
Merci pour une réponse éventuelle et toutes mes salutations à Sisyphe
Moderators: kokoyaya, Beaumont, Sisyphe
kokoyaya wrote:Si j'en crois mon petit Hachette (désolé, je n'avais pas les moyens d'acheter le Bailly à l'époque), doksos = opinion, jugement, doctrine.
tu m'as grilléSisyphe wrote:kokoyaya wrote:Si j'en crois mon petit Hachette (désolé, je n'avais pas les moyens d'acheter le Bailly à l'époque), doksos = opinion, jugement, doctrine.Hou le vilain barbarisme ! *doxos n'existe pas. Le mot de base est doxa [bon, je laisse tomber les caractères grecs hein], qui en composition devient doxo- en vertu des règles pornographiques qui régissent la composition nominale grecque (= une dizaine de thèses).
Cela étant, le petit Hatier est un excellent dictionnaire, proportionnellement bien meilleur que le Bailly .
Précisions liminaires : je considère qu'il s'agit de "doxographe" car "doxophraphe" non seulement n'existe pas même sur google, mais même est impossible en grec au nom d'une loi phonétique que tous les étudiants de linguistique grecque connaissent comme les bons chrétiens le pater noster et qu'on appelle loi de Grassman, ou loi de dissimilation des aspirées : un mot grec ne peut pas contenir plus d'un phonème aspiré (en gros : un h dans la transcription latine) à la fois, il en perd toujours un, et ce jusqu'à l'absurde : "poil" se dit "thrix" < *thrik(h)s" au nominatif (θριξ) mais "trikhos < t(h)rikhos" au génitif (τριχος) ce qui fait que le mot même mot ne commence plus par la même lettre suivant son cas, et que des générations d'hellénistes en larmes se sont épuisés à chercher dans toute la lettre tau quel pouvait bien être ce mot.
*
Doxa fait partie de ces mots totalement intraduisibles du grec.
D'abord il est issu de "dokêo", sembler, paraître. Lui-même bâti sur une racine *dek qui signifie "recevoir" (qui se dit d'ailleurs dekhomai). Dokêo c'est recevoir une impression dans son esprit qui amène à une conclusion pratique. Ainsi "dokeî moi" signifie "il me semble", mais aussi "il me semble bon", et par suite "je décide que". À Athènes et dans d'autres cités, les textes de lois commencent par "edoxe tôi dêmôi", qui ne veut pas dire "il a paru bon au peuple" mais bel et bien "le peuple a décidé que" (cf. la formule française qui closait les lois royales "car tel est notre bon plaisir" qui en réalité n'a rien d'ironique ou de dévalorisant, il s'agit au contraire de dire que le roi a pris la décision qui lui a paru bonne).
Le nom qui en dérive, "dogma", concentre ainsi les trois sens, c'est à la fois :
1. Un élément du savoir, une "notion" chez Platon (Théétète 58d et alibi si j'en crois Lidell-Scott, je vous laisse vérifier).
2. Une opinion, et notamment l'opinion d'une école philosophique
3. La décision d'une assemblée judiciaire ou politique. Chez les historiens grecs de Rome, le mot traduit le concept latin de "senatus-consultum" (sénatus-consulte, décision prise par le Sénat, mais que dans notre vocabulaire nous appelerions plutôt "décret" que "loi", car elle est essentiellement exécutive).
Le mot français "dogme" récupère un peu les deux derniers sens. Car le dogme, originellement, est bien une décision prise par un concile, mais qui se veut basée sur la vérité et la réflexion. Ainsi le concile de Nicée a établi le dogme de la Sainte Trinité monotriphysite, c'est-à-dire qu'après avoir bien réfléchi, il leur a semblé que ça ne pouvait être que comme ça puisque c'était la solution la plus compliquée. M'est avis qu'ils auraient pu aussi bien se tirer une balle dans le pied, mais nous nous éloignons du sujet.
Dans un premier temps, "doxa" signifie "ce qu'il semble que les choses sont ou doivent être". Dans Homère, on ne trouve ce mot que dans la formule "apo doxês" et qui signifie "contrairement à ce qu'on attendait" (j'ai le souvenir dans le chant XVI que j'ai travaillé cette année de cette expression quand un héros lance un javelot et que "apo doxês", contrairement à ce qu'on attendait - car c'était un bon héros - il ratait sa cible, parce qu'en fait les dieux l'avaient voulu ainsi). Il en reste l'expression "para doxa", ce qui est contraire à ce qu'on attend, le paradoxe, dans son premier sens : les paradoxes de Zénon (tout le monde s'attend à ce qu'Achille dépasse la tortue, mais comme chacun sait, ce ne sera jamais le cas).
La doxa, et l'ensemble de la racine avec, devient ensuite, en grec classique, plus généralement une forme d'opinion qui n'est pas nécessairement mauvaise, qui peut être passive (ce qu'on peut de moi) ou active (ce que je pense de X). "Eudoxia" et même doxa tout seul signifient "la bonne réputation" (cf. le prénom français Eudoxie), "endoxos" signifie illustre, etc. (sens passifs = la bonne opinion que les autres ont de moi). Mais "doxa" signifie aussi l'opinion que je porte sur quelque chose. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que la doxa est une forme du savoir chez Platon, au final rejetée dans son principe car moins satisfaisante que l'epistémé, mais ce qui ne signifie pas que le contenu de cette doxa soit mauvaise.
En composition, le mot peut aller prendre l'un ou l'autre de ces sens. Ainsi "philodoxos" signifie tantôt "qui s'attache à une opinion" et tantôt "qui aime la gloire" (note : ce premier sens apparaît dans Chantraine mais n'est pas répertorié dans Lidell-Scott-Jones, donc soit LSJ est incomplet, soit le lemme de Chantraine est un fantôme). Cela étant, le sens de "gloire" domine numériquement.
Je ne trouve pas de "doxographia" tel quel en grec ancien dans mes dictionnaires. Ce qui ne signifie pas qu'il n'existe pas : un rapide parcours dans google sous ce lemme fait apparaître un nombre important de références aux pré-socratiques qui ne sont pas toujours bien enregistrés dans les dicos.
En laissant de côté le sens de "gloire", à mon avis pas en cause ici, la "doxographie" serait donc le fait d'écrire sur ce qui est la bonne opinion, ou d'écrire en vue de l'imposer (sens le plus vaste de doxa), ou peut-être écrire sur cette forme de connaissance qu'est la doxa.
Je connais mal Michel Serres (à l'exception de son remarquable livre Hergé mon ami, une des rares tentatives à ce jour de philosopher sur la Bande Dessinée ou à partir d'elle, livre passionnant quoique pas forcément facile à lire). Mais j'ai déjà rencontré le terme de "doxographie" dans mes études, particulièrement quand j'étudiais le chant VI de l'Enéide (La rencontre avec la Sibylle de Cumes et la descente aux Enfers) ; en gros, le terme désignait l'exposition ou l'explicitation d'une façon plus ou moins obvie ou symbolique d'un savoir à la fois scientifique et religieux, en l'occurence le néo-platonisme (très exactement, c'est Jacques Perret dans les notes de son édition "budé" qui en parlait mais je ne retrouve plus le passage ; en gros, toute la descente aux enfers contient à la fois des éléments eschatologiques et des élements doxographiques) ; mais il me semble l'avoir vu appliqué également à d'autres bouillabaisses scientifco-mystiques dont la Grèce a le secret (orphisme, présocratiques de tous poils, etc.).
Voilà tout ce que j'en peux dire.