Maïwenn wrote:J'ai fait une erreur de débutante cette semaine : j'ai demandé à mes élèves ce qu'ils ont fait pendant les vacances. Comme d'habitude le résultat est affligeant : ordi toute la journée, et pour changer un peu, sorties au supermarché. Il y en a même une qui m'a dit qu'elle n'avait strictement rien fait et que donc elle ne pouvait pas écrire de phrase. Déprimant...
Assumant de mieux en mieux ma schizophrénie, ma réaction dépendra de la part de moi-même à laquelle tu t'adresses :
- Le jeune chercheur enfermé dans sa tour d'ivoire, maigrement conscient de l'existence du monde en-dehors de la bibliothèque, du métro pour aller à la bibliothèque, de la boulangerie pour acheter le sandwich devant la bibliothèque, et du Miniprix pour acheter son plat-micro-onde dégueu pour travailler le soir au-milieu de sa propre bibliothèque :

oh mon Dieu, ça alors, comme c'est étonnant... Mais alors, ça existe vraiment les mauvais élèves ? Tu sais qu'il paraît qu'il y en a même qui ne savent toujours pas résoudre des équations du deuxième degré en seconde ?!
- Le vieux prof blasé qui se lâche derrière l'anonymat d'internet (;) sur un forum de profs que je connais, il y a un fil spécial : "dites des saloperies sur vos collègues") :

Ouarf ! L'erreur de bleubite ! Et elle vient pleurer ensuite la nulle...
- L'ancien prof débutant, qui se souvient de ses propres erreurs : une erreur classique, mais il est illusoire d'espérer ne pas faire ce genre d'erreur. La seule erreur inadmissible dans l'enseignement, c'est de culpabiliser...
Remarque, mêmes les gros nuls de l'IUFM avaient réussi à nous mettre en garde contre le vieux sujet de rédac "racontez vos vacances". D'abord, les vacances sont un temps non-scolaires, et c'est assez sacré dans la tête d'un élève, encore plus dans la tête d'un mauvais élève pour qui l'école est une anomalie et qui fait barrage pour refuser tout ce qui relève d'un savoir intellectuel en-dehors de l'enceinte de l'école (attitude qui, précisément, l'enfonce dans sa mauvaiseté). Ensuite, c'est dangereux d'un point de vue social : entre le gosse de riche qui revient de Saint-Barth' et qui aura des histoires de requins-marteaux à raconter, et le gosse de pauvre qui a tourné en rond pendant deux mois... Le pire étant finalement le gosse de la classe moyenne appauvrie (ça tu dois en avoir) qui n'a "pas les moyens de partir cette année" et en veut à la terre entière. Enfin, pédagogiquement, tu mets en difficulté ceux qui n'ont effectivement rien à dire, le sujet contient son propre "double bind" : "parlez de ce dont vous ne pouvez pas parler". Et au risque d'être ethnique, les Asiatiques supportent encore plus mal la contrainte contradictoire que les autres : incapable de désobéir et incapable d'inventer à la place, contrairement à...
Andergassen, qui wrote:C'est marrant, ça, parce que moi, je suis plutôt du genre à pondre toute une tartine pour expliquer pourquoi je n'ai rien fait.
Toi, tu es multilingue et tu sais que la langue n'est pas faite que pour des besoins techniques, mais qu'elle est source de création et de récréation. Toi, tu sais écrire sans problème ni faute d'orthographe et malice. Toi, je ne sais pas ce que tu fais dans la vie mais je devine des diplômes derrière. Bref : toi, tu n'es pas eux.
C'est la schizophrénie fondamentale du prof : on n'est pas eux, on ne l'a jamais été. Le médecin est parfois malade, le prof n'a jamais été un mauvais élève (un
vrai mauvais élève). Il faut apprendre leur propre regard...
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)