Bonjour les amis,
je suis à la recherche de comparaisons commentées entre les déclinaisons latines et celles du PIE.
Auriez-vous ça en stock ou en lien internet à me proposer ?
questions complémentaires :
- qu'est-ce qui permet de qualifier l'ablatif latin d'ablatif qui aurait récupéré les fonctions dévolues à l'instrumental, et non pas d'instrumental (qui en plus aurait valeur d'ablatif) ?
- trouve-t-on des traces archaïque de l'instrumental en latin ?
a plus
Patrice
[LATIN] [Proto-Indo Européen] [Déclinaisons]
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Re: [LATIN] [Proto-Indo Européen] [Déclinaisons]
PSAJ wrote:Bonjour les amis,
je suis à la recherche de comparaisons commentées entre les déclinaisons latines et celles du PIE.

Si tu veux de la référence papier :Auriez-vous ça en stock ou en lien internet à me proposer ?
Gerhard Meiser, Historische Laut- und Formenlehre der Lateinischen Sprache, Darmstadt : XBG, 2006² (c'est en teuton mais c'est lisible)
Robert S.P. Beekes, Comparative indo-european linguistics, Amsterdam/Philadelphie : John Benjamins Publishing, 1995.
Andrew L. Sihler, New comparative grammar of greek and latin, Oxford University Press, 1995.
Y'a aussi un bouquin de Baldi, qui dit exactement la même chose vu qu'ils se recopient mutuellement.
Sinon, en français, le bon vieux P. Monteil, Eléments de phonétique et de morphologie du latin, Nathan U, 1986 (en fait, ça date des années soixantes). Scientifiquement très vieilli, ce qui n'est pas bien grave pour 70% de la doctrine, mais si c'est à caser dans une thèse on peut te le reprocher. Dans les faits, tous les étudiants de lettres classiques l'utilisent pour les cours de linguistique et il se trouve "très facilement" (i.e. dans les librairies universitaires et les BU).
Sur internet : mon site perso, quand je l'aurai fait

Je ne retouve rien dans mes favoris, mais je n'ai pas souvenir d'avoir jamais trouvé un vrai cours valable de phonétique indo-européenne à perspective latine sur internet.
Cela dépend en fait sur quel plan on se place. Sur le plan formel, les ablatifs latins sont en effet la continuations de deux cas :questions complémentaires :
- qu'est-ce qui permet de qualifier l'ablatif latin d'ablatif qui aurait récupéré les fonctions dévolues à l'instrumental, et non pas d'instrumental (qui en plus aurait valeur d'ablatif) ?
- Des instrumentaux indo-européens, caractérisés par l'adjonction d'un *-e
D1 : ā < H2-e (alors que l'ablatif proprement dit est caractérisé par un -s, qu'on trouve dans les langues italiques).
D3 thématique : -e qui n'a pas bougé
D3 en -i : -e emprunté à la précédente, concurrençant -ī
Plus les finales des adverbes bâtis sur la déclinaison thématique : bebe, recte, optime
- De l'ablatif proprement dit indo-européen, à partir de la flexion thématique. En effet, à date archaïque, on trouve des formes en -ōd (dominod) < -od (l'allongement est purement analogique) < i.e. o-d (cf. sanscrit "-at").
Cette désinence a eu une grand fortune analogique à date archaïque pour toutes les déclinaisons : on trouve des formes en -âd, -ûd, et même -ed et -îd. Les ablatifs des thèmes en -i ("omni", forme obligatoire dans certains syntagmes et au neutre : mari) et des thèmes en u (manu) en dérivent directement.
Les ablatifs de la deuxième déclinaison (en -ō) peuvent aussi bien venir de la première que de la seconde formation.
La thèse a été soutenue par un certain Louis Prat, qui estimait qu'à date très archaïque (dans la langue de Plaute), on faisait ou pouvait encore faire la différence entre les trois cas pour la déclinaison thématique (la deuxième) mais pas pour les autres. Pour celles-ci, il voyait :- trouve-t-on des traces archaïque de l'instrumental en latin ?
- Locatif en -ī (OK : domi, ruri, Rhodi...)
- instrumental : ō
- ablatif : ō ou ōd
Et de s'échiner à essayer de reconstituer le vrai texte de Plaute, dans la mesure où la tradition manuscrite a depuis longtemps (dès l'Antiquité) "nivelé" toutes les graphies en -o, sauf dans les cas où il était phonétiquement impossible de mettre autre chose que -od (de la même manière que nous modernisons l'orthographe de Racine dans nos éditions, sauf quand le respect de la métrique oblige à écrire "vous me justifîrez" ou "je le croi").
Mais sa thèse a été attaquée au napalm, il faut dire qu'une règle :
- Qui ne vaudrait que pour une déclinaison (certes : le locatif n'existe que pour les trois premières : Romae, domi, ruri... Mais ce sont plus des adverbes qu'un vrai cas, et de toute façon la répartition des mots entre les trois premières et les deux suivantes est très déséquilibrée, alors que la répartition entre les trois premières est équilibrée).
- Qui serait déjà optionnelle dans la langue de Plaute
- Qui n'apparairait plus à la graphie, sauf à la reconstituer
Tourne à au paralogisme : si je trouve un cas positif, c'est une preuve, mais si je trouve un contre-exemple, ce n'est pas une preuve puisque la règle peut ne pas exister ou ne pas se manifester.
Il faut prendre en compte aussi les données italiques, mais a) je suis nul en langues italiques et b) je crois que c'est aussi le bordel (laisse-moi un peu de temps).
*
Quelques remarques pour finir :
- Il faut toujours distinguer syncrétisme formel et syncrétisme fonctionnel, même si leurs rapports sont dialectiques. Sauf qu'en l'occurence, il est assez difficile de savoir si le syncrétisme est d'abord formel (deux cas qui par hasard en viennent à se ressembler phonétiquement, entraînant leur confusion) ou d'abord fonctionnel.
- C'est le hasard de la tradition qui fait que l'on parle "d'ablatif" pour le cas de "rosa /domino / consule / etc.". En fait, comme c'est un cas qui n'a pas d'équivalent en grec, les grammairiens latins ont été vachement emmerdés pour l'identifier (syndrome du "le prof il a dit que" : les Latins sont incapables de penser intelligemment sans les Grecs). Conclusion : ils ont beaucoup merdé, d'autant qu'ils n'ont jamais su faire la différence entre le fond et la forme, entre signifiant et signifié. Ce qui les a amené à voir deux, trois, cas, voire cinq cas dans notre seul "ablatif".
Finalement, ils les ont tous rangés sous le nom "ablativus casus", en reprenant une appellation (aph-airetikos) que les grammairiens grecs utilisaient pour désigner les "adverbes de provenance". Les plus sages l'appelaient "latinus casus", ce qui n'est pas con.
Mais ce faisant, ils ont catégorisé l'ablatif par un seul de ses emplois (les complément d'origine), d'ailleurs minoritaire en syntaxe (à la louche : 20% des cas).
C'est ensuite que l'on a donné, au XIXe siècle, le nom d'ablatif au cas indo-européen marquant proprement l'origine, dont les ablatifs latins ou russes ou autres ne dérivent pas forcément !
- J'ai fait une colle d'agrégation sur l'ablatif, si tu m'envoies par MP une adresse électronique, elle est a toi;
- Toute cette question m'excite et ce n'est pas un anglicisme, pourrais-je savoir dans quel cadre du t'intéresse à l'études diachronique des cas latins ?

PS : Il est tard, il faut très froid, je dois encore décongeler ma baignoire et je suis rouillé par trois ans d'enseignement secondaire, j'espère n'avoir pas écrit de connerie. Mais je m'en fous, j'ai déjà le concours !

La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
Re: [LATIN] [Proto-Indo Européen] [Déclinaisons]
Merci beaucoup, Sisyphe, de tes précisions sur le syncrétisme ablatif / instrumental.
Et de façon plus concrète, il se trouve que je viens de re-, re-, relire un chapitre consacré au Protoslave (The Slavonic Languages, Bernard Comrie & Greville G. Corbett). Mon obstination à relire ce pavé a réussi à vaincre mon absence totale de formation en linguistique/phonologie, et je commence à enfin à comprendre ce qui est écrit (il n'est jamais trop tard pour bien faire). Il me semble maintenant intéressant de voir comment le latin a évolué sur ce même sujet. Quant aux langues italiques, les quelques bribes trouvées sur le net à leur sujet m'ont toujours été d'un régal absolu !
Patrice
Brian devant le mur du Palais : Romanes Eunt Domus http://www.imdb.com/title/tt0079470/quotes
Pour répondre à ta question, c'est tout simplement par amour des langues et de leur étude.Sisyphe wrote:- Toute cette question m'excite et ce n'est pas un anglicisme, pourrais-je savoir dans quel cadre du t'intéresse à l'études diachronique des cas latins ?![]()
Et de façon plus concrète, il se trouve que je viens de re-, re-, relire un chapitre consacré au Protoslave (The Slavonic Languages, Bernard Comrie & Greville G. Corbett). Mon obstination à relire ce pavé a réussi à vaincre mon absence totale de formation en linguistique/phonologie, et je commence à enfin à comprendre ce qui est écrit (il n'est jamais trop tard pour bien faire). Il me semble maintenant intéressant de voir comment le latin a évolué sur ce même sujet. Quant aux langues italiques, les quelques bribes trouvées sur le net à leur sujet m'ont toujours été d'un régal absolu !
Patrice
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Re: [LATIN] [Proto-Indo Européen] [Déclinaisons]
Nous ne savons pas si ce répond à votre question, mais c'est une comparaison intéressante juste pour donner une idée: en latin (3ème déclinaison) il y a la terminaison "-ibus" pour le datif et ablatif pluriel; rex (roi) --> regibus. En sanscrit, il y a la terminaison -bhis pour instrumental et -bhyas pour datif et ablatif, tout au pluriel; donc: rājan (roi) --> rājabhis / rājabhyas. Les terminaisons -ibus (datif/ablatif pluriel latin)/-bhis (instrumental pluriel sanscrit) sont très semblables.PSAJ wrote:- trouve-t-on des traces archaïque de l'instrumental en latin ?
Merci de corriger notre français si nécessaire.
Paulo Marcos -- & -- Claudio Marcos
Brasil/Brazil/Brésil
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- Sisyphe
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Re: [LATIN] [Proto-Indo Européen] [Déclinaisons]
Oui, bien sûr : j'avais oublié de parler du pluriel. Les formes latines en -is (dominis, rosis par analogie) sont strictement superposables aux formes sanscrites en -ais (balais), de mêmes que les formes en -bus (consulibus, civibus, manibus et arcubus, rebus et même deabus) sont presque strictement superposables aux formes sanscrites en -bhis (agnibhis), si du moins l'on fait exception de quelques difficultés phonétiques secondaires.
Donc, l'ablatif latin pluriel provient exclusivement de l'instrumental indo-européen.
*
En fait c'est un peu plus compliqué : même au stade indo-européen théorique, on constate que les terminaisons d'ablatif se confondent toujours :
- avec le génitif au singulier (sauf pour la déclinaison thématique)
- avec l'instrumental au pluriel
C'est un des arguments majeurs pour remettre en cause "l'indo-européen à huit cas" ; peut-être que dans un stade antérieur de la langue, les choses étaient plus compliquées (l'autre argument étant le hittite, dont le fonctionnement casuel est très différent).
Pauvre ablatif, tout de même :
- Sans doute apparu récemment en indo-européen
- Toujours le premier à disparaître (en grec, en germanique, en slave... À moins qu'il n'ait jamais existé ?) dans la langues archaïque.
- Le premier à disparaître (avec son copain le datif) en bas-latin
- Mal reconnu par les grammairiens antiques
- Et détesté par les latinistes, à cause des petites difficultés syntaxiques qu'il entraîne, comme l'ablatif absolu, l'ablatif absolu sans verbe, l'ablatif complément de verbe (adventu gaudeo), ses jeux de vilain avec l'accusatif (circumvallere murum urbi / muro urbem), ses sens rares (Caesar advenit copiis suis, puer egregia indole), et la lourdeur presque inévitable de ses traductions...

Donc, l'ablatif latin pluriel provient exclusivement de l'instrumental indo-européen.
*
En fait c'est un peu plus compliqué : même au stade indo-européen théorique, on constate que les terminaisons d'ablatif se confondent toujours :
- avec le génitif au singulier (sauf pour la déclinaison thématique)
- avec l'instrumental au pluriel
C'est un des arguments majeurs pour remettre en cause "l'indo-européen à huit cas" ; peut-être que dans un stade antérieur de la langue, les choses étaient plus compliquées (l'autre argument étant le hittite, dont le fonctionnement casuel est très différent).
Pauvre ablatif, tout de même :
- Sans doute apparu récemment en indo-européen
- Toujours le premier à disparaître (en grec, en germanique, en slave... À moins qu'il n'ait jamais existé ?) dans la langues archaïque.
- Le premier à disparaître (avec son copain le datif) en bas-latin
- Mal reconnu par les grammairiens antiques
- Et détesté par les latinistes, à cause des petites difficultés syntaxiques qu'il entraîne, comme l'ablatif absolu, l'ablatif absolu sans verbe, l'ablatif complément de verbe (adventu gaudeo), ses jeux de vilain avec l'accusatif (circumvallere murum urbi / muro urbem), ses sens rares (Caesar advenit copiis suis, puer egregia indole), et la lourdeur presque inévitable de ses traductions...

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