
Pour la clarté du débat, il faut que je précise une fois pour toutes ma situation à Bernard et aux autres. Comme pour l'allemand, je parles mal l'espéranto ; je le parlerais bien si faisais un effort et que j'y consacrais du temps, mais en l'occurence, j'ai pas le temps.
Mon rapport à l'espéranto est le même que mon rapport au Schwyzertütsch : il est ancien, il est réel, il est intime et j'ai des connaissances, mais on ne peut pas dire que je parle réellement l'un ou l'autre. L'une et l'autre langues et l'une et l'autre cultures m'intéressent, m'intriguent, voire m'amusent, mais la part de moi-même que j'y consacre relève du temps libre et de la dilettante... Pour l'instant ! Et par conséquent, ma légitimité à parler de l'espéranto (ou à parler l'espéranto tout court mais on verra ça sur l'autre poste)

Je reviens sur quelques détails : lorsque je parle de "langue de linguiste", il faut bien entendre que je suis linguiste et que la formule relève de la private joke (


Quant à l'affirmation des linguistes selon laquelle les langues inventées ne pourraient exister, je nuancerais un peu : les linguistes du XIXe, certainement (


Quant à la "réussite" de l'espéranto, mon opinion est la suivante :
- En tant que projet de langue internationale, disons pour faire plaisir à Bernard (


Peut-être qu'un jour un ministre de l'Education Nationale pas idiot (si, si, ça existe... Enfin il paraît...) acceptera d'en faire une option au bac (aujourd'hui vous pouvez passer l'Amharique et le Bambara, mais pas l'espéranto) et je veux bien comptabiliser ça comme une "victoire" de l'espéranto.

Honnêtement, je n'ai jamais vu la moindre publication universitaire en espéranto, en tout cas en linguistique, diachronique comme générale (alors que j'en ai déjà vu en provencal ou en dialecte allemand, c'est pour dire !). Mes amis scientifiques non plus. Je ne doute pas qu'il existe des associations d'espérantistes universitaires, voire différentes associations pour différents domaines, mais que je sache, aucune publication significative du point de vue de la recherche internationale en sciences humaines n'est en espéranto.

- Par contre, en tant que langue "tout simplement", il est clair que l'espéranto a marché, contrairement à toutes les autres langues créées. Il y a un nombre significatif de sites internets en espéranto. Et quand on en est à faire des sites à caractère sexuel dans une langue (

... Et c'est ça que je trouve admirable

C'est le premier point que j'appelais "communication" (= langue véhiculaire si vous préférez, langue de contacts, comme l'est malheureusement l'anglais aujourd'hui). Bien sûr, toute langue sert à communiquer (sauf peut-être les langues rituelles, et encore...)

Je ne mettais pas non plus de caractère péjoratif derrière le mot "communauté" (il est vrai que notre époque tend à lui en donner un). Le mot de "diaspora" me plaît assez, parce qu'il me semble qu'il en va justement de la culture espérantiste comme de la culture juive dans l'histoire diasporique : aucunement uniforme même si elle a des traits communs, et toujours conçue comme un ajout (plutôt que comme une substitution) aux traits culturels dans lesquels elle se trouvait (voir ce que je disais de l'histoire des shtetls ci-dessus).
J'en viens enfin au point sur lequel Bernard me demande des explication : "la possiblité de se signaler socialement par l'emploi d'une variété de langue supérieure".
Je fais là référence à une chose qui m'est très chère et qui découle de mon histoire personnelle. Je n'ai jamais été pauvre, mais j'ai passé les seize premières années de ma vie dans une banlieue ouvrière pauvre telle qu'on ne se l'imagine même pas quand on y a pas vécu, avec son chômage, sa population immigrée et son échec scolaire. J'ai très tôt compris que le langage était un outils de reproduction sociale, et que si je réussissais scolairement, et que j'étais promis à un avenir brillant (du moins comparativement à tous mes camarades), c'est que je possédais du fait même de mon milieu social originel (profs) une excellente maîtrise de la langue française (c'était déjà marqué sur mon dossier scolaire de maternelle

Je ne pense pas - très honnêtement - qu'il y ait beaucoup d'ouvriers espérantistes (même si l'association des cheminots sus-mentionnées m'invite à penser le contraire). Mais quoi qu'il en soit (et c'est ce que je voulais dire) : puisque l'espéranto est toujours une langue conquise, on est obligé de laisser sa condition sociale au vestiaire. Tout le vocabulaire, les tics, l'intonation, les tournures, les attitudes qui sont autant de "marqueurs sociaux" dans une langue maternelle disparaissent dans l'espéranto. Et ça, même si c'est un peu naïf de ma part, ça me plaît.
Remplacez "social" par "national" et "banlieue" par "Pologne germano-Russe du début du siècle", et vous avez les conditions qui ont amené Zamenhoff à vouloir créer l'espéranto.

