Au-delà de 35, de toute façon, c'est bruyant
même quand ils se taisent tous. 35 stylos qui grattent, 35 chaises qui couinent, 35 trousses qui zippent, 35 nez qui reniflent, 35 paires de poumons qui respirent, bref : 35 corps qui vivent.
À cinquante, j'ose pas imaginer. Laisse tomber la science pour l'instant, ton premier objectif pédagogique, ce sera le contrôle du bruit... Demande-toi d'abord comment
à chaque instant, tu vas faire pour contrôler ce corps mouvant :
- Comment tu vas les accueillir en classe (à ton bureau ? à la porte ? Ca dépend de la configuration de la salle).
- Avec ou sans plan de classe ? Ca dépend des usages locaux, renseigne-toi.
- Comment tu vas contrôler la gestion de leur matériel (à mon commandement, on prend son stylo vert. Aucun élève de 4e ne sait gérer ses stylos, sauf les futures Maïwenn).
Ne commence surtout pas par des activités
trop communicatives... Et surtout : ne souris pas au premier cours !
pour l'anglais, c'est à dire l'équivalent de la 4ème (2ème année de secondaire en Belgique, au Québec je ne sais pas comment on compte). Mais pour la maturité des jeunes, il vaut mieux tabler sur niveau CM2 (fin de primaire)
Niveau CM2 "Maïwenn" = niveau CE2 "élève normal".
N'oublie jamais une chose :
tu n'es pas normale, tu ne l'as jamais été ! Toi, tu aimais l'école et surtout, tu comprenais à quoi elle servait. Je veux bien supposer que les élèves asiatiques soient culturellement plus calmes, plus silencieux, plus respectueux et plus mieux partout que la moyenne des élèves européens (j'ai des doutes....), il n'en reste pas moins que, intrinsèquement, en quelque endroit de la galaxie, l'élève normal
a) N'a pas envie d'être là.
b) Ne sait pas pourquoi il est là.
c) Ne comprend pas.
d) Ne sait pas.
e) Ne travaille pas.
f) Parle, bouge, fait de bruit ; bref : existe.
Ce n'est pas de la médisance ou du rejet, c'est le point dont il faut partir si l'on veut être un bon prof, et éviter la dépression nerveuse.
*
Suis pas prof de langue vivante, mais la discussion entre élèves en langue étrangère me paraît être une illusion de pédago ; même avec des élèves très spontanés, ce n'est pas possible, c'est trop artificiel (j'ai des souvenirs de chahut monstre quand j'étais lycéen sur ce point : pauvre petite prof stagiaire qui faisait ce qu'on lui avait dit à l'IUFM... Mlle A***, même si moi j'ai toujours été gentil, toutes nos excuses quand même) . Alors avec des élèves un peu timorés, ça risque d'être la brisure totale : ils t'en voudront de les mettre dans une situation impossible et ce sera la guerre froide toute l'année. Et au pire, ça va commencer à brouhaher, et tu vas péter les plombs, et ils t'en voudront encore plus.
Quelques idées (je suppose qu'ils ont déjà deux ans d'anglais ? Adaptable aussi en seconde)
- Le premier cours, il faut impérativement que tu le fasses en "chef d'orchestre" : tu poses une question, ils répondent tous à l'unisson (genre pédogogie de l'objet : tu tends une pomme, "What kind of fruit is this", le lunetteux du premier rang te répond "appeul", et tu corriges "this is an apple" et ils répètent tous "zis ij an apeul" et tu reprends "
this is.." en montrant bien tes jolies dents, et ils essaient. Pédagogie très vieillote, du moins en France, sans toute peu efficace linguistiquement, mais pas mal pour créer une ambiance de classe. Et surtout : tu as le contrôle total (prépare tes "gestes de chef d'orchestre", que le code soit clair entre toi et eux : bruit/silence/bruit/silence/etc.")
- Fichette autoprésentée : dix minutes pour remplir une petite fiche
préparée par tes soins et avec le moins de choses à remplir (des 4e, ce sont des tricycles : ils ne peuvent aller ni très vite, ni très loin, même avec la meilleur volonté du monde, surtout dans une langue étrangère).
"My name is..." (pas plus d'un mot en anglais)
"I am ... year old
"I come from..."
Auparavant, tu as toi-même renseigné l'équivant rétroprojeté (ou préparé d'avance au tableau*) en faisant bien l'actricte au tableau et en répétant ("I come from Brittany in France", et là tu montres bien clairement : la France, le drapeau français, la Bretagne bien isolée et bien visible sur une carte gigantesque).
Dès que le remplissage est fini (n'attend pas les plus lent, commence dès que 60% de classe semble avoir terminé, ne reste surtout pas collée à ton bureau à ce moment-là : contrôle, contrôle, contrôle...), tu en interroges : d'abord sous la contrainte (en ayant déjà repéré les gentils-fayots-qui-savent pendant qu'ils écrivaient), et enchaîne avec un "Someone else ?"... Si tu as réussi à les séduire, t'auras toujours un volontaire, ou un demi-volontaire (le qui te regarde férocement mais qui n'ose pas lever sa mimine... J'adore).
*Ah oui, n'oublie pas : comme dans Scream ou à la chasse au tigre : NE TE RETOURNE PAS !
- Au 2e ou 3e cours, enfin que tu es sûre de les "avoir" à peu près tu peux commencer à diviser la classe (mais sois SÛRE des possibilités géographique de ta salle : le contrôle, toujours le contrôle)... Tu fais de l'interraction avec 25 (c'est horrible mais faisable : ça fait deux minutes par élèves en une heure) pendant que les 25 autres préparent individuellement un truc, avec un rendu oral potentiel (du genre : colorier un truc selon des consignes en anglais, texte à trou (un schéma général de trois ou quatre prépositions spatiales simples, et ensuite "the kitchen is ... the bathroom", puis lors du rendu oral, ils doivent venir présenter mais sans la feuille avec les réponses et debout devant les camarades).
- Tu peux terminer ou commencer par des interros-terreurs qui reprennent le cours précédent (en classe complète) : tu commence une phrase "the bathroom is...." et là, à l'ultime seconde, tu pointes un doigt cruel vers n'importe quel élève dans la salle qui doit terminer. Pendant cinq-six minutes, ils seront angoissés et donc concentrés ("mon Dieu pas moi mon Dieu pas moi mon Dieu pas moi....) ; au-delà, ils seront révoltés. Mais ça fait un "temps de classe" clair - et si tu en fais un rituel, à la fin de l'année, ils te le réclameront.
Petit plus Sisyphe : si tu as le droit de noter les élèves, tu peux nommer un "secrétaire aux notes" pendant que tu fais tes interros-terreurs. Ou mieux : deux (pour éviter les contestations). Dès que l'interrogé a émis sa réponse, bonne au mauvaise, tu donnes une note ("B, A, F, F-") et les secrétaires la notent. Bien sûr les secrétaires sont exemptés d'interro, et bien sûr, ils tournent (jamais deux fois le même, mais ça fait toujours deux contents dans la salle). Z'aiment bien qu'on leur délègue une part du puissant pouvoir professoral... Même les emmerdeurs sont flattés (surtout eux d'ailleurs).
Donc, je conclus : le contrôle, le contrôle, le contrôle, le contrôle... Et aussi : les rituels, les rituels, les rituels. Plus ton cours est ritualisé, plus les élèves sauront à quelle sauce ils seront mangés, et ils plus ils y viendront avec un certain calme.
PS : je n'enseigne pas les langues vivantes, donc...
PPS : mon seul cours à 35 me prend 4 heures de préparation : je sais exactement comment chaque seconde doit se dérouler, qui je vais interroger "par hasard", quelle connerie je vais dire pour les faire rire, combien de temps je vais les laisser rire, et surtout, je prévois plusieurs déroulements : s'il me reste X minutes je fais A, s'il ne m'en reste que Y je fais B, s'il se produit l'évènement P1 je fais Q1, si j'ai P2 je fais Q2... En revanche, sur le plan scientifique, je me fais confiance. Tu l'as dit sur ton blog : en français comme en anglais, je pense que tu es meilleure que beaucoup.
PPPS : pas mal, ton ensemble : dans la mesure où ils s'imaginent tous (et surtout toutEs, sans parler des autres accords grammaticaux possibles en Thäilande

) qu'en France, tout le monde se promène en Chanel, tu te dois d'être très élégante. Les chaussures sont... euh... farfelues, mais ça peut être la "petite touche de fantaisie" qui te fera aimer des élèves. On t'appelera "Mme Chaussures-Rouges" mais c'est un gage de respectabilité. Comme la moustache de Staline ou la verrue de Chirac aux guignols.
La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes (Montaigne, II.12)