Doit-on éventuellement introduire le vouvoiement dans la traduction du latin, ou est-ce considéré comme un anachronisme ?
J'aimerais bien l'avis des profs.
Merci.
Version latine, tutoiement / vouvoiement
Moderators: kokoyaya, Beaumont, Sisyphe
Je ne suis pas prof (du moins, pas de latin !) mais je crois pouvoir vous répondre : le "vous" de politesse n'existe pas en latin (en grec ancien non plus) !
Lorsqu'il s'agit d'une traduction d'un texte ancien, il me semble bien que ce serait considéré comme un anachronisme. Et donc il serait plus judicieux de s'en tenir au tutoiement : ce que font traditionnellement tous les traducteurs de textes anciens.
Mais vous avez raison : attendons l'avis des profs, les vrais, estampillés E.N. et abonnés à la CAMIF !
Lorsqu'il s'agit d'une traduction d'un texte ancien, il me semble bien que ce serait considéré comme un anachronisme. Et donc il serait plus judicieux de s'en tenir au tutoiement : ce que font traditionnellement tous les traducteurs de textes anciens.
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- Sisyphe
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Anne345 wrote:Personne pour me confirmer la réponse de LSF ? Vous êtes pourtant rentrés de vacances...

Le vouvoiement dans les versions latines a disparu au 19e siècle, et même assez tôt dans le 19e siècle. Je crois que Françoise Waquet en parlait dans son excellent ouvrage Le latin ou l'empire d'un signe (que je continue de conseiller), mais je ne retrouve plus la page.
Emile Littré (dont il ne faut pas oublier qu'il fut aussi un traducteur, plutôt du grec) écrivait déjà dans son dictionnaire à l'article "tu"
Je m'amuse parfois à noter de quelle façon les traducteurs "traduisent" le "you" anglais unique dans les feuilletons télévisés.9. La seconde personne a deux pronoms pour le singulier, tu et vous. Tu s'emploie dans la familiarité entre camarades, amis, parents, mari et femme, etc. Il s'emploie aussi en parlant à des enfants et quelquefois à des personnes fort inférieures. Quelquefois au contraire il fait partie du style oratoire et poétique, et c'est de lui qu'on se sert pour s'adresser aux personnages qu'on respecte le plus, aux monarques, à Dieu même. Ce tutoiement respectueux est un retour à l'antique manière de parler, où l'on ne disait pas vous à une seule personne ; et c'est cet archaïsme qui lui donne sa majesté. Dans les traductions des auteurs anciens, il est d'usage aujourd'hui d'employer le tu ; dans les traductions du XVIIe siècle, on employait la distinction moderne entre tu et vous.

... J'ai remarqué aussi qu'ils faisaient passer du "vous" ou "tu" à partir du moment ou le héros (-ïne) A avait couché avec le héros (-ïne) B. C'est une limite assez rationnelle, mais dans la "vraie" vie ça peut être plus complexe (et puis quand : a. les héros C, D, E ne sont pas censés savoir que A et B ont couché et/ou que b. TF1 ou M6 diffusent les épisodes dans le désordes, on ne s'y retrouve plus).
Bref : introduire du tu/vous, c'est introduire une difficulté de traduction supplémentaire, et par ailleurs plus qu'archaïque, effectivement...
... Ce n'est pas seulement un archaïsme par rapport à la "norme" de la traduction moderne, c'est surtout à mes yeux un anachronisme par rapport au texte latin : c'est introduire une démarcation sociale qui n'existe pas dans l'Antiquité ; car non seulement il n'y a pas de "tu/vous", mais surtout il n'y a pas d'autres indices linguistique de déférence dans la la langue latine : pas de "monsieur/mister/sir", pour reprendre mon exemple.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
Pourtant c'est artificiel, c'est du "français de traduction latine": en vrai français le vous existe et on ne tutoie pas des souverains ou des généraux d'armée, ou même des inconnus.
Ce n'est pas propre au latin, si on traduit de l'anglais par exemple où il n'y a que "you", on ne va pas dans la traduction donner l'image d'une société où tout le monde se tutoie, sous prétexte que la limite entre tu et vous serait difficile à établir, difficile à maintenir de façon cohérente sans créer des absurdités, introduirait une démarcation sociale absente dans un pays anglophone, etc.
-- Olivier
Ce n'est pas propre au latin, si on traduit de l'anglais par exemple où il n'y a que "you", on ne va pas dans la traduction donner l'image d'une société où tout le monde se tutoie, sous prétexte que la limite entre tu et vous serait difficile à établir, difficile à maintenir de façon cohérente sans créer des absurdités, introduirait une démarcation sociale absente dans un pays anglophone, etc.

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Par ailleurs, je rappelle que le vouvoiement a existé aussi en latin, du moins en latin tardif. J'avais lu quelque part que ça apparaissait avec la Tétrarchie, donc vers 300 (on avait pris l'habitude de s'adresser à l'un des quatre empereurs comme si l'on parlait aux autre en même temps). L'origine précise du phénomène est discutée, mais j'en ai incontestablement des occurrences à partir de cette période. Par la suite, un auteur avait donc le choix entre "tu" et "vous", quitte à pratiquer les deux dans une même lettre, ce qui arrivait souvent, mais avec discernement en fonction de ce qu'il voulait dire. Pour ces textes tardifs, il faut donc impérativement respecter la distinction dans la traduction, et c'est l'usage retenu par les traducteurs d'un Sidoine Apollinaire, d'un Grégoire de Tours (enfin les bons traducteurs), etc.
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- Sisyphe
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Il y a cependant une différence : c'est que dans la traduction des séries télévisées, et d'une façon générale dans la traduction d'un texte anglais contemporain, on "traduit" d'une société vers une autre société quand même globalement semblable pour ce qui est de ses classes et groupes sociaux.Olivier wrote:Pourtant c'est artificiel, c'est du "français de traduction latine": en vrai français le vous existe et on ne tutoie pas des souverains ou des généraux d'armée, ou même des inconnus.
Ce n'est pas propre au latin, si on traduit de l'anglais par exemple où il n'y a que "you", on ne va pas dans la traduction donner l'image d'une société où tout le monde se tutoie, sous prétexte que la limite entre tu et vous serait difficile à établir, difficile à maintenir de façon cohérente sans créer des absurdités, introduirait une démarcation sociale absente dans un pays anglophone, etc.
-- Olivier
Le traducteur de la bande-son peut légitimement se poser la question : "comment un enfant s'adresserait-il en France à un adulte ? Comment un policier s'adresserait-il à un inconnu ? À un suspect en cours d'interrogatoire ? Un prévenu à un juge ? Un juge à un prévenu ? Deux collègues de travail de rangs égaux dans la police ? dans un hôpital ? Etc."
Donc, oui, il faut "inventer" un fait linguistique qui n'a pas d'équivalent strict dans la langue-source, mais on n'invente pas le rapport social.
Cette transposition n'est tout simplement pas possible avec la société romaine. Comment, en français contemporain, s'adresse-t-on à un esclave ? À son maître quand on est esclave ? Au dieu d'un panthéon polythéiste ? À un membre de l'ordre sénatorial ? De l'ordre equestre ? Etc. Car pour le dire vite (pardon pour la facilité, Tom), Rome est une société d'ordre (noblesse/roture) et de rang (esclave/affranchi/libre) avant d'être une société de classes.
Donc, pas d'équivalent conceptuel dans la langue-cible. Passer au vous/tu serait inventer à la fois un fait linguistique et un fait conceptuel.
*
J'en ai fait l'expérience avec mes élèves, s'agissant du "sujet d'invention" du baccalauréat : soit un sujet qui consiste à écrire une lettre fictive entre Voltaire et Mme du Deffand, dont vous leur avez précisé qu'elle fut son amie et son amante. À la question "quel pronom faudra-t-il utiliser", ils vous répondront immédiatment "tu", comme une évidence. Or non. Dans l'intimité, peut-être (et encore), mais pas dans leur correspondance. Au XVIIIe siècle, deux individus issus de la noblesse ou de la bourgeoisie "semi-noble" (re-pardon, Tom, pour l'approximation) de salon ne se tutoient pas. Question de civilisation.
Dans les traductions du XVIIe, Enée voussoie Didon ou Ascagne. On est dans un genre "noble", et les héros sont vus alors à travers le prisme social de la société du XVIIe. C'est déjà de la belle infidèle, et le reste de la traduction est généralement de la même eau.
Etrange langue qui tutoie Dieu ("hollowed be thy name") et voussoie son ennemi ("f*** you !").Sauf que le you anglais, c'est le vouvoiement généralisé... que les locuteurs ne ressentent plus du tout comme tel. Alors il vaut mieux ne pas trop se poser de question sur l'anglais, c'est antigrammatical.
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