Je voterai oui, parce que pour le moment, les arguments du non entendus de-ci, de-là n'ont rien à voir avec l'Europe.
IL NE S'AGIT PAS DE L'EUROPE ! IL S'AGIT DE LA CONSTITUTION DE L'EUROPE
(

heureusement que l'Europe est un signe de paix, hein ? Ou ai-je mis ma kalachnikov ?)
Je suis pour l'Europe, j'aime l'Europe, j'adore l'Europe, j'embrasse l'Europe, ich liebe Europa, I love Europe, et tout ce que vous voudrez, mais non d'un ornithorynque il s'agit d'un texte précis, de 448 articles plus les annexes (importantes, les annexes, elles ont force légiférante) gravement dangereux sur bien des points ! Comme disait Guy Bedos : Le texte, les enfants, le texte !

Alors je commence :
Première partie : l’aspect institutionnel
I. La forme (la création de la constitution)
La rédaction de la constitution s’est faite de manière totalement anti-démocratique. La « convention » qui s’est réunie n’a été élue ni même mandatée par personne.
La tradition démocratique de l’Europe aurait exigé que fût élue une assemblée constituante, au suffrage universel direct. A la rigueur, le Parlement Européen, renouvelé l’an passé, aurait été vaguement légitime dans ce rôle. Il n’en est rien. On aurait même pu au moins choisir des parlementaires nationaux, au pro rata de chaque parti politique. Non plus. La Convention fut un ramassis de personnes parfois intelligentes, certes, mais sans aucune légitimité.
Pire : la partie III de la constitution a été livrée toute faite à cette même convention, et pratiquement pas discutée (source : une émission de France Culture avec Jean Lebrun il y a plusieurs mois, où j’ai pris des notes, complétées depuis. Ci-après FC). Or c’est la partie la plus importante : celle qui contient les orientations économiques.
J’ajoute enfin que tout cela s’est fait sous l’égide d’un homme, V.Giscard d’Estaing, certes intelligent, mais totalement désavoué par le suffrage universel de son pays, comme président, comme député, et même comme président du conseil régional d’Auvergne (sans parler de la mairie de Clermont Ferrand). Quelle est donc sa légitimité ?
Je ne reviendrai pas sur la campagne référendaire pour l’instant. Mais si la question est posée, c’est techniquement que les deux réponses peuvent être apportées. Je ne vois donc pas au nom de quoi je « n’aurais pas droit » de voter non.
II. Le fond (l’organisation des pouvoirs institutionnels).
Rien que ce point m’avait poussé vers le non, avant que je ne m’intéresse au reste de la constitution.
Ce texte oublie purement et simplement les fondements essentiels d’une démocratie, et deux siècles d’histoire politique européenne.
Le Parlement. Il n’a aucun des pouvoirs essentiels qu’un parlement doit posséder :
- Il ne possède pas l’initiative des lois (I-26-2), dévolue à la seule commission !

En France, seules les constitutions de Napoléon, la première charte de 1815 sous la Restauration et le Corps Législatif de Napoléon III, et encore au début seulement (toutes périodes hautement démocratiques) déniaient ce droit à une chambre basse.
-> Les ouistes répondent « oui, mais il y a l’article III-332 ». Or celui-ci dit “Le PE peut à la majorité des membres qui le composent demander à la Commission de soumettre toute proposition appropriée qui lui paraissent nécessiter l’élaboration d’un acte de l’Union pour la mise en oeuvre de la constitution. Si la Commission ne soumet pas de proposition, elle en communique les raisons au PE » sic ! Donc :
a) Ce n’est qu’un droit indirect, le parlement peut supplier la commission, mais sans automaticité. Encore une fois, c’est la charte de 1815 !
b) Si la Commission refuse, elle en « communique les raisons », c’est tout ! Elle n’est pas renversée, il n’y a pas de motion de confiance.
b) Ce droit ne concerne que le champs constitutionnel ! Pas les autres domaines politiques sur lequel l’Union est compétente.
- De même, sauf erreur de ma part, il ne possède aucun droit d’amendement (ça n’a quand même rien d’extraordinaire, non ? Cela fait 130 ans que le Parlement a ce pouvoir en France !). Sauf sur le budget… et encore ! Voir ci-dessous.
- Et pas non plus de réel droit d’adresse. Pas de « questions au gouvernement » organisées.
En gros : il a le pouvoir de dire oui ou non, c’est tout.
De plus, il dispose de 42 jours en tout et pour tout pour valider le budget (III-404-4) ! Passé lesquels, le budget est… automatiquement adopté ! Et si sur ce seul point il a un droit d’amendement, la présentation des amendements nécessite la réunion d’un comité de conciliation (III-404-7sq), de parité avec la commission ! Et c’est la version du comité qui est adoptée ! A moins d’un vote des 3/5e.
Bref, c’est pire que le 49.3, car le PE n’a pas de pouvoir en retour sur la question budgétaire. Elle est presque obligé d’adopter un budget dont elle aura au mieux négocié les détails.
J’ajoute un dernier élément : le mode d’élection du PE. Effort louable, sa taille est « réduite »… à 750 membres, c’est-à-dire exactement l’Assemblée Nationale de la deuxième République… On a vu le résultat : 1848-1852.
Un article (je ne sais plus lequel) précise que le mode d’élection est soit commun à toute l’union, soit du moins uniforme dans les États. Ce qui revient à dire que pour longtemps encore, les élections européennes seront nationales – ce que précise d’ailleurs l’article I-20 : la représentativité par État est clairement affirmée, puisque précisée, à savoir de 6 à 96 sièges. (soit en passant un ratio de 1,2 (96/80 millions) pour l’Allemagne, contre quinze (6/0,4 million) pour Malte, mais bon). Dans l’article 2, le conseil européen (c’est-à-dire le conseil des ministres) adopte à l’unanimité sur initiative du parlement et avec son approbation (ça veut dire quoi ce charabia ? Qui c’est qui vote ? C’est absurde. Cela revient techniquement à dire : le conseil décide et le parlement avalise) la « composition » du Parlement – pas son mode d’élection, qui revient donc aux États.
Ce qui laisse le PE dans son état actuel : surchargé, surdivisé, donc improductif. Même les nonistes laissent curieusement ce point de côté. Or je prétends qu’il est fondamental. Car le seul pouvoir dévolu, celui de contester les directives budgétaire, ou de censurer la commission. Or il faut pour cela une majorité des trois-cinquième dans le premier cas (III-404 passim) et des deux-tiers dans le second ! Strictement impossible à réunir. Le pouvoir de censure est aussi faible que celui théoriquement dévolu à l’Assemblée Nationale française, et appliquée une seule fois en 50 ans (et encore, par une assemblée issue de la IVe République).
En somme, les pouvoir du PE sont à peu près ceux du Reichstag allemand de 1900 : assez faibles sur le papier (aucun pouvoir d’amont – l’initiative – ni d’aval – l’amendement). Très faible en réalité, puisque sa surdivision et les arguties juridiques qui l’entourent les bloquent.
Son pouvoir est au mieux un pouvoir « de moustique ». Celui d’embêter la Commission, de lui mettre des bâtons dans les roues, de ralentir les travaux, etc. voire de l’obliger à plier sur des détails (notamment budgétaire). Mais elle n’exerce pas de contrôle véritable. Au pire, c’est un parlement-chrysanthèmes, bon à rendre des prix des droits de l’homme.
Passons plus vite sur la Commission. Son pouvoir est gigantesque puisqu’il inclut une fonction exécutive (exécuter le budget, coordonner la politique de l’Union), législative (monopole de la proposition législative) et judiciaire (surveiller l’application du droit de l’union).
Rien que cela est contestable. C’est s’asseoir sur le principe de séparation des pouvoirs – en particulier le juridique.
De plus, aucun article ne définit clairement la limite entre législatif et réglementaire (relevant des décrets). Et
aucune autorité constitutionnelle ne peut clairement se prononcer sur ce sujet. Pas de conseil ni de cour constitutionnelle ! Son pouvoir législatif frôlerait donc l’arbitraire, s’il n’était limité par le Conseil Européen et le Conseil des ministres, mais qui n’ont eux-mêmes aucune légitimité directe.
Que le pouvoir exécutif soit fort, ce n’est pas en soi une anomalie. Dans tout système, l’un des deux doit l’emporter. Mais si le système privilégie l’exécutif, alors il faut que cet exécutif soit légitime. C’est le cas aux États-Unis où le président, disposant de fort pouvoirs d’amont (initiative des lois, puissance diplomatique, gouvernementale et militaire) et d’aval (le droit de veto), est élu au suffrage universel presque direct. C’est le cas en France, où le président, disposant de pouvoirs semblables (en amont : la nomination du premier ministre et du conseil, ainsi que d’une partie des institutions : conseil constitutionnel, conseil d’Etat, conseil sup. de la magistrature) est élu, etc.
Or la Commission est nommée par des ministres, qui sont nommés par des chefs de gouvernements, qui sont nommées par chefs d’Etats ou élus par des Assemblées qui elles seules sont élues. Sa légitimité est au 4e degré. C’est faible !
Voyez : rien que sur la question strictement institutionnelle (et encore, j’ai pas tout dit), cette constitution est un
monstre, qui insulte les principes politiques essentiels. Montesquieu, Kant, Beccaria et Stuart Mill, dûment européens me semble-t-il, doivent se retourner dans leurs tombes.