[français] le "nous" singulier

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Sisyphe
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Post by Sisyphe »

Maïwenn wrote:Mon prof est aussi historien de formation, et il utilise aussi le "je" quand il parle d'histoire.

Gauchistes révolutionnaires aussi les historiens ? ;)
Autrefois oui. Maintenant moins.

Pour ne parler que de la langue française, il y aurait incontestablement une étude à faire sur les habitudes langagières par discipline. Quand j'étais en khâgne, je lisais des ouvrages dans chacune des matières, et la variabilité était frappante. Les rapports de jurys de concours sont aussi très éclairants.

Schématiquement, je dirais qu'il y a :

- Tout au-dessus, philo et lettres classiques (et matières périphériques), avec la tentation de la "budéphonie" : parler la langue archaïsante et parfois trissotinienne des vieux latinistes du XIXe. Je me souviens d'un rapport de philo qui souhaitait que les candidats montrassent "plus d'acribie".

- Un degré en-dessous, les lettres modernes et les langues vivantes LLCE. Ayant un peu plus conscience du ridicule, mais qui n'ont de légimité que par la langue.

- Au milieu, les matières "neutres", qui ne reposent pas sur la langue, et où donc la finalité communicative équilibre la teinture "khâgneuse" de leurs maîtres. Histoire, sciences sociales, éventuellement géo (mais c'est un autre cas : les géographes n'ont pas tous une formation "littéraire" à l'origine).

- A l'autre extrêmité, les domaines qui font profession de parler une langue "anti-universitaire". Toutes les linguistiques "modernes" en font assurément partie (... parce que - mais je suis totalement tendancieux en le disant - elles éprouvent encore le besoin de se définir négativement par rapport à ces vieilles carnes de la linguistique (à l') ancienne).

Usage ou non de l'imparfait du subjonctif, de l'indicatif après après que (j'ai quand même vu l'état intermédiaire dans un bouquin d'histoire : après que + subjonctif imparfait, après qu'il eût ! Je veux croire que c'était volontaire), du nous/je/on, de "c'est eux qui/ce sont eux qui", d'abréviations latines ( :sun: ne pas mettre op. cit. mais op.l., car "citare" ne veut pas dire citer en latin ! C'est crétin mais je l'ai fait), du ça et du cela, distinction du ceci/cela, voici/voilà, des adverbes modalisateurs (à commencer par "assurément") et de tournures modalisatrices (peu s'en fallut que, ne laisse pas d'étonner), du point d'exclamation, d'adjectifs axiologiques, etc.
Je pense honnêtement que les choses changent petit à petit. Il faudra peut-être du temps pour toucher les matières nobles et poussiéreuses (je parle seulement des vieux livres hein, pas des latinistes eux-mêmes), mais on y viendra.
:P Noble serait de toute façon me faire trop d'honneur. Quant à poussiéreux, je l'accepte et le revendique. Je suis un vieux bibelot (mais un petit bibelot, je ne prends pas de place et je ne réclame pas beaucoup d'entretien).

*

Sarcasmes mis à part, j'y tiens, moi, à ce "nous". Ce n'est pas seulement de la vieillerie, et je ne vois pas pourquoi il faudrait absolument lancer une croisade contre le "nous" universitaire. Pour moi, "nous", ça veut dire "moi qui parle, mais en considérant uniquement la part de moi-même qui se consacre à la matière en question".

Quand je m'adresse à des élèves ou des étudiants, je suis le prof. Pas l'être humain qui est marié, qui a trois enfants, qui aime le poulet et qui vote pour Machinchose, non, juste le prof. Pareillement, quand je lis une thèse, je me fiche totalement de la vie privée de son auteur. C'est la science qui m'intéresse. Ceux qui mettent "je" semblent m'interpeller ("je", c'est une conscience) et ça m'agace un peu en fait...

... A mes yeux le scientifique n'est pas un homme qui dit "je pense que". Le scientifique dit "x années de recherche sur tel sujet conduites selon des protocoles nouveaux ou non, mais en tout valables et pertinents au regard de la science, amènent la conclusion suivante, définitive (l'eau bout à 100°C) ou heuristique (on peut envisager que l'indo-européen avait huit cas, cela rend cohérent toute analyse ultérieure des langues-filles). Même s'il est novateur, le scientifique doit s'effacer derrière la science et derrière son objet.

Donc, non. Je ne suis pas "je".
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)
gfa
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Post by gfa »

Sisyphe wrote: D'ailleurs la véritable marque de distinction des princes n'est pas le "nous", mais la troisième personne (au cas où il vous arriverait de rencontrer Albert II, cher Gfa, je vous rappelle qu'un simple sujet parle toujours à un roi à la troisième personne : "je remercie Sa majesté de l'honneur qu'Elle me fait de venir prendre le café chez moi".
;)
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Isis
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Post by Isis »

Ben dites-donc !! Je ne pensais pas déclencher un tel débat avec ma petite question bien innocente !!


Mais du coup, je sais plus quoi faire :-? . En fait, j'avais mis le "nous" naturellement, sans y penser, et là, en re-considérant la question, je me dis que le "je" serait peut-être plus pertinent, étant donné qu'il s'agit d'un mémoire terminologique, sans aucune prétention littéraire...
Maman disait toujours : La vie, c'est comme une boîte de chocolats ; on sait jamais sur quoi on va tomber...
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Maïwenn
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Post by Maïwenn »

Je ne crie pas haro sur le "nous"., chacun fait comme il veut. Mais, quand je fais une recherche je revendique le droit d'être impliquée dedans. On est toujours forcément subjectif, à des degrés divers, c'est sûr, mais ça ne sert à rien de le nier. Sur des sujets identiques, Bernard et Yvette ne tireront pas forcément les mêmes conclusions que moi, justement parce qu'ils sont Bernard et Yvette, chacun son "je".

Et quand je fais cours, je ne laisse pas Maï, joueuse d'accordéon, internaute invétérée qui aime le gâteau au chocolat, à la porte de la salle. Elle est là aussi, à côté d'Ajarn Maïwenn qui parle des partitifs ou de la méthode de rédaction d'un compte-rendu de réunion. De temps en temps elle sort de son trou pour une petite remarque, une plaisanterie, et puis elle laisse Ajarn faire son cours.

En gros j'ai une position diamétralement opposée à celle de Sisyphe :roll:
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ElieDeLeuze
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Post by ElieDeLeuze »

Personnellement, je trouve que le nous de modestie est la moindre des choses dans un travail de fac. L'etudiant n'a pas invente la roue, il n'est pas aussi seul qu'il le pense souvent dans cette histoire. La moindre des politesses est de mettre en avant des idees, pas son ego. Un memoire redige a la premiere personne du singulier donne tout de suite une tenace impression de nombrilisme. Moi je, moi je, moi je. C'est tout simplement insupportable.

Ma preference va aux formulations impersonnelles voire passives, mais c'est un tic de germaniste vu leur frequence en allemand. En tout cas, ce n'est pas l'auteur qui doit etre au centre du memoire mais le sujet. Et trop rares sont les etudiants (et les profs) capables d'un style suffisamment habile pour employer le je sans en faire le centre de gravite du texte. Ceux qui y arrivent ont droit a toute mon admiration.
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Maïwenn
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Post by Maïwenn »

Un memoire redige a la premiere personne du singulier donne tout de suite une tenace impression de nombrilisme. Moi je, moi je, moi je. C'est tout simplement insupportable.
Pour moi "je" veut dire "j'assume", les choses bien comme les conneries.
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Le commencement d'un monde
gfa
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Post by gfa »

Maïwenn wrote:
Un memoire redige a la premiere personne du singulier donne tout de suite une tenace impression de nombrilisme. Moi je, moi je, moi je. C'est tout simplement insupportable.
Pour moi "je" veut dire "j'assume", les choses bien comme les conneries.
Je partage l'opinion de Maïwenn.
gilou
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Post by gilou »

ElieDeLeuze wrote:Ma preference va aux formulations impersonnelles voire passives, mais c'est un tic de germaniste vu leur frequence en allemand. En tout cas, ce n'est pas l'auteur qui doit etre au centre du memoire mais le sujet. Et trop rares sont les etudiants (et les profs) capables d'un style suffisamment habile pour employer le je sans en faire le centre de gravite du texte. Ceux qui y arrivent ont droit a toute mon admiration.
Je ne pense pas que ce soit un tic de germaniste: les tournures passives ou impersonnelles sont habituelles en mathématiques (Les propositions suivantes seront démontrées, Il sera établi le résultat suivant, ...) et parfois aussi, le nous de modestie (Nous obtenons alors une classification des groupes finis simples, ...). Mais je n'ai pas souvenir d'avoir lu une publication dans une revue avec un je de premiere personne. Je suppose que les comités de relecture et acceptation des publications renvoient les articles en demandant une réécriture, le cas échéant.

A+,
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