Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

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ViCh
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Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by ViCh »

De retour, comme d'habitude, pendant les périodes de congés scolaires, j'ai une petite question sur l'étymologie du verbe avoir et de ses équivalents germaniques. Dans wikipédia (oui, je sais Sisyphe, ce n'est pas une source sûre et il s'y trouve même des petits comiques pour faire des blagues sur les couleurs liturgiques :lol: , mais bon, pour un non-professionnel, c'est une source facilement accessible):

Avoir: Du latin habere (« tenir, occuper », puis « habiter ») qui a pris le sens de « avoir » en bas latin.
Étymologie de habeo:
De l’indo-européen commun *gʰabʰ- [1] (« prendre » ; comparez avec capiō, « saisir, prendre ») avec un glissement de sens causatif ou résultatif : « j’ai pris > je possède ». À ne pas rapprocher de l'allemand haben, de l'anglais have, « avoir », mais de geben et give, « donner ».

Étymologie de capio:
Verbe composé de co- et apio (« prendre ») → voir rapio et/ou dérivé de l’indo-européen commun *kap- [1] (« saisir ») qui donne le grec ancien κάπτω, káptô (« saisir »), κώπη, kôpê (« anse »), le gotique hafjan, l'allemand haben, l'anglais have.


Donc, si je suis bien, le latin habere et le gotique hafjan (haban ?), bien que d'écritures très proches et ayant donné dans les langues modernes des verbes au sens et à l'usage identique, n'ont pas la même origine ? Ca paraît bizarre à l'ignare que je suis :-o )

Les questions que je me pose sont donc
1) Ce que j'ai trouvé dans wiki est-il correct ?
2) Si oui, quel est le "degré de certitude" que l'on a sur l'indo-européen (si tant est que l'on puisse le quantifier) ?
3) Et accessoirement, existe-t-il un site où l'on peut s'initier aux subtilités de la linguistique indo-europenne ?
Last edited by ViCh on 01 Apr 2013 10:26, edited 2 times in total.
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ElieDeLeuze
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by ElieDeLeuze »

Les lois d'évolution phonétiques de l'indo-européen au latin ne sont pas les mêmes que celles des changements de l'indo-européen au germanique. Ainsi, un h latin sera le résultat d'une autre évolution que le h germanique. Donc à même résultat, origine forcément différente.

Par contre, je trouve que la différence entre *gʰabʰ- (prendre) et *kap- (saisir) est très mince, voire suspecte. Mais bon, reconstruire l'indo-européen est un casse-tête sans fin.
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Sisyphe
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by Sisyphe »

:ape: Nan mais pourquoi vous posez toujours des questions super-passionnantes exactement quand je dois terminer un superméga-article pour une méga-super-revue et que je suis à hypergiga-à la bourre et que je ne dors déjà téraméga-plus et que j'en suis à péta-négliger (péta- = x10E15, si si, vérifiez...) mes yotta-copies ? :-o
Donc, si je suis bien, le latin habere et le gotique hafjan (haban ?), bien que d'écritures très proches et ayant donné dans les langues modernes des verbes au sens et à l'usage identique, n'ont pas la même origine ? Ca paraît bizarre à l'ignare que je suis :-o )
Ca, c'est une certitude (et au passage, oui got. hafjan = vha haban, mais le gotique n'est pas l'ancêtre de l'allemand évidemment). Pour les raisons qu'a énoncées Elie : ce qui donne un h- en allemand n'est pas ce qui donne un h- en latin.

C'est même un exemple classique de ressemblance intuitive mais erronée. Comme toute science (car c'est une science), la linguistique comparée naît de l'empirisme, mais n'en dérive pas ; ce qu'on tendance à oublier tous les inventeurs de "langue originelle" et autres découvreur pseudochampollionesques des origines de l'étrusque qui rapprochent dix mots dans deux langues lointaines en affirmant qu'ils se ressemblent (à condition de changer 80% des sons...).

:prof: L'autre grand classique, c'est "le feu / das Feuer". Rien à voir : le feu < focus, le foyer ; Feuer = grec pyr.
Les questions que je me pose sont donc
1) Ce que j'ai trouvé dans wiki est-il correct ?

Je ne sais pas où tu as trouvé la deuxième étymologie, mais co+apio me paraît un peu grotesque (très XIXe siècle :-o ...). Il existe effectivement un verbe archaïque apio en latin, à peine attesté sinon dans les glossaires, mais qui donne des mots assez courants comme rapio, aptus ou coepi "je commence", qui se conjugue au passé mais qui a un sens présent, et qui est préciment le composé de co+apio (ou plus exactement d'une forme en -ê- long de la même racine mais ça ne change rien).

Il y a me semble-t-il consensus (le récent Etymological dictionnary of latin and italic languages s'y tient, et même le très gros, très illisible, très germanique et donc très savant Lexicon der Indogermanischen Verben) pour faire venir habeo de l'i.e. gʰh1b(ʰ)- (wiki écrit *gʰabʰ-, c'est déjà une simplification, si tu veux des explications, demande-moi). La racine signifie plutôt "prendre, serrer"...

C'est d'ailleurs le sens profond de "habere" en latin, même classique. Souvenez-vous de vos cours de quatrième : l'expression normale de la possession, en latin, c'est "mihi est equus" "à-moi est un cheval". "habeo librum" c'est "je détiens un livre, je le serre fort contre ma poitrine pour pas qu'on me le vole et c'est le mien qu'il est à moi", :) je glose un peu... C'est aussi "considérer qqchose comme" (cf. français "je le tiens pour responsable").

D'ailleurs, contrairement même à ce que j'enseigne à mes élèves ( :roll: ah les mensonges pédagogiques...) "habemus papam" ne signifie pas, originellement, "nous avons un pape", mais "nous considérons XYZ comme le pape" (c'est bien ça le problème : qu'on soit tous d'accord :-? ).

*gʰh1bʰ- est très bien attesté en i.e. : haban/hafjan, moyen-gallois "caffael" 'to get', moyen-breton "caffout", etc.

N'en déplaise à Elie, la différence gʰh1bʰ-/kap- a son importance. Un k- initial se maintiendrait en latin, pas un gʰ-. cela étant, à suivre le LIV, c'est un peu le bordel...
1) D'abord, la présence de deux aspirées dans la même racine (les petits ʰ) est gênante. Ce sont les langues italiques qui obligent à poser le second, parce qu'on a un futur "hafiest" en osque (habebit) ; il peut y avoir eu des réfections.
2) L'intérieur de la racine (la laryngale : h1) fait débat... Mais là, il faudrait que j'explique le principe des laryngales et c'est presque du Jean-Sébastien Bach...
2) Si oui, quel est le "degré de certitude" que l'on a sur l'indo-européen (si tant est quel'on puisse le quantifier) ?
:) Absolument certain... Tant qu'on a pas réussi à prouver le contraire. C'est le principe de "falsification" de toutes les sciences.

Cela, toutefois, à condition de bien comprendre que l'indo-européen n'est pas une langue, mais un squelette théorique, qui permet d'expliquer rationnellement (au sens profond du terme : presque arithmétiquement) toutes les données attestées.

Le tableau de Mandeleïev m'apprend que le potassium a 19 électrons : personne n'est jamais allé les compter un par un (alors un, deux, trois, quatre... Je recommence, y'en a un qu'a bougé !). Mais je sais, par les propriétés valencielles du potassium, et par l'ensemble du système chimique, qu'il doit y en avoir dix-neuf. Et je sais que l'ununoctium en aurait 118 s'il existait dans la nature, sauf qu'il n'existe pas et qu'on en a jamais synthétisé que trois atomes pendant quelques millisecondes.

La question n'est pas "quel est le degré de certitude de l'indo-européen" mais "quel est le degré de scientificité de ma source" ? :) Des fois qu'il y ait des atomes indo-européens d'origine extra-terrestre avec des chasubles pastorales jaunes...

3) Et accessoirement, existe-t-il un site où l'on peut s'initier aux subtilités de la linguistique indo-europenne ?


Y'en a beaucoup de mauvais, laisse-moi le temps de fouiller dans mes favoris...
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Beaumont
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by Beaumont »

Si je n'étais pas athée je serais sisyphien...

:god: :god: :god:
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ViCh
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by ViCh »

Je ne sais pas où tu as trouvé la deuxième étymologie
:confused: :confused: :confused:
Belle erreur de copier/coller, me sens très c.., du coup, car ça change le sens de mon message. Il s'agissait de l'étymologie de capio, bien sûr. C'est corrigé.

Déjà un grand merci pour ces expications, et oui, quand tu seras un peu moins peta à la bourre et que tu auras un nano chouïa de temps, ça m'intéresserait que tu développes :confused:
D'ailleurs, je suis allé voir ce qu'étaient les laryngales et là, je trouve : e-=H1e, a-=H2e, o-=H3e, mais alors, pourquoi simplifier h1 en /a/ plutôt qu'en /e/ ?

Sinon, quand je parlais de "degré de certitude" sur l'i-e, c'est précisément cela que j'entendais: jusqu'à preuve du contraire, et surtout, à quelle fréquence prouve-t-on le contraire :loljump: . A comparer avec les "certitudes" sur les premiers hominidés, certitudes remises en question quasiment à chaque nouvelle découverte.

Accessoirement, il est amusant de voir un mot dont le sens de départ est "prendre" avoir pour lointain descendant un mot qui signifie "donner" ...
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Sisyphe
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by Sisyphe »

ViCh wrote:
Je ne sais pas où tu as trouvé la deuxième étymologie
:confused: :confused: :confused:
Belle erreur de copier/coller, me sens très c.., du coup, car ça change le sens de mon message. Il s'agissait de l'étymologie de capio, bien sûr. C'est corrigé.

Déjà un grand merci pour ces expications, et oui, quand tu seras un peu moins peta à la bourre et que tu auras un nano chouïa de temps, ça m'intéresserait que tu développes :confused:
D'ailleurs, je suis allé voir ce qu'étaient les laryngales et là, je trouve : e-=H1e, a-=H2e, o-=H3e, mais alors, pourquoi simplifier h1 en /a/ plutôt qu'en /e/ ?
:prof: Il n'y a pas de *a en indo-européen... Bon, ce principe est à la linguistique comparée ce que les vaches sphériques sont à la physique : une affirmation un peu absurde mais qui permet de poser un modèle théorique.

Pour faire simple (wiki est nul sur ce chapitre), les laryngales sont :
- Trois sons
- Dont on ne connaît pas du tout la nature (on les appelle "laryngales" parce qu'en hittite, deux sur trois donnent effectivement des laryngales...)
- Qui se réalisent tantôt comme des consonnes et tantôt comme des voyelles (comme les sonantes : m n r l)
- Mais qui peuvent être précédés de voyelles et donner une voyelle (contrairement aux sonantes)
- Qui tendent à "colorer" la voyelle subséquente.
- Et qui peuvent être limite de racine (une racine indo-européenne a toujours un schéma CVC, et la voyelle peut être e, o (ê, ô dans certains cas) ou zéro).

Donc, on ne sait pas ce que c'est, mais on en voit l'effet :
- En grec, H1, H2, H3 > a, e, o et eH1, eH2, eH3 > â, ê, ô ; mais
- En latin : H1, H2, H3 > a ou rien à l'initiale ou i devant yod, mais eH1, eH2, eH3 > â, ê, ô
- Etc. Chaque groupe linguistique a ses combinaisons.

Ce qui explique qu'en grec on a "dôsis" le don, "didômi" je donne, "didomen" nous donnons, "dotos" donnable (adj. verbal de possibilité)
Mais en latin : dônum "le don", mais "do, das, dare, datum (supin) " donner avec un [a]
Et en sanscrit : ditas avec un [a]

Ou bien : dens, dentis VS odous, odontis (H3d- "manger", en latin le H3 initial ne donne rien, en grec il donne une prothèse vocalique, à côté de H3ed- : edo, essen, eat, etc.).

Ou bien "zôo" en grec mais "vivo" en latin (je sais, ça saute pas aux yeux, mais c'est le même mot).

Et quelques autres...

Pour la petite histoire, Saussure les avait "prédites" mathématiquement, en juxtaposant toutes les formes et en essayant de trouver un systématisme possible... Epistémologiquement, c'est un peu le passage de la reconstruction d'une "proto-langue" réelle à un modèle, comme je disais, théorique et "chimique".

On lui a ri au nez... Et trente ans plus tard, en déchiffrant le hittite (bien plus archaïque que le sanscrit), on a trouvé exactement à l'endroit où il l'avait dit des phonèmes bien réels.

Bon, depuis, les indo-européanistes ont tendance à en voir absolument partout...
Sinon, quand je parlais de "degré de certitude" sur l'i-e, c'est précisément cela que j'entendais: jusqu'à preuve du contraire, et surtout, à quelle fréquence prouve-t-on le contraire :loljump: . A comparer avec les "certitudes" sur les premiers hominidés, certitudes remises en question quasiment à chaque nouvelle découverte.
:-? Bin, il y a deux grandes revues scientifiques : une en allemand et une en anglais. Celle en allemand est plus chic et celle en anglais est plus lue. Donc deux fois dix articles tous les mois.

Plus une vingtaine d'autres qui acceptent des articles indo-européanistes en rapport avec leurs langues. Plus les grandes revues nationales de linguistique générale.

À l'échelle d'un mot : des centaines de propositions de renouvellement par an...

À l'échelle d'un système (du genre : tel type de verbes, tel temps, tel mode, en général ou dans tel sous-groupe) : une ou deux thèses par ans.

À l'échelle de tout le système : trois ou quatre grandes révolutions dans le siècle passé.

Après, la science est une question d'adhésion : on a mis trente ans à reconnaître que Saussure avait raison, mais tout le monde "deal" avec les laryngales. En revanche, le modèle benvenistien de la racine a été adopté comme une Bible en France... À l'étranger, il est bon plus contesté. Il y a dix ans, on m'apprenait un modèle d'accentuation méga-compliqué qui allait tout renouveler, avec des protérocinétique, des hystérocinétiques, des protérodynamiques... Pour ma part, je pense que mouais, bof, bof... Mais on a dû dire mouais bof bof à Saussure aussi.

Cela étant, 70% du Grundriss der Vergleiche Grammatik der Indogermanischen Sprachen[/url] publié en 30 volumes en allemand et à Strassburg ;) de 1886 à 1916 reste parfaitement valable.

Pour reprendre ta comparaison avec la paléoanthropologie, je dirais que c'est comme Darwin : le fondement est incontestable, les modalités et les détails (même si ce "détail" porte sur tout un système, comme la génétique, ou sur tout un clade, comme pour les hominiens) ont donné lieu de leur côté à des dizaines de théories depuis Darwin. Mais toutes les théories renforcent Darwin dans son ensemble, même si elles remettent en question l'état de la science de 1860.

Accessoirement, il est amusant de voir un mot dont le sens de départ est "prendre" avoir pour lointain descendant un mot qui signifie "donner" ...


Ce qui donne régulièrement lieu à des théories baroques... Du genre "l'homme primitif ne connaît pas la propriété".

Ou bien on affirme qu'il y a deux racines homonymes. Mais c'est gênant. Le problème, c'est qu'avec un nombre limité de consonnes et de laryngales et un schéma CVC à peine extensible, le nombre de racines homonymes et sans doute très élevé.

Deux mots peuvent s'opposer par un maigre préfixe (kaufen/verkaufen)... Ou bien deux oppositions peuvent se neutraliser contextuellement (amener/enmener perturbe beaucoup mes élèves). Y'a sans doute un truc qui nous échappe dans la forme de la racine. Ca ferait un beau sujet de thèse.
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pc2
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Re: Demande de confirmation de l'étymologie du verbe avoir

Post by pc2 »

Sisyphe wrote:Et en sanscrit : ditas avec un [a]
Quelle forme est-ce, "ditas" ? Il s'agit de la racine "dâ" ?
Merci de corriger notre français si nécessaire.
Paulo Marcos -- & -- Claudio Marcos
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