τρέχω/trek : origine commune ?

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yuio
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τρέχω/trek : origine commune ?

Post by yuio »

Bonjour à tous,

je me demandais s'il y avait une étymologie commune au verbe grec τρέχω (courir) et au nom trek (qui désigne une randonnée).
Pour τρέχω d'une part, le Bailly n'indique pas grand-chose, mise à part une référence (et encore, signalée comme incertaine !) à l'arménien durgn qui signifie "tour". Pour le trek d'autre part, n'ayant de dictionnaire étymologique que pour le français, j'ai effectué une courte recherche à partir du wiktionary anglophone : si je comprends bien, le mot vient du néerlandais trekken (signifiant tirer), lui-même remontant au proto-germanique *trakjanan (tirer, traîner...), dérivé d'une racine indo-européenne *dreg- (gratter, traîner ?)
Bref, j'ai l'impression que l'on s'éloigne de plus en plus de la marche et de la course ! Cette forte ressemblance n'est-elle donc qu'une coïncidence (comme mon hypothèse d'une parenté danke/δέχομαι pour ceux qui s'en souviennent) ou peut-on recoller les morceaux d'une quelconque façon ?

Merci d'avance !
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Sisyphe
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Re: τρέχω/trek : origine commune ?

Post by Sisyphe »

yuio wrote:Bonjour à tous,

je me demandais s'il y avait une étymologie commune au verbe grec τρέχω (courir) et au nom trek (qui désigne une randonnée).
Pour τρέχω d'une part, le Bailly n'indique pas grand-chose, mise à part une référence (et encore, signalée comme incertaine !) à l'arménien durgn qui signifie "tour". Pour le trek d'autre part, n'ayant de dictionnaire étymologique que pour le français, j'ai effectué une courte recherche à partir du wiktionary anglophone : si je comprends bien, le mot vient du néerlandais trekken (signifiant tirer), lui-même remontant au proto-germanique *trakjanan (tirer, traîner...), dérivé d'une racine indo-européenne *dreg- (gratter, traîner ?)
:D Alors, nous sommes en face des symptômes pathognomoniques d'une très dangeureuse linguistophilie subaiguë ; une infection endémiques des khâgne... Faites gaffe : c'est comme le paludisme, une fois attrapé, on n'en guérit jamais. Et ça peut avoir de très graves complications, du genre passer l'agrégation de grammaire... :par-ici:
Bref, j'ai l'impression que l'on s'éloigne de plus en plus de la marche et de la course ! Cette forte ressemblance n'est-elle donc qu'une coïncidence (comme mon hypothèse d'une parenté danke/δέχομαι pour ceux qui s'en souviennent) ou peut-on recoller les morceaux d'une quelconque façon ?

Merci d'avance !
En tout cas, ça n'est pas impossible phonétiquement, mais c'est assez compliqué.

Partons du grec : on a une première difficulté. Vous savez sans doute que, mieux que le latin, le grec a gardé des traces très nettes des jeux d'alternance au sein des racines indo-européennes, et notamment l'alternance "e (degré plein) = verbe" / "o" = nom correspondant (je simplifie bien sûr) : λέγω/λόγος, στέργω "aimer"/στοργῆ "amour", λείπω/λοιπός, στένω "geindre"/στόνος "gémissement", κείμαι "être couché", /κοίτη "la couche" (le -t- est un autre problème), etc. On pose donc τρέχω "courir" -> τροχός "la roue".

Vous me direz que, sémantiquement, ce n'est pas invraisemblable, puisque avec une roue, on va vite... Sauf que le durgn arménien que vous citez, c'est en fait le tour du potier, la roue avec laquelle on fabrique une poterie ; et il correspond exactement à τροχός, ou presque : τροχός < *dhorgh(-os) et durgn < *dhōrgh-(n/s), mais la longueur du o n'est pas un trop gros problème.

Du coup, on se demande si l'idée initiale n'est pas celle de "rond", auquel cas τρέχω aurait d'abord signifé "courir en rond" (cf. τράχηλος "le cou", qui est rond). Et c'est ce qui nous éloigne le plus du groupe germanique.

*

Car sur un plan phonétique, on peut effectivement poser une racine indo-européenne *dhreĝh-, qui rend compte aussi bien de τρέχω, de traho en latin (enfin, presque...) que du gros groupe germanique qui comporte aussi bien dragan en gotique, tragen en haut allemand moderne, draw en anglais, et, de façon un peu plus lointaine, trekken en néerlandais, et qu'on retrouve d'ailleurs en allemand moderne, sous la forme trecken. Tout ceci mérite quelque précisions :

1) Sur le t- initial, là, ça passe. D'habitude, je gronde :nono: dès que l'on essaie de me rapprocher un mot grec en τ- d'un mot germanique en t- (puisque les mutations consonantiques supposent *t > þ- (cad le son [θ]). Sauf que le [t] τρέχω vient d'une aspirée, comme nous le prouve l'arménien (entre autres), avec l'application de la fameuse "loi de Grassman" dite de dissimilation des aspirées, qu'on vous a même peut-être apprise en prépa, le jour où vous avez perdu vingt minute et dix points-fautes à chercher le nominatif de τριχός, qui est bien sûr θρίξ "le poil" : il ne peut pas y avoir deux aspirations dans un seul mot grec.
Donc, ça marche : *dh- > *d- dans tout le monde germanique (première mutation : gotique dragan, anglais draw), puis *d- > t- dans une partie seulemnent seulement (tragen, trecken), cf. Tochter/daughter.

2) Pour ce qui est de nl. trekken (et allemand trecken, qui est un emprunt au bas-allemand) par rapport à tragen, là, j'avoue que mes connaissances en diachronie proto-bas-germanique laissent un peu à désirer. Mon Etymologisches Wörterbuch des Deutschen me dit qu'il faut poser un proto-germanique *dereg-, double degré plein donc, par rapport au dRg- (r avec un petit rond), double degré zéro que suppose dragan, on va lui faire confiance.

*

Donc, on peut faire le rapprochement, et c'est même ce que fait le très sérieux, très germanique et très illisible Lexicon der Indogermanischen Verben. Le problème, vous avez raison, c'est le sens...

Si on part cette fois-ci du germanique, tragen, c'est tirer, ou porter ; et trecken en allemand, c'est d'abord "haler".

Cela dit, on passe facilement de l'idée de "tirer" un véhicule à l'idée de voyager : Tre(c)k(h) en germain du Nord, c'est le convoi (cf. le célèbre "grand Trekk" des colons afrikaner). Et trecken signifie dialectament "voyager". Et après tout, le français populaire "se tirer" relève de la même métaphore.

Mais comment faire coïncider ça avec le τρέχω/τροχός/durgn gréco-arménien, c'est ce que le le très sérieux, très germanique et très illisible Lexicon der Indogermanischen Verben ne nous dit pas.

L'autre problème, c'est accessoirement le latin traho, puisque normalement indo-eur. *dh- > latin f- (facio / τίθημι, femina / θῆλυς). Et accessoirement, le gotique þragjan, "to walk", qui lui irait pour le coup très bien sémantiquement. Mais qui ne peut pas remonter à *dh- au nom de nos chères mutations consonantiques...

Comme toujours dans ces cas-là, les indo-européanistes rivalisent d'explications du type "oui mais il y a un loi phonétique qui explique l'exception" (mais qui n'explique que celle-là) ou "c'est un emprunt proto-italo-celtico-germanique" (c'est fou ce qu'ils s'empruntaient, les néolithiques...). Ma conclusion à moi est que c'est le bordel.

*

Quant au proto-germanique *trakjanan que cite wiki... Je ne le retrouve nulle par ailleurs, pas plus que la racine *dreg- en question. Peut-être faut-il se méfier de wiki...
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
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