Franco-pinailleurs
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Pas glop
Maïwenn, ça y est. J'ai posé la question à ma prof au sujet de la majuscule dans homme. Elle m'a dit que ce n'était pas une faute grave, mais qu'il n'est pas nécessaire de la mettre. On l'utilise seulement dans un contexte spécifique, celui de la théologie. Et même en philosophie, on a tendence à écrire être avec un ê minuscule.
Voilà.
Je suis déçue, mais bon l'explication était bien claire.
Voilà.
Je suis déçue, mais bon l'explication était bien claire.
«Les mots ont rendu leur sens, paix à leurs lettres.»
Daniel Pennac
Daniel Pennac
Tu fais bien de préciser ce que tu appelles la norme (celle "des grammaires") parce que la norme du français c'est aussi, selon le point de vue considéré, ce qui est "normal" en français (une norme "vivante" et plus objective) et non ce qui est de l'ordre du normatif. Tu sais bien que l'écart entre cette norme et l'usage ne peut qu'exister puisqu'il faut du temps avant que le normal devienne normé, pour que l'usage soit enregistré (et les problèmes posés par la néologie, l'enregistrement des néologismes dans les dictionnaires en est un exemple, pour cela les Français sont beaucoup plus rapides que d'autres, nos dictionnaires sont remis à jour beaucoup plus souvent par exemple que les dictionnaires italiens..). Au delà de cela il y a bien sur une forte influence du purisme linguistique qui est particulière au français, l'époque d'or de ce purisme étant le XIXe siècle. Et notre Académie n'en est que le représentant par excellence.Sisyphe wrote:
a) Quel vous semble être l’écart entre la norme (le français « des grammaires ») et l’usage en français et pour comparaison dans vos autres langues. Estimez-vous qu’il est disons « normal » et qu’il n’entrave pas l’intercommunicabilité** (woh ! ça c’est du mot), ou pensez-vous (comme moi) que l’on aperçoit aujourd’hui comme les linéaments** d’une véritable scission** au sein de la langue française (selon les arguments ci-dessus exprimés)
Je ne pense pas que cela "entrave l’intercommunicabilité" en effet on communique tout à fait bien sans avoir besoin que nos mots ou constructions soient reconnus par les grammaires et dictionnaires, preuve en est des mots nouveaux par exemple que nous connaissons tous sans qu'ils soient pour autant inscrits au dictionnaire - je ne sais pas si "chat" ou "forum" dans leurs sens actuels sont déjà inscrits dans les dictionnaires, par ex...
L'italien a des "flous" grammaticaux par exemple que ne viennent enregistrer aucune norme assurée pour l'écrit et qui permet plus de liberté aux locuteurs. Je pense par exemple à l'accord avec le pronom "en": en français on ne peut écrire: (des poires) j'en ai voulues puisque en n'est pas considéré comme un complément d'objet direct (et pourtant il en assure la fonction, de étant un partitif non une préposition à part entière) alors qu'en italien on l'utilise et je n'ai pas encore réussi à trouver une règle stricte au niveau de l'accord du pronom...
Pile ou face?
pas de réponse à la précédente réponse... J'ai un petit problème à propos de l'orthographe de portemanteau:
Je l'aurais écrit sans l'ombre d'un doute: porte-manteaux
et voilà qu'en consultant le TLF non seulement je ne trouve que l'orthographe portemanteau mais en plus le commentaire:
"Prononc. et Orth.: []. Ac. 1694-1762: porte-manteau; dep. 1798: portemanteau, plur. des portemanteaux. Ex. de soudure des deux termes entraînant la régularisation du sing. et du plur. V. porte-. "
ça ferait donc belle lurette que ça ne s'écrirait plus en deux mots. Qu'en pensez-vous?
Je l'aurais écrit sans l'ombre d'un doute: porte-manteaux
et voilà qu'en consultant le TLF non seulement je ne trouve que l'orthographe portemanteau mais en plus le commentaire:
"Prononc. et Orth.: []. Ac. 1694-1762: porte-manteau; dep. 1798: portemanteau, plur. des portemanteaux. Ex. de soudure des deux termes entraînant la régularisation du sing. et du plur. V. porte-. "
ça ferait donc belle lurette que ça ne s'écrirait plus en deux mots. Qu'en pensez-vous?
Pile ou face?
J'aurais pensé à une fusion plus récente... le réchauffement de la planète ayant pour effet de remiser le manteau au vestiaire au profit du blouson léger et de la petite laine, il me semblait normal qu'on ne conservât point cette référence ostentatoire à un vêtement passé de mode, tout en gardant sa dénomination à l'objet censé le soutenir, vu que sa conformation lui permet une parfaite adaptation à toutes sortes d'oripeaux.
Mais finalement, 1798, c'est aussi l'année où la République s'apprête à jeter aux orties son manteau révolutionnaire pour revêtir une traîne impériale, beaucoup moins seyante pour un sans-culotte.
Quoiqu'il en soit, sur le plan de la stabilité et de l'encombrement, je préfère nettement la patère.

Mais finalement, 1798, c'est aussi l'année où la République s'apprête à jeter aux orties son manteau révolutionnaire pour revêtir une traîne impériale, beaucoup moins seyante pour un sans-culotte.
Quoiqu'il en soit, sur le plan de la stabilité et de l'encombrement, je préfère nettement la patère.

- Sisyphe
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Admirable analyse historico-socio-linguistique, Franck. J’adôôôre !
Oui, Oui, j’arrive ! Mais bon, je me suis fait un peu eng….ler par mon directeur d’étude, alors, bon : Arbeit
à propos de « portemanteau », c’est effectivement ce que me disent tous les dictionnaires ; voici d’ailleurs ce que dit mon papy caché et adultérin préféré : Mimil Littré :
1° Anciennement, officier qui portait le manteau du roi. La mère de cette Avangour était Fouquet, propre fille de ce cuisinier, auparavant marmiton, après portemanteau d'Henri IV, SAINT-SIMON 76, 235. M. de Sireuil est un digne portemanteau du roi ; mais il aurait mieux fait de garder les manteaux que de défigurer Pandore [opéra de Voltaire], VOLT. Lett. d'Argental, 15 oct. 1754.
Officier qui portait la queue du manteau de la reine. Je me trouvai à minuit au cloître Saint-Honoré, où Gabouri, portemanteau de la reine, me vint prendre et me mena par un escalier dérobé au petit oratoire où elle était seule enfermée, RETZ, Mém. t. II, liv. III, p. 130, dans POUGENS.
2° Bois attaché au mur pour suspendre les habits.
3° Sorte de valise de cuir ou d'étoffe.
Les hôteliers appellent portemanteau le voyageur qui n'a que peu de bagages et ne loue qu'une chambre pour peu de jours.
4° Terme de marine. Canot que l'on hisse à bord aux bossoirs de poupe.
Au plur. Des portemanteaux.
Remarquer que tous les exemples qu'il donnent sont attachés ; la date de 1798 doit sans doute entériner un usage plus qu'autre chose.
Le sens 1 s’accorde assez bien avec l’analyse politique de Franck.
Mais le même Mimil connaît, AVEC trait d’union, des portes- :
affiche, aigle, aiguille, aguillon, allume, allumettes, amarre, arquebuse, assiette, aune, baguette, baïonnette, balance, balle, bandeau, barres, battant, bec, bobèche, bonheur, bonnet, bossoir, bouchoir, bougie, bouquet, bourdon, bourse, bouteilles, broches, carabine, cartes, caustique, chaîne, chandelier, chapeau, charbon, cierge, cigare, clapet, clefs, col, collier, cordeau, coton, couteau, croix, crosse, cure-dent (est-ce bien nécessaire ?), dais, dieu (prêtre qui visite les malades), drapeau, écuelle, enseigne, épée, éperon, éponge, étendard, étriers, étrivières, fenêtre, fer, feu, flambeau, foret, fort, foudre, giberne, glaive...
et cinquante-huit autre, jusqu'à porte-vent, verge, vis et voix.
A l'inverse, sont attachés
portechape
portechoux
portecollet (mais porte-col)
portecrayon
portefaix
portefeuille
portemanteau
C'est là typiquement ce genre d’exceptions crétines qui n’ont aucune justification. D’autant qu’à part portemanteau et portefeuille, on n’utilise plus beaucoup les autres.
Sur ce point, la loi de 1992 – que personne n’applique mais passons – n’est pas logique : elle a augmenté le nombre de mots attachés : arcboutant, autostop, bassecontre, branlebas, fourretout, tirebouchon, vanupied, chauvesouris, sagefemme, etc. (tous soulignés de rouge par mon wordounet, c’est dire).
Le seul qui me paraisse justifié, c’est prudhomme (puisque le sens de preud/prud a totalement disparu, et que l’apostrophe au milieu d’un mot est étrange ; tant qu’on y est on pourrait écrire « aujourdhui ».
Mais pour le reste, c’est une erreur grave à mes yeux, qui augmente le nombre des exceptions et qui va encore compliquer les règles d’accords des noms composés (beaucoup plus logiques que ce que tout le monde croit) ; va-t-on écrire des sagesfemmes ?
UNE FOIS POUR TOUTE il faudrait dire que les termes composés sont liés d’un trait d’union, et basta !
PS : je reprendrai l’autre débat bientôt, mais là pas le temps.

pas de réponse à la précédente réponse...
Oui, Oui, j’arrive ! Mais bon, je me suis fait un peu eng….ler par mon directeur d’étude, alors, bon : Arbeit

à propos de « portemanteau », c’est effectivement ce que me disent tous les dictionnaires ; voici d’ailleurs ce que dit mon papy caché et adultérin préféré : Mimil Littré :
1° Anciennement, officier qui portait le manteau du roi. La mère de cette Avangour était Fouquet, propre fille de ce cuisinier, auparavant marmiton, après portemanteau d'Henri IV, SAINT-SIMON 76, 235. M. de Sireuil est un digne portemanteau du roi ; mais il aurait mieux fait de garder les manteaux que de défigurer Pandore [opéra de Voltaire], VOLT. Lett. d'Argental, 15 oct. 1754.
Officier qui portait la queue du manteau de la reine. Je me trouvai à minuit au cloître Saint-Honoré, où Gabouri, portemanteau de la reine, me vint prendre et me mena par un escalier dérobé au petit oratoire où elle était seule enfermée, RETZ, Mém. t. II, liv. III, p. 130, dans POUGENS.
2° Bois attaché au mur pour suspendre les habits.
3° Sorte de valise de cuir ou d'étoffe.
Les hôteliers appellent portemanteau le voyageur qui n'a que peu de bagages et ne loue qu'une chambre pour peu de jours.
4° Terme de marine. Canot que l'on hisse à bord aux bossoirs de poupe.
Au plur. Des portemanteaux.
Remarquer que tous les exemples qu'il donnent sont attachés ; la date de 1798 doit sans doute entériner un usage plus qu'autre chose.
Le sens 1 s’accorde assez bien avec l’analyse politique de Franck.
Mais le même Mimil connaît, AVEC trait d’union, des portes- :
affiche, aigle, aiguille, aguillon, allume, allumettes, amarre, arquebuse, assiette, aune, baguette, baïonnette, balance, balle, bandeau, barres, battant, bec, bobèche, bonheur, bonnet, bossoir, bouchoir, bougie, bouquet, bourdon, bourse, bouteilles, broches, carabine, cartes, caustique, chaîne, chandelier, chapeau, charbon, cierge, cigare, clapet, clefs, col, collier, cordeau, coton, couteau, croix, crosse, cure-dent (est-ce bien nécessaire ?), dais, dieu (prêtre qui visite les malades), drapeau, écuelle, enseigne, épée, éperon, éponge, étendard, étriers, étrivières, fenêtre, fer, feu, flambeau, foret, fort, foudre, giberne, glaive...
et cinquante-huit autre, jusqu'à porte-vent, verge, vis et voix.
A l'inverse, sont attachés
portechape
portechoux
portecollet (mais porte-col)
portecrayon
portefaix
portefeuille
portemanteau
C'est là typiquement ce genre d’exceptions crétines qui n’ont aucune justification. D’autant qu’à part portemanteau et portefeuille, on n’utilise plus beaucoup les autres.
Sur ce point, la loi de 1992 – que personne n’applique mais passons – n’est pas logique : elle a augmenté le nombre de mots attachés : arcboutant, autostop, bassecontre, branlebas, fourretout, tirebouchon, vanupied, chauvesouris, sagefemme, etc. (tous soulignés de rouge par mon wordounet, c’est dire).
Le seul qui me paraisse justifié, c’est prudhomme (puisque le sens de preud/prud a totalement disparu, et que l’apostrophe au milieu d’un mot est étrange ; tant qu’on y est on pourrait écrire « aujourdhui ».
Mais pour le reste, c’est une erreur grave à mes yeux, qui augmente le nombre des exceptions et qui va encore compliquer les règles d’accords des noms composés (beaucoup plus logiques que ce que tout le monde croit) ; va-t-on écrire des sagesfemmes ?
UNE FOIS POUR TOUTE il faudrait dire que les termes composés sont liés d’un trait d’union, et basta !
PS : je reprendrai l’autre débat bientôt, mais là pas le temps.
Merci Sisyphe, c'était un pur hasard, mais si le "porte-manteau" était auparavant la charge d'un brave grouillot, fût-il celui d'un roi, il n'est pas impensable que l'idéologie révolutionnaire ait cherché, par l'ablation du trait d'union, à le réduire à l'état d'objet. Gageons que le chaouch en question s'est vu, lui, élevé au rang de "citoyen conservateur vestimentaire" avec une charge en moins : celle de garder le chapeau... vu que les rois en avaient alors fort peu d'usage.


C'est exact, ça laisse rêveur... qu'est-ce que les internautes peuvent donc faire avec autant de porte-manteaux ?
Au milieu des listes de Sisyphe, j'aperçois "vanupied" : après l'avoir dépossédé de ses deux pauvres bâtons, qui auraient pu lui servir de béquilles, on l'oblige à se traîner à cloche-pied ?

Au milieu des listes de Sisyphe, j'aperçois "vanupied" : après l'avoir dépossédé de ses deux pauvres bâtons, qui auraient pu lui servir de béquilles, on l'oblige à se traîner à cloche-pied ?

Histoire de faire remonter les franco-pinailleurs, j'ai envie de citer Finkielkraut que je suis en train de lire et son texte "l'imparfait du présent", un petit chapitre sur la nouvelle politique du Robert, qui pourra relancer notre petite discussion sur les dictionnaires (peut-etre?!?!). Il critique le laxisme du Robert et l'introduction de certains mots "jeunes" et de citations qui devraient plaire aux "jeunes" puis parle pour le Robert : "le purisme n'est pas ma tasse de thé, car je ne connais pas d'autre bon usage que l'usage, pas d'autre valeur que le mouvement, pas d'autre loi que celle de l'hospitalité. Modèle, moi? Non: reflet. La société bouge, je me lache aussi. Mes pages sont à la page et quand j'en appelle à la littérature, ce n'est pas pour vous mortifier ou vous enchainer au verbe rance des classiques bien de chez nous, c'est, comme vous le voyez, pour donner le cachet de l'idéal à votre actualité métissée et rebelle [...] Pour bien montrer qu'il n'est pas bégueule et qu'il a quitté sans retour la patrie des gérontes au protocole compassé, Le Petit Robert inclut cranement dans son encart publicitaire le mot "niquer", avec cet aperçu d'un roman de Philippe Jeanada: "J'avais commencé à inviter les filles au restaurant dans l'espoir de les niquer." Cool."
Et en effet ça fait penser...
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A. « NIQUER » : À mon avis c’est un mauvais exemple : autant que je sache, "niquer" est relativement ancien, dérivant de l'arabe (dialectal maghrébin ?) nikh où il veut dire la même chose (dans le sens sexuel) - il a fait partie de l'argot des soldats français d'Algérie pratiquement dès la conquête (genre "le repos du guerrier"). Son arrivé de ce côté-ci de la Méditerranéenne est plus récent, mais ça ne change rien : les termes désignant… comment dire ?… La fornication (terme de vieille prude) sont nécessairement des termes appartenant à un code périphérique, soit périphrastique (« faire l’amour »), soit imagé soit populaire, et ne sont que rarement cantonné à un groupe sociologique. Justement parce ce qu’ils signifient représentent déjà une transgression. Niquer pas plus que foutre, baiser et les autres (un jour faudrait faire un « XLG » là-dessus) n’est un terme « jeune » ou « banlieue ». Ce qui a changé, ce n’est pas que les auteurs disent « niquer » (Sade utilisait « foutre » ou « enculer » dans des périodes oratoires pleines d’imparfait du subjonctif), mais qu’ils en parlent, autrement qu’allusivement !
À la rigueur, « niquer » me paraît même totalement désuet, et perdant beaucoup de son sens (comme foutre).
B. FINKIELKRAUT : il m'em...-bête (on va dire) souvent, surtout quand je suis d'accord avec lui. Je n'ai pas lu cet ouvrage-là, mais je pense que ce qu'il dit se situe assez dans la problématique (moi et mes grands mots...) dans notre discussion. Je m’explique :
a) Mon problème, à propos du "français des grammaires" etc., c'est que j'ai été toute ma vie (enfin, toute ma vie de linguiste, je ne discutais pas de linguistique avec mes nounours...) coincé entre les "puristes", comme dit F., je dirais plutôt les talibans de la règle, vocalisant sur le thème "les zéro-faute du certificat d'étude sous la IIIe République" (un mythe, au passage) et les adeptes d'une sorte de libéralisme linguistique (« laissez faire, laissez passer »), où tout ce qui se dit doit être admis sans la sanction castratrice (j'exagère à peine) de la norme et du Pouvoir Linguistique, et de me causer de la méchante-école-française-tueuse-du-breton (fait incontestable mais hors-sujet) et de Bourdieu-le-Père qui n’est jamais très loin. Finkielkraut a raison d’en appeler au juste milieu, je ne suis pas sûr qu’il s’y tienne toujours.
b) La norme (que ce soit celle des grammaires ou des dictionnaires) n’est ni gentille ni méchante. Elle EST. Nous avions discuté, par exemple, de la présence du "ne" en parlant d'élèves de banlieue que j'avais connus, et certes, l'ignorance de la norme par quelques-uns n'abolit pas la norme. Le problème - et c'est peut-être ce que dit Finkelkraut - c'est que cette ignorance n’est plus un fait marginal.
Un exemple : ma grand-mère, authentique prolétaire, parle le français populo-régional de son milieu social et géographique. Ca donne des phrasoïdes du genre « c’est pas des pareils que nous qu’on peut y dire quelque-chose là-contre ». Mais à l’écrit, ou quand les circonstances l’exigent (face une administration par exemple), elle est capable de suivre une « norme minimale ». Ce qui inclut l’usage du « ne », une concordance des temps, un minimum de subordination et une orthographe « propre ». Un exemple analogue, à propos du « ne » : une étude avait montré (il y a un certain temps) que très tôt, les enfants apprennent à séparer les différents « niveaux de langue », et que par exemple, quand ils jouent à la marchande ou au docteur (y joue-t-on encore ?), prenant généralement une voix fausse, ils utilisent ce « ne » qu’ils omettent habituellement.
Or autant que je puisse en juger, ça n’est plus le cas. Du moins le niveau social à partir duquel un élève est capable de faire cette distinction est de plus en plus élevé ; car tous « causent djeun », fût-ce pour ce donner cette petite touche d’exotisme dont parle F. ; mais tous ne sont pas capables d’en sortir ; et je crains en effet que la consécration offerte, non par le Robert (il se trompe : c’est précisément un dico de prof, pas d’élève), mais par tout le reste : télés en prime time, radios branchées et homme politique en quête de popularité, etc. ne semble légitimer ces emplois.
Or le français d’un entretien d’embauche, c’est celui des grammaires (à peu de choses près), pas un autre. En ce sens, F. se trompe : ce qui est grave, ce n’est pas que quelques snobs s’encanaillent à trouver « top mortel comment qu’on cause dans les cités », c’est que précisément plus personne (sauf quelques profs qui semblent par conséquent des extra-terrestres craignosses exigeant que l’on parle le chinois du XIIe siècle) ne vienne rappeler l’EXISTENCE de la norme qui – elle – demeure.

Pour le "ne" j'ai reçu hier le dernier numéro de Langue française et il y a un article là dessus, que j'ai lu mais je n'ai pas le temps de le résumer ici. L'auteur va plutot dans ton sens Sisyphe ...
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Remontée de ce bon vieux post, pour continuer la discussion entamée ici :
viewtopic.php?t=4306&start=15
- Sisyphe
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Ann wrote: Ben en fait le conditionnel n'est plus considéré comme un mode mais comme un temps depuis longtemps, et j'y ai pas mal réfléchi et je crois que ce n'est pas si stupide que ça...
Olivier wrote: ah? quel est l'argument, qu'est-ce qu'a un mode que le conditionnel n'aurait pas ?
Ann wrote: je cite simplement Grévisse: "Le conditionnel a longtemps été considéré comme un mode (du moins pour certains de ses emplois, car on distinguait suvent un conditionnel-temps (de l'indic.) et un conditionnel-mode). Les linguistes s'accordent aujourd'hui pour le ranger parmi les temps de l'indicatif, comme un futur particulier, futur dans le passé ou futur hypothétique. On notera 1. que le conditionnel n'est pas propre à un type de phrase: comme l'indicatif, il apparait dans les phrases énonciatives, interrogatives et exclamatives; 2. que, dans les propositions, il est toujours possible quand l'indicatif futur est admis; il dit qu'il ira / il a dit qu'il irait. [...]

De même : je veux bien que tu me soutiennes qu'il faut mieux dire "déterminant" plutôt que "article". Scientifiquement, c'est mieux, OK.
Mais les parents, en leur temps, ont appris que le machin avant le nom s'appellait un article. Ils l'auraient appelé gougnol ou schmilblick c'était pareil !
Tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents linguistes (

Encore une : nos grand-mères et mêmes nos mères connaissaient la "règle de trois". Ca n'a aucune réalité mathématique, mais c'était très simple à expliquer : 4 : 2 x 3 -> trois nombres et deux opérations.
Un jour, un imbécile pseudo-pédagogue (c'est un mot très beau, pédagogue, ne le prostituons pas) est venu dire qu'il ne fallait plus appeler ça comme ça et parler de "proportionalité" (à vos souhait... La flemme de vérifier le nombre de n). J'ai le souvenir de ma grand-mère perdue devant mes explications.
En matière de terminologie, il faut toujours être très très très très très conservateur*. J'ai appris que le conditionnel était un mode. J'apprendrai à mes enfants (je doute d'en avoir, mais c'est pour la théorie) que c'est un mode. Et si un instituteur vient dire que c'est un temps, j'ai l'air c... voilà mon gamin partagé entre l'autorité de son père et celle de son maître. Ce n'est pas bon.
donc : le conditionnel est un mode, point. Du moins en CM2. En licence de lettres ou de sciences du langage, c'est un temps si vous voulez, une modalité, une dérivation, une périphérie sémantique ou un relaxateur de rabruche. Mais au primaire, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode, c'est un mode !
(* ça me rappelle un truc, ça, compréhensible par les seuls linguistes : le morphème et le monème dont la valeur est strictement inverse chez Martinet et chez lui seul. Juste pour faire ch.... les étudiants.)