas par une machine. Elle est donc forcément le reflet d'une vision du monde qui même si elle a pu s'ouvrir beaucoup, restera toujours restreinte par rapport à l'immensité des visions existant sur terre ! Il ne peut pas en être autrement, mais dans ce cas, pourquoi continuer à clamer que l'
espéranto est universel ? Il ne peut tout simplement pas l'être.
Et en ce qui concerne la culture espérantiste (littérature, etc…), plus j'y pense et moins je vois où est le fil conducteur dans tout ça… Car même un Japonais qui écrit des romans en
espéranto, il ne fait que les écrire d'un point de vue de Japonais, pas d'un point de vue d'espérantiste ! C'est donc simplement un témoignage de la culture japonaise, écrit en
espéranto. Il pourrait tout aussi bien être écrit en japonais puis traduit en
espéranto, ça n'y changerait rien. Alors que Dostoïevski n'aurait jamais pu écrire ce qu'il a écrit s'il était né en France et avait eu le français pour langue maternelle, j'en suis persuadée ! Dosto est donc bien le représentant de la culture russe, mais le japonais qui écrit en
espéranto n'est à mon avis pas le représentant d'une supposée culture espérantiste…
C'est là que j'en suis de mes réflexions en tout cas. Peut-être me trompé-je, mais je n'ai encore pas entendu d'argument convaincant dans le sens contraire…
En tout cas, je m'arrête là pour ce soir, à chaque jour suffit sa peine. (tiens, y'avait les proverbes aussi dans la culture

).
J'attends vos réactions, qui seront nombreuses je n'en doute pas…
