Pour ceux qui sont trop jeunes – et ceux qui ne vivent pas en France – "Pif Gadget" fut un mensuel pour enfants qui eut son heure de gloire des années 60 aux années 80. L'une de ses particularités était d'appartenir au Parti Communiste Français, et de se vouloir un peu le contrepoint au "journal de Mickey", jugé trop "capitaliste". L'autre spécificité, et qui fit sa gloire, était de proposer dans chaque numéro un "gadget", plus ou moins perfectionné et plus ou moins bizarre. Nous sommes relativement habitués aujourd'hui à la vente "sous blister" de gadget dans un magazine, mais c'était assez neuf à l'époque ; on peut même dire que c'est eux qui ont inventé le concept.
Le pinacle de leur célébrité fut atteint dans les années 70 quand fut proposé, en guise de gadget, la "poudre de vie" : poudre mystérieuse qu'on déversait dans de l'eau salée, d'où naissaient quelques semaines plus tard d'improbables créatures, vite nommées "pifises", assez moches, qu'il fallait nourrir avec une seconde poudre, fournie dans le numéro suivant. il s'agissait en fait d'artemia salina, crustacé très primitif vivant dans les lacs salés du continent américain, dont les œufs (la fameuse poudre) avaient la particularité de se conserver au sec des millions d'années en attendant de pouvoir éclore dans un milieu favorable. Le directeur de la revue était allé lui-même en chercher dans l'Utah ; et ce "coup" médiatique avait propulsé la vente à plusieurs millions d'exemplaires. Depuis cette date, il paraît que l'artemia salina a fait son apparition dans certains salins du sud de la France : il faut croire que certains parents n'avaient trouvé que ce moyen pour se débarrasser de ces infectes bestioles tout en tenant les promesses faites au gamin (ah les promesses faites aux enfants !) de ne pas assassiner froidement cette adorable créature. Qu'on se rassure : les milliers de chiens ayant bu l'élevage des "pifises" en croyant qu'il s'agissait de leur écuelle sont là pour prouver qu'ils ne sont pas vraiment dangereux pour la santé.
Pif tirait son nom du personnage qui en constituait la BD principale et la trame, un chien (bipède) sympathique, créé bien avant par un républicain espagnol réfugié en France. Pif est flanqué d'un chat de gouttière colérique et méchant, Hercule. Chaque mensuel proposait plusieurs BD – la plus célèbre étant peut-être Rahan – qui étaient toutes (autre spécificité) en récits complets : pas besoin d'avoir acheté le numéro précédent ou de devoir acheter le suivant.
Le mensuel cessa de paraître dans les années 90, au moment où le PCF s'effondrait, en même temps que la vente de son journal L'Humanité qui survit depuis de manière très précaire. À ce titre, j'ai connu moi-même les derniers moments de la revue étant enfant, et en avais quelques souvenirs.
15 ans après, le voilà qui reparaît, quoiqu'un peu changé. Il y eut un premier numéro exceptionnel pour l'été, et le n°2 – il redevient mensuel – vient de paraître. Je me suis évidemment jeté dessus.
Le gadget est toujours là : ce furent les abominables et célèbres "pifises" pour le n°1 (que je n'ai pas fait naître, j'ai pas que ça à faire et puis c'est vraiment moche), et la non moins célèbre machine à faire des œufs (durs) carrés pour le n°2. Pour le reste, voici mes impressions :
- Tout n'est pas génial ; certaines parties ont toujours un côté militant, et sont à ce titre assez niaises : le docteur Justice (!) est toujours aussi ennuyeux à sauver le monde de l'injustice toutes les six pages (niais pour niais, on aurait préféré Rahan, mais qui est promis pour bientôt), pour ne parler que de lui. Ce défaut engendre quelques qualités : la partie "réservé au fille (mais pas interdit aux garçons)" (c'est son nom) est nettement moins "chiffons et Star Academy" et beaucoup plus "féministe" que dans d'autre publications pour enfants, ce qui est appréciable je crois.
- On aurait aimé aucune pub, disons qu'il n'y en a pratiquement pas (trois, dont une à destination des parents).
- Les jeux valent bien ceux du journal de Mickey (ah les labyrinthe "aide Médor à retrouver son os" – non, non, on ne triche pas, on ne commence pas par l'arrivée ; les sept différences (je n'en ai toujours que six !), et les énigmes policières… Qui peut y résister ?). Les activités (cuisine, expérience, etc.) sont gentillettes, comme certaines mini-bédés. Un plus : les histoires uniquement écrites.
- Et puis il y a des bédés absolument formidables, même et surtout pour les adultes, tant par leur graphisme que par leur drôlerie. Je ne peux toutes les citer, voici mon top 5 :
¤ Les Robinsons, qui vivent tout nus (très grossièrement dessinés, mais sans pudeur idiote sous prétexte qu'on s'adresse à des enfants) sur leur île déserte, n'articulant qu'un vague langage monosyllabique. Totalement inracontable, mais très drôle.
¤ Nestor et Polux : deux créatures à patte indéterminées, se tapant dessus sans arrêt pour manger les yaourts à la framboise (délicieux) et pour ne pas manger ceux à la prune (aux vertus flatulentes et laxatives, comme chacun sait), sous le regard et les commandements de "Dieu", un triangle accroché au plafond avec un gros œil et deux bras. Comique "proutier" façon Titeuf, mais complètement surréaliste.
¤ "La fée Kaka et son Mal Cuit-Cuit", dessinée par la géniale Florence Cestac (si vous ne connaissez pas "le démon de midi", pour adultes…) et qui rien que pour ça vaut le détour. Elle fait pousser des carottes "transmagiques" (et bleues), élève des vaches "clownées" (avec un gros nez rouge à la place du mufle) et d'un "Crotus Puantus" transforme en ravissante crotte (mais provisoirement) tous ceux qui l'embêtent.
¤ Enfin, mon préféré : "Lobbo Tommy", pastiche génial (et animalier) du style "roman noir américain", surréaliste là-aussi (le commissaire "cuisine" un suspect… dans une marmite !), et encore moins explicable.
Enfin bref, ceux qui ont connu l'ancienne version et ceux qui ont des enfants peuvent au moins y jeter un coup d'œil.
