
Tout commence par un articule sur un blog de Libération :
http://classes.blogs.liberation.fr/soul ... tenir.html
Je résume : un poste de professeur d'histoire est à pourvoir en classe préparatoire littéraire ("khâgne" dans l'argot scolaire) dans une académie dont le nom n'est pas précisée, et l'inspectrice pédagogique régionale (IPR, mon supérieur hiérarchique immédiat sur le plan pédagogique) fait passer, par courriel, un appel à candidature.
Les postes de profs de prépa sont en effet des "postes à profil" : on n'y est pas nommé par le système traditionnel des mutations, mais par l'inspecteur général (IGEN, supérieur à l'IPR) sur la base d'un dossier ; la plupart des profs étant surdiplômés, il faut y être hyperultradiplômé (deux doctorats n'y sont pas rares, premier ou deuxième à l'agrégation, avec une petite expérience dans le supérieur et une dizaine de diplômes complémentaires) et avoir des rapports d'inspection non pas bons, mais dithyrambiques. Je cancane, mais force est d'admettre que le système fonctionne très bien sur ce point (mes profs de prépa étaient des êtres transcendants).
Une prof agrégée s'étonne de n'avoir pas reçu le courriel alors que tous ses collègues en ont eu un exemplaire. Elle le signale à son inspectrice (IPR). La réponse vaut son pesant d'Arachis hypogea :
(La "question tournante", c'est la question mise au programme d'histoire et qui change tous les ans, réclamant effectivement un très lourd programme de préparation pendant les vacances d'été, puisqu'il faut à chaque fois repartir de rien)"Chère collègue,
ce n'est pas un oubli de ma part, ce poste demande une énorme charge de travail très peu compatible avec le métier de mère de famille (même si les choses évoluent c'est très lent), je ne l'ai donc signalé qu'à des collègues hommes ou des collègues "femmes" sans enfant, c'est sûrement une vision très passéiste mais très réaliste.
La question tournante en khâgne est très (trop) éprouvante pour soi et pour son entourage.
Bonne journée."
On appréciera tout particulièrement :
a) Le "chère collègue" alors que le courrier va de supérieur à inférieur hiérarchique. Je brime votre carrière, mais je suis votre collègue, soyons copines. Mon Gaffiot sur le feu qu'à un homme elle aurait écrit "cher Monsieur"".
b) les guillemets à "collègues « femme » sans enfant" ; bin oui, tant qu'elle n'a pas pondu un gosse, une femmme n'est pas une femme. La génisse devient vache au premier veau disait mon arrière-grand-mère. Tota mulier in utero disait l'Eglise catholique.
c) Le fait qu'être mère de famille soit un métier, mais qu'apparemment être père de famille est un loisir. À moins que madame l'inspectrice ait dans l'idée que les hommes n'interviennent pas dans la fabrication des bébés

Mais surtout, le plus terrible dans l'affaire : qu'un tel courrier soit venu... d'une femme, occupant elle-même une position hiérarchique importante. De voir à quel point les mécanismes d'oppression sont parfois intégrés par les femmes elles-mêmes.
Ou comme je disais souvent à la fac : j'en ai marre d'être plus féministe que certaines femmes.
*
Bon, le recteur ne pouvait pas ne pas réagir : http://classes.blogs.liberation.fr/soul ... moges.html
Il a convoqué l'IPR pour lui passer un savon (enfin, dans le jargon on dit "pour lui demander des explications") et a fait savoir par voie de presse que non, non, non pas du tout, et que madame l'inspectrice n'avait fait qu'exprimer "une opinion personnelle (...) dans un échange de mails".

(Si demain mon adresse IP affiche l'indicatif des Kerguelen, c'est que mon analyse juridique était fausse

On peut penser que Mme l'inspectrice devrait obtenir très rapidement sa mutation... pour un poste hiérarchiquement et financièrement supérieur (en général c'est comme ça que ça se règle dans la fonction publique

