Aucune différence de sens, profondément. Mes dicos renforcent mon opinion première en donnant la même définition pour les deux adjectifs : a. qui est relatif aux prolétaires ; b. qui est formé de prolétaires.
J'ajouterais peut-être quand même que "prolétarien" est nécessairement plus politique, puisque -ien est un suffixe de "croyance" (mittérandien, chiraquien, gaullien, chrétien), tandis que "prolétaire" est plus sociologique. Dans le vocabulaire du PC, par exemple, on trouvait une expression comme "un écrivain prolétarien" (mentionné par le TLF), qui aurait pu désigner Aragon romancier par exemple, qui n'était nullement un prolétaire ! Le TLF ne s'interroge pas sur cette différence, mais donne comme exemple de syntagmes :
SYNT. Artiste, écrivain prolétarien; classe prolétarienne; communisme, esprit, idéal, internationalisme, mouvement, parti, socialisme prolétarien; condition, idéologie, révolution, revendication prolétarienne.
tous éminement politiques.
Mais cette distinction de sens ne fonctionne pas toujours. Le PC a toujours dit indifférement "masses prolétaires" et "masses prolétariennes", suivant que les lois de la rhétorique exigeaient un mot plus ou moins long.
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A mon avis (Ann n'est pas là, heureusement, elle dirait que je retombe dans mes vieilles lunes), la différence est d'abord dans l'histoire des deux mots.
A Rome, les
proletarii sont les citoyens de la dernière classe, exempts d'impôts, ainsi désignés parce qu'ils n'ont d'intérêt dans l'Etat que par les enfants (
proles) qu'ils ont (se méfier quand même : cette définition est donnée sembe-t-il par Aulu-Gelle, l'auteur de ce livre ennuyeux mais au titre sublime :
Les nuits attiques, et il fait beaucoup dans l'étymologie fantaisiste. Mais c'est possible, en tout cas c'est ainsi que les Romains de son temps le comprenaient).
En latin,
proletarius est un adjectif, substantivé dans l'expression en question (on peut sous-entendre
homines, le tout signifiant un truc comme "gens à enfants"). Il n'y a pas de *proletarianus
"Prolétaire" est attesté en français dès le 16e comme traduction du latin ; mais dans son sens moderne, il apparaît (et ça ne surprendra pas) avec la Révolution. Le "socialisme français" (ou "utopique" : Saint-Simon, Fournier, V. Considérant; Blanqui etc.) lui donne une certaine audience, je crois même l'avoir trouvé chez Toqueville.
"Prolétarien", en revanche, est créé
au niveau du français. C'est un recaractérisation, strictement adjectivale (encore qu'il y ait quelques exemples de substantivation), à l'aide d'un suffixe, comme je l'ai dit.
Il semble que "prolétarien" apparaisse en 1871. Or, il est intéressant de constater que c'est précisément au moment où l'extrême-gauche française passe du socialisme "français" au socialisme "marxien" ; notons que le
Capital est traduit en français, je crois, vers 1880, et que Jaurès publie sa thèse (en latin !) sur Marx en 1892. J'ai tendance à penser que cette invention de "prolétarien", outre qu'elle marque un tournant idéologique, a dû être influencé par la lecture de l'allemand, qui distingue "Proletarier" de "proletarisch".
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La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)