saluts,
nous savons que, en plusieurs langues, les voyelles (ou consonnes) i/y/u/w ont tendance à changer à j/v. par exemple (pas nécessairement au ordre correcte d'évolution):
sanscrit (dev-a) => latin (deu-(u)s)
hébreu (Yehoshwah) => anglais (Joshua)
mais le problème est que le "deva" sanscrit est dérivé de la forme hypothétique proto-indo-européenne *deiwós, lequel a un phonème "u".
donc, pour quoi est-ce que le "u" change à "v" et, depuis, à "u" encore (*deiwós-deva-deus)?
changement de i/u à j/v dans quelques langues
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changement de i/u à j/v dans quelques langues
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Paulo Marcos -- & -- Claudio Marcos
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- Sisyphe
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Tout d'abord, je tiens à rappeler que les lettres "j" et "v" n'ont été véritablement distinguées du "i" et du "v" qu'à partir du 16 siècle, sur le conseil de Pierre de la Ramée, dit en latin Petrus Ramus, un grand esprit de la Renaissance assassiné dans la foulée du massacre de la Saint-Barthélémy : protestant, intelligent et ennemi de la veille Université réactionaire, trois "bonnes" raisons de se faire tuer

C'est pourquoi on les nomme "lettres ramiques", même s'il ne les a pas à proprement inventées, tout du moins pas leurs dessins qu'on trouve déjà dans les manuscrits.
Auparavant (et même après lui), il avait fallu trouver d'autres moyens de distinguer le son [v] du son ; par exemple en écrivant "huile" (qui vient pourtant de oleum) pour le distinguer de "vil".
Quant à la lettre "W", elle a précisément été inventée à un moment où d'une part la lettre V (en minuscule : u) se prononçait déjà [v], et où d'autre part il a fallu noter en latin des noms qui avaient le son [w] ; en l'occurence : des noms germaniques, lors des "invasions barbares" (ainsi le nom latin du dieu Wotan dans Frédégaire : Wodanus).
... Ce qui nous donne un indice chronologique : au 6e siècle, on est sûr que V simple se prononçait déjà [v].
Ce passage purement "typographique" explique déjà une partie des problèmes. S'agissant de Josué, par exemple. Le nom biblique יהושע ( yehôšua`) a été transcrit IOSVE en latin "non-ramique" ; mais au Moyen Âge, mêmes les clercs les plus cultivés n'avaient aucune conscience du fait que les sons changeaient dans le temps et qu'il y avait une différence entre écriture et prononciation : ils ont donc prononcé exactement ce qu'il voyait en appliquant les règles de leur langue ; donc en français, "Iosue" a été prononcé [žozwé], et écrit "Josué" à partir du 16e siècle. C'est encore la forme habituelle.
Dans le cas de l'anglais, il me semble que la forme "Joshua" est une forme demi-savante (à côté de Josua qui existe aussi) : les rédacteurs de la Bible du roi Jacques connaissaient l'hébreux et ont fait des efforts pour revenir à des noms propres bibliques plus authentiques. Mais ils ont transcrit le yod hébreux par le "I", pas encore bien distingué du "J". Les fidèles, eux, ont lu ce qu'il voyaient...
... De même que tous les Français disent [sao polo] lorsqu'ils voient "São Paulo", ou sont persuadés qu'il faut prononcer [migwel] le nom Miguel

*
Le passage du son [w] au son [v], donc, se constate effectivement dans énormément de langues, entre autres :
- Du vieux-haut-allemand à l'allemand moderne : la lettre W a précisément été inventée pour transcrire le son [w], ce qui est encore le cas en gotique et en vieux-haut-allemand. Mais à partir du moyen-haut-allemand (en gros : douzième siècle), on sait qu'elle vaut bien [v] ; le nom de la ville de Venise (Venice en italien [venitše] a été transcrit "Wenedig" dès cette époque).
Mais on notera que le néerlandais attribue (je crois : Elie précisera) à cette lettre un son relativementi intermédiaire entre [v] et [w].
- Du latin au langues romanes. Comme je l'ai dit, on est sûr que c'est déjà le cas au 6e siècle. Et même, puisque toutes les langues romanes ont [v], on est sûr que c'est le cas dès avant la fragmentation de l'aire latine. En fait, on date cette transformation du premier siècle après Jésus-Christ (mais il a dû exister des différences de prononciation suivant les lieux, les classes sociales, etc. ; le premier siècle est la limite basse).
- > [ž] ou [dž] est moins courant, mais on le rencontre aussi. Il me semble qu'en latin, le processus (dit de "palatalisation") commence au 2e/3e siècle ; mais il n'aboutit pas au même point dans toutes les langues (preuve que le processus s'étend partiellement sur la période post-romaine) . Ainsi le prénom latin d'origine araméenne "IOHANVS" :
-> En italien et en ancien français, il aboutit à [dž] : Gianno, Jehan
-> En français moderne et en portugais, le [d] disparaît : Jean, João
-> En castillan, il se produit une seconde évolution qui l'amène à [x] : Juan.
- Quant au sanscrit, Louis Renou précise dans sa grammaire que pour lettre व, la prononciation est [v] mais "optionnellement, après consonne, [w]". En fait, il faut rappeler deux choses :
1. Le sanscrit ne s'écrit avec l'alphabet nagari de façon systématique que depuis le 19e siècle.
2. Nous ne sommes renseignés sur la prononciation du sanscrit "originel" (s'il a jamais existé...) que par le témoignage des grammairiens (à une époque où il commençait à être vraiment une langue artificielle !), et par le témoignage des langues indo-aryennes modernes.
Bref, comme pour toutes les langues mortes, la prononciation du sanscrit est sommes toutes conventionnelle.

D'ailleurs, je crois qu'en hindi, le व se prononce bien [w].
*
D'un point de vue phonétique, le passage de [w] à [v] est assez simples :
1. On rapproche peu trop les deux lèvres, et [w] (semi-voyelle bilabiale) devient [β] (spirante bilabiale), comme dans l'espagnol "saber".
2. [β] est très proche de [v] (spirante labio-dentale). D'ailleurs les Français ont beaucoup de mal à faire ce son et disent [v].
Le passage de [j] à "autre chose" est plus complexe, mais le point de départ est le même :
1. On serre un peu trop la bouche, et accidentellement, on fait entendre un petit [d] avant le [j] : [(d)ja] (
2. [dj] se palatalise ("se mouille") et donne [dj']
3. [dj'] est très proche de [dž'] palatal.
A partir de là, il peut y avoir dépalatalisation, puis éventuellement (comme en français et portugais) perte du premier son : [dž'] > [dž] > [ž].
Donc, pour revenir au sanscrit, il est problable que le son de व était en fait un intermédiaire entre [w] et [v]. Peut-être bien [β]. Les langues indo-aryenne modernes sont revenues en arrière.

Last edited by Sisyphe on 16 Feb 2007 01:55, edited 2 times in total.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
saluts,
merci pour la réponse! c'est très intéressant le sujet de phonétique. c'est intéressant comme la langue change à travers temps basé sur les confusions et les prononciations erronées.
réellement, il n'ya pas certitude au sujet de la pronunciation du sanscrit classique (s'il y avait une...) ou védique. peut-être la "v" a été prononcée "w".
nous prononçons le visarga comme [aspiration + voyelle antérieure raccourcie] (devaH = [DÉ-vaha]). c'est faux aussi, mais c'est "conventionnel"...
merci pour la réponse! c'est très intéressant le sujet de phonétique. c'est intéressant comme la langue change à travers temps basé sur les confusions et les prononciations erronées.
réellement, il n'ya pas certitude au sujet de la pronunciation du sanscrit classique (s'il y avait une...) ou védique. peut-être la "v" a été prononcée "w".
nous prononçons le visarga comme [aspiration + voyelle antérieure raccourcie] (devaH = [DÉ-vaha]). c'est faux aussi, mais c'est "conventionnel"...
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Paulo Marcos -- & -- Claudio Marcos
Brasil/Brazil/Brésil
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